Alors que les
« passerelles » des doctorants en droit menant à l’avocature et à la
magistrature en ont récemment pris un coup, des voix s’élèvent depuis pour
dénoncer un double affront, à l’instar de la Faculté de droit et de science
politique de Montpellier, qui a tapé du poing sur la table via une motion
adoptée hier.
Pour le monde
universitaire, ça ne passe pas.
Après la loi organique du 20 novembre relative à l'ouverture, à la modernisation et à
la responsabilité du corps judiciaire venue (notamment) supprimer l’admission
sur titre à l’ENM, et le décret du 1er décembre relatif à la formation
professionnelle des avocats qui (entre autres) restreint la voie d’accès des
docteurs en droit à la profession d’avocat, la grogne ne faiblit pas face à ce
qui est vécu comme un double affront.
Tandis que du
côté des docteurs en droit et des enseignants-chercheurs, on dénonce « un
énième recul de la reconnaissance du doctorat » ou encore tout
simplement une « réforme stupide », dans une motion adoptée hier,
la Faculté de droit et de science politique de Montpellier dénonce des « atteintes
répétées contre le doctorat en droit », fustigeant une « suspicion
d’illégitimité » qui « ne saurait laisser indifférent ».
« Le doctorat, plus haut grade délivré par les universités, sanctionne
des compétences et une formation d’excellence par la recherche. Alors qu’il est
reconnu comme tel dans le monde entier, que l’apport des docteurs aux
professions juridiques est considérable, sa dévalorisation en France est
inexplicable », ajoute-t-elle.
CRFPA :
une passerelle sous conditions restrictives
De son côté,
l’Association française des docteurs en droit (AFDD) a annoncé sur Twitter
qu’elle prenait acte « avec une grande tristesse » de
la parution du décret du 1er décembre. « N’oublions pas
qu’un bon tiers des soutenances annuelles de thèses sont le fait d’étudiants
étrangers, qui font confiance à notre pays en venant y passer leurs années
d’études les plus importantes. (…) Alors, oui,
apprécions éventuellement des compétences en droit français, mais sachons
surtout, dans ce monde hyper-concurrentiel, ne pas nous isoler encore
davantage ! »
Le
décret sur la formation professionnelle des avocats, qui introduit plusieurs
changements notables attendus de pied ferme et sollicités par le Conseil
national des barreaux (CNB) – à l’instar, également, d’un règlement intérieur unifié
pour les écoles d’avocats –, impacte ainsi la passerelle d’accès des docteurs
en droit aux écoles d’avocats. Il prévoit en effet que la dispense d’examen
d’entrée au Centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) dont
bénéficient les docteurs en droit sera conditionnée, dès 2025, et pour une
thèse soutenue dans une université française ou de l’Union européenne, soit à «
60 heures d’enseignements en droit, par an et pendant deux ans, au cours des
cinq dernières années précédant la demande d’accès, dans un établissement
public d’enseignement supérieur », soit « deux années d’exercice
professionnel en qualité de juriste assistant ou assistant de justice », ou
alors « deux années d’exercice professionnel en tant que juriste, d’au moins
700 heures par an ».
Un conditionnement inspiré de l’une des propositions émises dans le rapport
Haeri/Clavel rendu le 23 octobre 2020 mais qui équivaut, de l’avis de certains, et de
par son aspect restrictif, à une suppression pure et simple de cette passerelle
instaurée en 1990, laquelle faisait l’objet d’un débat virulent depuis
plusieurs années. Car le sujet est loin d’être nouveau : si en 2004, déjà,
la Confédération nationale des avocats pointait des lacunes dans les
compétences professionnelles des docteurs en droit et dans leur taux de
réussite au CRFPA, en 2012, le CNB avait réclamé la suppression de la
passerelle, que la garde des Sceaux Christiane Taubira avait décidé de
maintenir face aux vives réactions du monde doctoral. L’instance avait cependant
relancé le sujet en novembre 2018,
via une résolution, avant que courant 2019, la ministre de l'Enseignement
supérieur, de la recherche et de l'innovation, Frédérique Vidal, n’indique,
dans une réponse à la question formulée par un député, que « la
suppression de cette passerelle n'est pas envisagée », le doctorat
devant être « reconnu et valorisé ».
Au
final, il semblerait donc que la solution en vigueur aujourd’hui, sans avoir
voulu véritablement trancher, ne satisfasse ni totalement un camp, et pas du
tout l’autre.
ENM :
un second diplôme nécessaire pour le 3e concours
Même sentence
pour les docteurs en droit côté formation à la magistrature, donc, puisque si la
loi organique du 20 novembre, destinée à ouvrir et simplifier l’accès à la
magistrature pour attirer davantage de candidats, a créé un concours
professionnel et un concours spécifique au profit des classes « Prépas
Talents », elle supprime certaines voies d’intégration, dont le
recrutement sur titre des docteurs en droit. Cependant, l’article 1er
dispose que ces derniers pourront passer, dans le cadre du 3e
concours de l’École nationale de la magistrature (ENM), des épreuves
d’admissibilité « adaptées à leur profil », mais devront pour
cela détenir, « outre les diplômes requis pour le doctorat, un autre
diplôme d’études supérieures ».
Notons qu’un
amendement adopté proposait de dispenser tout bonnement des épreuves
d’admissibilité les titulaires d’un doctorat en droit dans le cadre du 3e
concours de l’ENM. Si la commission mixte paritaire a donc validé le principe
de l’ouverture du 3e concours aux docteurs en droit avec des
épreuves aménagées, elle « conditionne [ainsi] cette ouverture à
l’obtention d’un second diplôme » : une mesure « inacceptable
et sans fondement », fustige France Universités.
« La valorisation du doctorat en droit s’inscrit en
conformité avec les recommandations du Comité des États généraux de la justice
de 2022 piloté par Jean-Marc Sauvé, qui insistait sur la nécessité d’une
doctrine de recrutement susceptible de favoriser l’intégration de profils
juridiques très spécialisés, formés par la recherche pluridisciplinaires et
porteurs d’expertises pointues pour compenser les déficits relevés en
juridiction », avait estimé l’association en octobre dernier, lorsque
la suppression du recrutement sur titre avait été entérinée, considérant
« que la limitation de l’accès des docteurs en droit à la magistrature
constitue une grave régression pour notre pays ».
Dans la
Semaine Juridique n°25 du 26 juin 2023, l’avocat Stéphane Braconnier,
également docteur en Droit et membre de l'AFDD, s’émouvait d’ailleurs très bien
de cette abrogation dans ce qui n’était alors qu’un projet de loi, au sein d’un
article intitulé « Pourquoi la magistrature devrait-elle se priver du vivier
que forment les docteurs en droit, pétris de culture juridique et experts dans
leur domaine ? ».
« Cette
suppression, que personne n’est objectivement en mesure d’expliquer, apparaît à
contre-courant d’un mouvement général », observait-il ainsi. Et de
poursuivre : « À contre-courant d’abord de la volonté de
valorisation du doctorat, souhaitée par les pouvoirs publics (…), à
contre-courant encore de la politique volontariste menée dans les universités
consistant à construire, autour de la préparation du doctorat, une véritable
expérience professionnelle (…), à contre-courant enfin des besoins mêmes de la
magistrature, à laquelle les spécialistes de droit civil ou de droit commercial
font défaut, besoins auxquels ne répondent plus les concours actuels. »
Avec ce nouveau
revers pour les doctorants, le coup – allégué – porté à l’attractivité du
précieux sésame se fera-t-il sentir dans les années à venir ?
Bérengère Margaritelli