La lutte contre l’offre
illégale de jeux d’argent sur Internet s’inscrit au cœur de l’action de
l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ). Dans ce cadre, l’ANJ a lancé, le 7 octobre
dernier, la campagne d’information « 100% gagnant », qui vise à rappeler
au grand public le caractère illicite des sites de casinos et à informer sur
les nombreux dangers associés à cette offre illégale.
La coordinatrice de la lutte
contre l’offre illégale de l’ANJ, Gaëlle Palermo-Chevillard, rappelle que seuls dix-huit opérateurs agréés par
l’ANJ et la Française des Jeux (FDJ) sont autorisés, en France, à proposer une
offre de jeux d’argent en ligne. Tout opérateur ne bénéficiant pas de
l’agrément de l’ANJ et proposant tout de même une « offre qui nécessite
de la part du joueur un sacrifice financier en contrepartie d’un espoir de
gain » est donc un opérateur illicite, et potentiellement dangereux
pour le consommateur.
Un commerce interdit qui
marche
Selon la coordinatrice, si le
législateur considère ces sites illicites, c’est précisément parce qu’ils
génèrent une multitude de risques. Parmi eux, on peut citer l’endettement, la
captation de données personnelles (certains sites demandent par exemple une
copie des papiers d’identité), la fraude au moyen de payement (notamment sous
la forme d’escroquerie à la carte bleue), l’installation de programmes
malveillants, ou encore les gains non payés (la triche étant fréquente sur ces
sites). Ces situations se révèlent d’autant plus problématiques que le
caractère illicite de ces plateformes rend impossible le moindre recours
judiciaire possible en cas de litige. Les joueurs n’y bénéficient ainsi
d’aucune protection légale.
Malgré tout, l’ANJ constate
une inquiétante croissance de l’offre illégale, et de sa consommation, ces
dernières années. Elle estime que ce marché serait à l’origine de bénéfices
s’élevant entre 748 millions et un milliard d’euros. Pour mieux saisir les enjeux
de ce marché, l’offre disponible en France et les habitudes des consommateurs,
l’ANJ a commandé en 2023 une étude à la société PwC. Cette étude a révélé
qu’entre trois et quatre millions de personnes auraient joué, en France, sur
des sites de jeux d’argent illégaux.
Gaëlle Palermo-Chevillard
précise qu’au-delà de l’aspect quantitatif, qui a par exemple permis d’évaluer
le nombre de sites illégaux à 550 à l’époque, cette étude s’est révélée
particulièrement utile par ses aspects qualitatifs. Ces derniers ont permis d’établir
un « profil type du consommateur » de ce style de
produit : un homme d’environ trente-cinq ans, cadre ou employé, et aux
emportements hors de contrôle. L’étude a en effet indiqué que 79% du chiffre
d’affaires de ce marché serait généré par des joueurs aux pratiques
problématiques – d’où l’urgence, pour l’ANJ, d’alerter le public sur les
comportements à risque, les problèmes liés au jeu compulsif et à l’addiction.
Surtout, cette étude a révélé
qu’un consommateur sur deux ignorait le caractère illicite de ces sites. Selon
Gaëlle Palermo-Chevillard, ce chiffre témoigne d’un évident « manque
d’information du public ». Et c’est précisément ce manque que la
campagne « 100% gagnant » entend combler. Pour elle, cette lacune est largement imputable au fait que les sites en question se
dotent d’un « vernis de légalité » pour attirer les
consommateurs. Ils affichent par exemple diverses licences dont ils seraient
titulaires, mais la coordinatrice rappelle qu’aucune licence n’est reconnue en
France.
Pour atteindre ses objectifs,
la campagne « 100% gagnant » a fait le choix de reprendre les codes
des sites de jeux d’argent en ligne. Elle présente donc des visuels colorés et
attractifs. Elle est composée de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux
(Snapchat et Twitch), de publicités interactives sur les applications de
gaming, et de bannières et de vidéos de témoignages diffusées sur l’application
TikTok. L’ensemble renvoie à un site qui présente et explique l’interdiction
des sites de casinos en ligne et les dangers qu’ils peuvent représenter pour
les joueurs.
Il faut bloquer pour protéger
Au-delà de la méthode de
communication, l’ANJ est engagée dans une lutte d’ampleur contre l’offre
illégale de jeux d’argent en ligne. Depuis mars 2022, l’ANJ dispose d’ailleurs
d’un pouvoir de blocage administratif de déréférencement des sites illicites.
Gaëlle Palermo-Chevillard précise qu’avant cette date, le blocage des sites
impliquait une demande auprès du tribunal judiciaire. Face aux délais trop
importants de ces démarches, le législateur a doté la présidente de l’ANJ,
Isabelle Falque-Pierrotin, de l’autorité pour émettre des ordres de
déréférencement. C’est ce qui a permis de diviser par trois le temps de
procédure : « en deux ans et demi, plus d’URL ont été bloqués
qu’en douze ans ». Depuis mars 2022 en effet, 506 actes administratifs
de blocage ont été rendus par l’ANJ, aboutissant au blocage de 2 365 sites.
Ces procédures
administratives se déroulent en deux temps. L’enquêteur, habilité par la loi à
utiliser une identité d’emprunt, ouvre un compte joueur et entame une session
de jeu – c’est ce qui permet de constater l’infraction. Dès lors, une note est
envoyée à l’hébergeur et à l’éditeur du site. Après un délai de cinq jours,
soit l’éditeur met son site en conformité, c’est-à-dire met en place un
géo-blocage pour le territoire français, soit il s’y refuse et l’URL est alors
bloquée. Gaëlle Palermo-Chevillard constate qu’environ 30% des sites
choisissent la première option.
Néanmoins, Gaëlle
Palermo-Chevillard souligne que l’ANJ reste aux prises avec les « sites
miroirs », c’est-à-dire les copies de sites bloqués mis en ligne par
les opérateurs sur une autre URL. Cette pratique se révèle d’autant plus
inquiétante qu’elle prouve « les capacités financières très
importantes » des opérateurs.
Pour compléter ces actions,
l’ANJ agit aussi auprès des nombreux « intermédiaires » qui se
nourrissent de cette offre illégale. Elle a ainsi mis en place plusieurs
accords de coopération avec différents prestataires, réseaux sociaux ou
plateformes. Récemment, Google a par exemple changé sa policy vis-à-vis
des annonces sponsorisées pour des sites de casinos en ligne, ce que Gaëlle
Palermo-Chevillard qualifie de « véritable avancée ».
Si le législateur ne pénalise
pas la consommation de cette offre illégale, l’offre reste quant à elle punie
de trois ans d’emprisonnement et de 90 000 euros d’amende (qui double dans le
cas d’un acte en bande organisée). La publicité pour ces offres est, elle
aussi, pénalisée.
Gaëlle
Palermo-Chevillard affirme toutefois qu’il n’y a « rien à gagner sur ce type de
sites, bien au contraire ». Elle indique que, par le biais de la
plateforme de l’ANJ, il est possible à tous et à toutes de signaler les sites
illicites. Pour s’assurer de jouer en toute légalité, une liste des opérateurs
agréés, ainsi qu’une liste noire des sites déjà bloqués, sont disponibles sur www.anj.fr.
Sophie
Benard