Trois mois après la publication du très critiqué
rapport de la Cour des comptes portant sur l'immigration irrégulière, le
Premier président de la Cour était convoqué pour une audition par la commission
des lois mercredi 10 avril.
Auditionné au palais du Luxembourg mercredi 10 avril,
Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, était attendu pour
présenter en détail le contenu du rapport de
la Cour sur l'immigration. Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, l'ancien
ministre de l’Économie et des Finances sous François Hollande a tout d’abord souhaité
aborder la polémique entourant ce rapport, qui a été l'objet de nombreuses
critiques lors de sa publication début janvier. Des critiques qui soutenaient
notamment que Pierre Moscovici aurait délibérément retardé la publication du
rapport avec l’objectif de ne pas influencer le vote de la loi immigration en
décembre au Parlement.
Cette audition a donc été l'occasion pour le Premier président
de répondre à ces accusations : « La Cour a fait l’objet de critiques, à mon
sens, infondées, au sujet de cette décision, que j’assume pleinement, prise
collégialement, de reporter la publication de ce rapport, de seulement quelques
jours. » Devant les sénateurs, le Premier président a déclaré ne pas
prendre au sérieux ces reproches : « C’est toujours, comme disait Cyrano, un
grand honneur que d'être une cible, donc je l’ai vécu avec une impavidité
absolue. » La publication, initialement prévue pour le 13 décembre, aurait
uniquement été reportée, selon Pierre Moscovici, en raison du débat
parlementaire alors en cours sur le projet de loi immigration.
Seulement 12 % d’OQTF exécutées
Dans son rapport, la Cour des comptes a mis en avant
les nombreuses lacunes de l'État dans la lutte contre l'immigration
irrégulière, notant que seule une « petite minorité » des étrangers
visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sont
effectivement expulsés, avec un taux d'exécution estimé à environ
12 %. Pierre Moscovici n'a pas hésité à critiquer, sans le nommer, Emmanuel
Macron, qui avait promis dans une interview à Valeurs actuelles en 2019
que « 100 % des OQTF seraient exécutées ». L'ancien commissaire européen
s’est démarqué des propos du président de la République : « C'est un
slogan que je laisserai à certains, je ne suis pas persuadé qu'il soit
extrêmement réaliste. »
Il a également expliqué que « sur les 7 millions
d'immigrés en France dénombrés par l'Insee en 2022, la très grande majorité
était en situation régulière », soulignant ainsi la complexité de l'« immigration
illégale ». Entre les différents statuts des étrangers entrant sur le
territoire (étudiants, touristes, demandeurs d’asile, etc.) et ceux qui y
demeurent après l'expiration de leur séjour autorisé, « le nombre d’étrangers
en situation irrégulière est, par définition, incertain », a insisté Pierre
Moscovici. Ce dernier a toutefois noté qu'une estimation pouvait être établie à
travers le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État, qui s'élevait à «
439 000 fin juin 2023 », malgré certaines imprécisions dues au possible
non-recours à ce système de soins par certains étrangers.
L’administration à la peine
Autre point de défaillance : la complexité des
services de l'État. À ce titre, l’ancien ministre a souligné que « la lutte
contre l'immigration irrégulière mobilise de nombreuses administrations, ce qui
constitue l'un des défis de sa mise en œuvre, peut-être un des problèmes aussi
». Dans cette optique, la Cour recommande de renforcer les effectifs et les
moyens, ce qui permettrait de soulager les administrations et de simplifier les
litiges liés aux étrangers, ce que « la loi de fin 2023 a commencé à faire
», a assuré Pierre Moscovici.
L’auditionné a également critiqué l'inefficacité de
l'accumulation de textes législatifs, notant que « le cadre législatif a
subi 133 modifications entre 2010 et 2019 ». Pierre Moscovici a pointé du
doigt la nonchalance du ministère de l'Intérieur, en affirmant que «
celui-ci publie de nombreuses circulaires pour réaffirmer ses priorités dès
qu'une actualité dramatique concerne un étranger en situation irrégulière, sans
pour autant que ces circulaires constituent une stratégie globale ».
Un manque de coordination entre les ministères
Le Premier président de la Cour des comptes a aussi
soulevé un « désengagement relatif des autres ministères concernés
», menant à un pilotage trop centré sur le ministère de l’Intérieur. Bien que
la politique migratoire « relève logiquement de ce ministère »,
a relativisé Pierre Moscovici, celui-ci a toutefois assuré que « la
coordination interministérielle permettrait de mieux identifier les failles
juridiques et organisationnelles à combler pour accroître en priorité
l’efficacité du dispositif au niveau européen ». Une délivrance plus
efficace des visas permettrait notamment de mieux prévenir l'immigration
irrégulière en France.
Ainsi, la Cour des comptes a insisté sur le fait qu'il
ne suffit pas de légiférer pour voir des changements, soulignant qu’« il
faut surtout agir dans une logique interministérielle, de manière plus
déterminée, stratégique et efficace », a insisté son Premier
président. Pour lutter contre l'immigration illégale, Pierre Moscovici semble
plaider pour une refonte totale du dispositif.
Romain Tardino