JUSTICE

« La prison est un lieu que la société utilise pour se venger », estime Dominique Simonnot

« La prison est un lieu que la société utilise pour se venger », estime Dominique Simonnot
Publié le 23/03/2024 à 07:00

La France fait figure de mauvaise élève en matière de capacité et de gestion de ses lieux de privation de liberté. « Les détenus sont abandonnés », juge la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui résume : « Il y a des violences, très peu de surveillants, des morts, des suicides ».

Invitée par le Cercle des constitutionnalistes, Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, évoque sa mission qui couvre les prisons, les hôpitaux psychiatriques, les centres fermés. Sa position lui donne un « outil extraordinaire » qui lui permet de rencontrer beaucoup de monde dans le milieu carcéral, affirme-t-elle.

Désormais détentrice d’une vision privilégiée de ce microcosme, la contrôleure tient à alerter la société sur les difficultés quotidiennes des personnes privées de liberté. Elle regrette que les gouvernements successifs n’aient pas davantage connaissance des problèmes du milieu carcéral. Selon elle, il y aurait plusieurs solutions pour lutter contre l’engorgement des cellules et les conditions de détention qui en découlent.

Dominique Simonnot a été nommée contrôleure générale des lieux de privation de liberté le 14 octobre 2020. Auparavant journaliste spécialisée dans les affaires judiciaires, elle avait déjà l’expérience du sujet. Elle indique même s’être « intéressée très jeune aux enfants et adolescents privés de liberté ».

Mais aujourd’hui avec ses fonctions, son champ d’observation s’est étendu. « On va dans des lieux où personne ne va », confie-t-elle. Ses prérogatives lui ouvrent des portes et lui permettent de « parler avec tout le monde ». Ses échanges directs avec les détenus et le personnel l’ont alertée sur les lacunes du milieu pénitentiaire. Pour elle, il est fondamental que les pouvoirs publics et la société en soient informés.

L’enseignement minime alloué aux enfants enfermés

Dominique Simonnot revient sur un fait qui l’afflige : « On constate que les enfants ont 5 fois moins d’heures d’enseignement que leurs camarades dehors. C'est totalement anormal quand on y pense : des enfants qui sont déjà abîmés par la vie, qui ont déjà des parcours totalement chaotiques, pour la plupart qui relèvent de placements à l'aide sociale à l'enfance, ils sont passés par toutes les vicissitudes d'une vie un peu triste... Et ils ont cinq fois moins d'heures de cours que les autres ! » 

La contrôleure des lieux de privation se souvient : « On a fait le tour pendant un an des ministères concernés, on a eu aucune réponse ». Elle ajoute : « Le Président de la République a sursauté quand on lui a parlé de ça ». Elle indique que les encadrants sont, eux aussi, inquiets à court et moyen terme pour les enfants privés de liberté. « Les éducateurs ne savent pas ce que les enfants vont devenir ». Le plus souvent sans parents, privés de chance et de considération, ils atterrissent en famille d’accueil.

 « Des conditions de vie honteuses »

Puces de lits, cafards…, l’hygiène des locaux d’enfermement globalement vétustes et insalubres est propice aux maladies comme la leptospirose. Lors de ses visites, les gardiens ont conseillé à Dominique Simonnot de ne surtout pas s’assoir dans les cellules, « et quand vous rentrez à la maison, vous vous changez et vous mettez tous vos vêtements au congélateur pendant 72h pour éliminer les parasites »

Sur place, elle a entendu les témoignages des détenus qui regrettent des violences de plus en plus fréquentes en milieu fermé. En raison de la dureté des conditions de vie dans les établissements, les surveillants ne peuvent pas exercer leurs missions décemment. Beaucoup se découragent, leur métier connait un taux d’absentéisme record, et les candidats au recrutement, dans des conditions rebutantes, deviennent rares. Certains surveillants ont commencé leur carrière dans la pénitentiaire à un pour 50 détenus, maintenant, ils sont à un pour 150. « Il y a des violences, très peu de surveillants, des morts, des suicides », s’insurge Dominique Simonnot. La surpopulation carcérale est une des raisons, « les détenus sont abandonnés ». De plus, si leur temps de détention n’était pas « un temps mort, s’ils apprenaient quelque chose en prison, alors, il y aurait moins de récidivistes, j’en suis persuadée ».

La contrôleure effectue aussi de nombreuses visites de travail à l’étranger. De ses diverses observations, elle retient que l’Allemagne serait le pays européen aux meilleures conditions carcérales. Par exemple, 70% des Allemands en prison travaillent. Mais outre Rhin, donner une activité à un détenu n’est pas mal vu. En France, les entreprises qui offrent du travail en milieu carcéral préfèrent généralement s’en cacher, pour que leurs produits ne soient pas boycottés. Elles pourraient, au contraire, adopter une communication qui expose leur choix de proposer une occupation, voire une formation, aux prisonniers. Elle insiste sur le fait que la mentalité des Français doit évoluer sur ce type de questions.

« La solution s’appelle le placement extérieur »

Après plusieurs années de visites, la contrôleure arrive à la dure conclusion que « la prison est un lieu que la société utilise pour se venger ». Les conditions de vie s’y apparentent à un châtiment corporel. La construction de nouvelles places n’est pas la solution, précise-t-elle, « En Allemagne, ils ont 20 millions d’habitants de plus que nous et 15 000 détenus de moins ». Il faut imaginer des peines et surtout des fins de peines hors les murs, en placement extérieur. Aujourd’hui, on en pratique seulement 900 par an en France. Les fermes Emmaüs, par exemple, proposent des structures type, durant un reliquat de peine d’un an, pour accueillir des individus, les réacclimater à la vie en société, les former par compagnonnage.

Pour elle, une méthode efficace existe, « on doit imaginer les peines comme l’a fait l’Allemagne. La solution s’appelle le placement extérieur ». Dominique Simonnot s’inquiète pour l’avenir des détenus qui ont du mal à se reconstruire après une privation de liberté dans les conditions actuelles d’enfermement.

Les alternatives à l’emprisonnement, qui fournissent un moyen de lutter contre la surpopulation carcérale, sont en train de monter en proportion égale à celle de l’incarcération. On pourrait penser que c’est un progrès, mais les chiffres sont trompeurs, souligne Dominique Simonnot. Car ces peines sont infligées à des personnes qui, de toute façon, ne seraient pas allées en prison. Selon la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, elles servent uniquement à étendre le périmètre du filet pénal.

Quant au travail d’intérêt général, son prononcé est en chute de 30 %. Les juges lui donnent peu de crédit, car il demande un suivi. Le TIG prend en compte les compétences du condamné, une logistique (lieu de travail, de logement, transport). L’exécution de la peine de prison reste « plus facile » à gérer... donc plus appliquée.

Mélanie Pautrel

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