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Entreprise et intérêt général : jusqu’où peut-on aller ?

Entreprise et intérêt général : jusqu’où peut-on aller ?
Publié le 27/05/2018 à 10:03

Le 9 mars 2018 Nicole Notat et Jean-Dominique Senard remettaient au gouvernement leur rapport intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » destiné à alimenter la réflexion sur la relation entre entreprise et intérêt général dans le cadre de la future loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) souhaitée par le gouvernement.

La principale proposition du rapport vise à renforcer la prise en compte par les entreprises de l’impact social et environnemental de leurs activités. En effet l’article 1833 du Code civil, qui dispose que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés », se verrait ajouter l’alinea suivant : « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Il convient de s’interroger sur les raisons du débat actuel qui porte sur le rôle de l’entreprise dans la société (I) pour mieux apprécier l’opportunité de nouveaux changements au Code civil (II) et en apercevoir les limites (III).


1. L’éternelle recherche de la contribution de l’entreprise à l’intérêt général[1] 

L’intérêt général, né au siècle des Lumières, s’entend comme l’expression d’un intérêt propre à la collectivité qui transcende les intérêts particuliers, comme l’a rappelé Jean-Jacques Rousseau dans le « Contrat social ». Appliqué à l’entreprise, l’intérêt général serait compris comme étant la somme des intérêts de ses actionnaires, de ses parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs, ONG, riverains…) et de l’intérêt propre à l’entreprise elle-même.

Depuis ces vingt dernières années, sous l’influence des ONG, des associations de consommateurs, de l’opinion publique, des lanceurs d’alerte, des investisseurs, et pour finir des jeunes générations de salariés qui exigent de leurs employeurs un engagement sociétal durable, on attend de l’entreprise une utilité beaucoup plus large que le seul bénéfice versé aux actionnaires.

2. Faut-il pour autant légiférer pour affirmer que l’entreprise n’a pas pour seul objectif le profit   ?

On constate que la loi ou encore les actions volontaires des entreprises contribuent largement à la mise en œuvre d’actions de RSE.

Depuis près de 20 ans la loi française impose aux entreprises d’une certaine dimension de prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux de leurs activités, que ce soit par la publication d’informations extra-financières ou encore par le contrôle de leur chaîne d’approvisionnement (loi NRE de 2001, loi « Grenelle 2 » de 2010, loi de 2015 sur la transition énergétique, ordonnance de 2017 remplaçant le dispositif « Grenelle 2 » par une déclaration de performance extra-financière, loi Sapin 2 contre la corruption de 2016, loi sur le devoir de vigilance de 2017).

Ce dispositif est de plus en plus globalisé, y compris hors d’Europe. Par exemple l’Inde, pays de grande tradition philanthropique, est devenue en 2014 le premier pays au monde à imposer à ses grandes entreprises de consacrer au moins 2% de leur bénéfice annuel à des activités RSE et à publier leurs actions sociétales.[2]

Aux contraintes légales il faut ajouter les démarches volontaires de bon nombre d’entreprises, grandes ou petites, que ce soit par le biais de la soft law (codes de conduites, chartes éthiques, audits…) des actions sociétales des fondations d’entreprises (bourses, mécénat, contribution à l’éducation…) ou encore par l’adoption de standards communs à certains secteurs d’activité (par exemple le secteur financier ou encore celui des industries extractives). Toutes ces démarches contribuent à renforcer l’attention portée à un écosystème large de parties prenantes.


3. Il existe cependant des risques à un éventuel renforcement du cadre légal existant.


Tout d’abord, il faudrait des normes transnationales pour que les entreprises, qui sont de plus en plus mondialisées, puissent les appliquer de manière cohérente dans les différents pays où elles exercent leurs activités.


Ensuite, on peut se demander qui arbitrerait un éventuel conflit d’intérêts entre d’une part, l’intérêt des actionnaires et d’autre part, les intérêts sociaux et environnementaux. Il semble que l’on s’en remette au juge qui, au-delà de la seule interprétation des textes -ce qui est sa fonction- s’immiscerait désormais dans les décisions stratégiques et d’investissements des entreprises, avec un risque de juger en opportunité et non plus seulement en droit.

Si l’intention de modifier la loi est louable, il vaudrait peut-être mieux continuer à valoriser les nombreuses initiatives des entreprises qui  poursuivent un engagement sociétal. Les plus vertueuses attireront les autres dans cette démarche essentielle au progrès de l’humanité.


 

Anne Durez,


Présidente,


« Femmes de loi, femmes d’exception


 




 

   



[1] « Notre conviction est que l’entreprise est un outil puissant pouvant apporter une vraie contribution à l’intérêt général…». Lettre de mission du gouvernement à Nicole Notat et Jean-Dominique Senard.

[2] Article 135 du « Companies Act » de 2013 et « Companies CSR Rules de 2014.

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