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Du casino clandestin des années 20 à celui 2.0

Du casino clandestin des années 20 à celui 2.0
Publié le 18/10/2024 à 18:00

La lutte contre l’offre illégale de jeux d’argent sur Internet s’inscrit au cœur de l’action de l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ). Dans ce cadre, l’ANJ a lancé, le 7 octobre dernier, la campagne d’information « 100% gagnant », qui vise à rappeler au grand public le caractère illicite des sites de casinos et à informer sur les nombreux dangers associés à cette offre illégale.

La coordinatrice de la lutte contre l’offre illégale de l’ANJ, Gaëlle Palermo-Chevillard, rappelle que seuls dix-huit opérateurs agréés par l’ANJ et la Française des Jeux (FDJ) sont autorisés, en France, à proposer une offre de jeux d’argent en ligne. Tout opérateur ne bénéficiant pas de l’agrément de l’ANJ et proposant tout de même une « offre qui nécessite de la part du joueur un sacrifice financier en contrepartie d’un espoir de gain » est donc un opérateur illicite, et potentiellement dangereux pour le consommateur.

Un commerce interdit qui marche

Selon la coordinatrice, si le législateur considère ces sites illicites, c’est précisément parce qu’ils génèrent une multitude de risques. Parmi eux, on peut citer l’endettement, la captation de données personnelles (certains sites demandent par exemple une copie des papiers d’identité), la fraude au moyen de payement (notamment sous la forme d’escroquerie à la carte bleue), l’installation de programmes malveillants, ou encore les gains non payés (la triche étant fréquente sur ces sites). Ces situations se révèlent d’autant plus problématiques que le caractère illicite de ces plateformes rend impossible le moindre recours judiciaire possible en cas de litige. Les joueurs n’y bénéficient ainsi d’aucune protection légale.

Malgré tout, l’ANJ constate une inquiétante croissance de l’offre illégale, et de sa consommation, ces dernières années. Elle estime que ce marché serait à l’origine de bénéfices s’élevant entre 748 millions et un milliard d’euros. Pour mieux saisir les enjeux de ce marché, l’offre disponible en France et les habitudes des consommateurs, l’ANJ a commandé en 2023 une étude à la société PwC. Cette étude a révélé qu’entre trois et quatre millions de personnes auraient joué, en France, sur des sites de jeux d’argent illégaux.

Gaëlle Palermo-Chevillard précise qu’au-delà de l’aspect quantitatif, qui a par exemple permis d’évaluer le nombre de sites illégaux à 550 à l’époque, cette étude s’est révélée particulièrement utile par ses aspects qualitatifs. Ces derniers ont permis d’établir un « profil type du consommateur » de ce style de produit : un homme d’environ trente-cinq ans, cadre ou employé, et aux emportements hors de contrôle. L’étude a en effet indiqué que 79% du chiffre d’affaires de ce marché serait généré par des joueurs aux pratiques problématiques – d’où l’urgence, pour l’ANJ, d’alerter le public sur les comportements à risque, les problèmes liés au jeu compulsif et à l’addiction.

Surtout, cette étude a révélé qu’un consommateur sur deux ignorait le caractère illicite de ces sites. Selon Gaëlle Palermo-Chevillard, ce chiffre témoigne d’un évident « manque d’information du public ». Et c’est précisément ce manque que la campagne « 100% gagnant » entend combler. Pour elle, cette lacune est largement imputable au fait que les sites en question se dotent d’un « vernis de légalité » pour attirer les consommateurs. Ils affichent par exemple diverses licences dont ils seraient titulaires, mais la coordinatrice rappelle qu’aucune licence n’est reconnue en France.

Pour atteindre ses objectifs, la campagne « 100% gagnant » a fait le choix de reprendre les codes des sites de jeux d’argent en ligne. Elle présente donc des visuels colorés et attractifs. Elle est composée de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux (Snapchat et Twitch), de publicités interactives sur les applications de gaming, et de bannières et de vidéos de témoignages diffusées sur l’application TikTok. L’ensemble renvoie à un site qui présente et explique l’interdiction des sites de casinos en ligne et les dangers qu’ils peuvent représenter pour les joueurs.

Il faut bloquer pour protéger

Au-delà de la méthode de communication, l’ANJ est engagée dans une lutte d’ampleur contre l’offre illégale de jeux d’argent en ligne. Depuis mars 2022, l’ANJ dispose d’ailleurs d’un pouvoir de blocage administratif de déréférencement des sites illicites. Gaëlle Palermo-Chevillard précise qu’avant cette date, le blocage des sites impliquait une demande auprès du tribunal judiciaire. Face aux délais trop importants de ces démarches, le législateur a doté la présidente de l’ANJ, Isabelle Falque-Pierrotin, de l’autorité pour émettre des ordres de déréférencement. C’est ce qui a permis de diviser par trois le temps de procédure : « en deux ans et demi, plus d’URL ont été bloqués qu’en douze ans ». Depuis mars 2022 en effet, 506 actes administratifs de blocage ont été rendus par l’ANJ, aboutissant au blocage de 2 365 sites.

Ces procédures administratives se déroulent en deux temps. L’enquêteur, habilité par la loi à utiliser une identité d’emprunt, ouvre un compte joueur et entame une session de jeu – c’est ce qui permet de constater l’infraction. Dès lors, une note est envoyée à l’hébergeur et à l’éditeur du site. Après un délai de cinq jours, soit l’éditeur met son site en conformité, c’est-à-dire met en place un géo-blocage pour le territoire français, soit il s’y refuse et l’URL est alors bloquée. Gaëlle Palermo-Chevillard constate qu’environ 30% des sites choisissent la première option.

Néanmoins, Gaëlle Palermo-Chevillard souligne que l’ANJ reste aux prises avec les « sites miroirs », c’est-à-dire les copies de sites bloqués mis en ligne par les opérateurs sur une autre URL. Cette pratique se révèle d’autant plus inquiétante qu’elle prouve « les capacités financières très importantes » des opérateurs.

Pour compléter ces actions, l’ANJ agit aussi auprès des nombreux « intermédiaires » qui se nourrissent de cette offre illégale. Elle a ainsi mis en place plusieurs accords de coopération avec différents prestataires, réseaux sociaux ou plateformes. Récemment, Google a par exemple changé sa policy vis-à-vis des annonces sponsorisées pour des sites de casinos en ligne, ce que Gaëlle Palermo-Chevillard qualifie de « véritable avancée ».

Si le législateur ne pénalise pas la consommation de cette offre illégale, l’offre reste quant à elle punie de trois ans d’emprisonnement et de 90 000 euros d’amende (qui double dans le cas d’un acte en bande organisée). La publicité pour ces offres est, elle aussi, pénalisée.

Gaëlle Palermo-Chevillard affirme toutefois qu’il n’y a « rien à gagner sur ce type de sites, bien au contraire ». Elle indique que, par le biais de la plateforme de l’ANJ, il est possible à tous et à toutes de signaler les sites illicites. Pour s’assurer de jouer en toute légalité, une liste des opérateurs agréés, ainsi qu’une liste noire des sites déjà bloqués, sont disponibles sur www.anj.fr.

Sophie Benard

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