Le 9 mars 2018 Nicole Notat et
Jean-Dominique Senard remettaient au gouvernement leur rapport intitulé
« L’entreprise, objet d’intérêt collectif » destiné à alimenter la
réflexion sur la relation entre entreprise et intérêt général dans le cadre de
la future loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des
entreprises) souhaitée par le gouvernement.
La principale proposition du rapport vise
à renforcer la prise en compte par les entreprises de l’impact social et
environnemental de leurs activités. En effet l’article 1833 du Code civil, qui
dispose que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée
dans l’intérêt commun des associés », se verrait ajouter l’alinea suivant : « la société
doit être gérée dans son intérêt propre, en
considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
Il convient de s’interroger sur les
raisons du débat actuel qui porte sur le rôle de l’entreprise dans la société
(I) pour mieux apprécier l’opportunité de nouveaux changements au Code civil (II)
et en apercevoir les limites (III).
1. L’éternelle recherche de la contribution de l’entreprise à l’intérêt
général[1]
L’intérêt général, né au siècle des
Lumières, s’entend comme l’expression d’un intérêt propre à la collectivité qui
transcende les intérêts particuliers, comme l’a rappelé Jean-Jacques Rousseau
dans le « Contrat social ». Appliqué à l’entreprise, l’intérêt
général serait compris comme étant la somme des intérêts de ses actionnaires,
de ses parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs, ONG,
riverains…) et de l’intérêt propre à l’entreprise elle-même.
Depuis ces vingt dernières années, sous
l’influence des ONG, des associations de consommateurs, de l’opinion publique,
des lanceurs d’alerte, des investisseurs, et pour finir des jeunes générations
de salariés qui exigent de leurs employeurs un engagement sociétal durable, on
attend de l’entreprise une utilité beaucoup plus large que le seul bénéfice
versé aux actionnaires.
2. Faut-il pour autant légiférer pour affirmer que l’entreprise n’a
pas pour seul objectif le profit ?
On constate que la loi ou encore les
actions volontaires des entreprises contribuent largement à la mise en œuvre
d’actions de RSE.
Depuis près de 20 ans la loi française impose
aux entreprises d’une certaine dimension de prendre en compte les impacts
sociaux et environnementaux de leurs activités, que ce soit par la publication
d’informations extra-financières ou encore par le contrôle de leur chaîne
d’approvisionnement (loi NRE de 2001, loi « Grenelle 2 » de 2010, loi
de 2015 sur la transition énergétique, ordonnance de 2017 remplaçant le
dispositif « Grenelle 2 » par une déclaration de performance
extra-financière, loi Sapin 2 contre la corruption de 2016, loi sur le devoir
de vigilance de 2017).
Ce dispositif est de plus en plus
globalisé, y compris hors d’Europe. Par exemple l’Inde, pays de grande
tradition philanthropique, est devenue en 2014 le premier pays au monde à
imposer à ses grandes entreprises de consacrer au moins 2% de leur bénéfice
annuel à des activités RSE et à publier leurs actions sociétales.[2]
Aux contraintes légales il faut ajouter
les démarches volontaires de bon nombre d’entreprises, grandes ou petites, que
ce soit par le biais de la soft law
(codes de conduites, chartes éthiques, audits…) des actions sociétales des
fondations d’entreprises (bourses, mécénat, contribution à l’éducation…) ou
encore par l’adoption de standards communs à certains secteurs d’activité (par
exemple le secteur financier ou encore celui des industries extractives). Toutes
ces démarches contribuent à renforcer l’attention portée à un écosystème large de
parties prenantes.
3. Il existe cependant des risques à un
éventuel renforcement du cadre légal existant.
Tout d’abord, il faudrait des normes
transnationales pour que les entreprises, qui sont de plus en plus
mondialisées, puissent les appliquer de manière cohérente dans les différents
pays où elles exercent leurs activités.
Ensuite, on peut se demander qui
arbitrerait un éventuel conflit d’intérêts entre d’une part, l’intérêt des
actionnaires et d’autre part, les intérêts sociaux et environnementaux. Il
semble que l’on s’en remette au juge qui, au-delà de la seule interprétation
des textes -ce qui est sa fonction- s’immiscerait désormais dans les décisions
stratégiques et d’investissements des entreprises, avec un risque de juger en
opportunité et non plus seulement en droit.
Si l’intention de modifier la loi est
louable, il vaudrait peut-être mieux continuer à valoriser les nombreuses
initiatives des entreprises qui poursuivent
un engagement sociétal. Les plus vertueuses attireront les autres dans cette
démarche essentielle au progrès de l’humanité.
Anne Durez,
Présidente,
« Femmes
de loi, femmes d’exception
[1]
« Notre conviction est que l’entreprise est un outil puissant pouvant
apporter une vraie contribution à l’intérêt général…». Lettre de mission du
gouvernement à Nicole Notat et Jean-Dominique Senard.
[2] Article
135 du « Companies Act » de 2013 et « Companies CSR Rules de
2014.