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Devant le Sénat, Pierre Moscovici assume le report du rapport de la Cour des comptes sur l'immigration irrégulière

Devant le Sénat, Pierre Moscovici assume le report du rapport de la Cour des comptes sur l'immigration irrégulière
Publié le 11/04/2024 à 10:28

Trois mois après la publication du très critiqué rapport de la Cour des comptes portant sur l'immigration irrégulière, le Premier président de la Cour était convoqué pour une audition par la commission des lois mercredi 10 avril.

Auditionné au palais du Luxembourg mercredi 10 avril, Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, était attendu pour présenter en détail le contenu du rapport de la Cour sur l'immigration. Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, l'ancien ministre de l’Économie et des Finances sous François Hollande a tout d’abord souhaité aborder la polémique entourant ce rapport, qui a été l'objet de nombreuses critiques lors de sa publication début janvier. Des critiques qui soutenaient notamment que Pierre Moscovici aurait délibérément retardé la publication du rapport avec l’objectif de ne pas influencer le vote de la loi immigration en décembre au Parlement.

Cette audition a donc été l'occasion pour le Premier président de répondre à ces accusations : « La Cour a fait l’objet de critiques, à mon sens, infondées, au sujet de cette décision, que j’assume pleinement, prise collégialement, de reporter la publication de ce rapport, de seulement quelques jours. » Devant les sénateurs, le Premier président a déclaré ne pas prendre au sérieux ces reproches : « C’est toujours, comme disait Cyrano, un grand honneur que d'être une cible, donc je l’ai vécu avec une impavidité absolue. » La publication, initialement prévue pour le 13 décembre, aurait uniquement été reportée, selon Pierre Moscovici, en raison du débat parlementaire alors en cours sur le projet de loi immigration.

Seulement 12 % d’OQTF exécutées

Dans son rapport, la Cour des comptes a mis en avant les nombreuses lacunes de l'État dans la lutte contre l'immigration irrégulière, notant que seule une « petite minorité » des étrangers visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sont effectivement expulsés, avec un taux d'exécution estimé à environ 12 %. Pierre Moscovici n'a pas hésité à critiquer, sans le nommer, Emmanuel Macron, qui avait promis dans une interview à Valeurs actuelles en 2019 que « 100 % des OQTF seraient exécutées ». L'ancien commissaire européen s’est démarqué des propos du président de la République : « C'est un slogan que je laisserai à certains, je ne suis pas persuadé qu'il soit extrêmement réaliste. »

Il a également expliqué que « sur les 7 millions d'immigrés en France dénombrés par l'Insee en 2022, la très grande majorité était en situation régulière », soulignant ainsi la complexité de l'« immigration illégale ». Entre les différents statuts des étrangers entrant sur le territoire (étudiants, touristes, demandeurs d’asile, etc.) et ceux qui y demeurent après l'expiration de leur séjour autorisé, « le nombre d’étrangers en situation irrégulière est, par définition, incertain », a insisté Pierre Moscovici. Ce dernier a toutefois noté qu'une estimation pouvait être établie à travers le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État, qui s'élevait à « 439 000 fin juin 2023 », malgré certaines imprécisions dues au possible non-recours à ce système de soins par certains étrangers.

L’administration à la peine

Autre point de défaillance : la complexité des services de l'État. À ce titre, l’ancien ministre a souligné que « la lutte contre l'immigration irrégulière mobilise de nombreuses administrations, ce qui constitue l'un des défis de sa mise en œuvre, peut-être un des problèmes aussi ». Dans cette optique, la Cour recommande de renforcer les effectifs et les moyens, ce qui permettrait de soulager les administrations et de simplifier les litiges liés aux étrangers, ce que « la loi de fin 2023 a commencé à faire », a assuré Pierre Moscovici.

L’auditionné a également critiqué l'inefficacité de l'accumulation de textes législatifs, notant que « le cadre législatif a subi 133 modifications entre 2010 et 2019 ». Pierre Moscovici a pointé du doigt la nonchalance du ministère de l'Intérieur, en affirmant que « celui-ci publie de nombreuses circulaires pour réaffirmer ses priorités dès qu'une actualité dramatique concerne un étranger en situation irrégulière, sans pour autant que ces circulaires constituent une stratégie globale ».

Un manque de coordination entre les ministères

Le Premier président de la Cour des comptes a aussi soulevé un « désengagement relatif des autres ministères concernés », menant à un pilotage trop centré sur le ministère de l’Intérieur. Bien que la politique migratoire « relève logiquement de ce ministère », a relativisé Pierre Moscovici, celui-ci a toutefois assuré que « la coordination interministérielle permettrait de mieux identifier les failles juridiques et organisationnelles à combler pour accroître en priorité l’efficacité du dispositif au niveau européen ». Une délivrance plus efficace des visas permettrait notamment de mieux prévenir l'immigration irrégulière en France.

Ainsi, la Cour des comptes a insisté sur le fait qu'il ne suffit pas de légiférer pour voir des changements, soulignant qu’« il faut surtout agir dans une logique interministérielle, de manière plus déterminée, stratégique et efficace », a insisté son Premier président. Pour lutter contre l'immigration illégale, Pierre Moscovici semble plaider pour une refonte totale du dispositif.

Romain Tardino

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