La
commission d’enquête du Sénat sur la production, la consommation et le prix de
l’électricité à l’horizon 2030/2050 a lancé ses travaux le 18 janvier
2024. Elle a d’ores et déjà prévu de les poursuivre jusqu’en juillet prochain.
Le 1er février 2024, ses membres se sont penchés sur les prévisions de
consommation des Français à long terme.
Pour
cette réflexion étaient conviés Thomas Veyrenc (directeur général économie,
stratégie et finances chez Réseau de transport d’électricité (RTE)), Tanguy de
Bienassis (analyse investissements énergie et climat à l’Agence internationale
de l’énergie), Yves Marignac (expert énergie à l’association mégawatt). Chacun
a pu exposer les scénarios qu’il envisage pour les années à venir.
En
introduction, le président de la commission d’enquête, Franck Montaugé, et le
rapporteur, Vincent Delahaye, ont rappelé l’objectif principal de la
rencontre : « apporter de la clarté à un sujet plutôt
nébuleux ». En effet, dans les
projections, d’ici à 2050, la consommation nationale d’électricité devrait
exploser, mais les différents acteurs de la politique énergétique ne
s'accordent pas sur tout.
2050,
c’est loin, comment prévoir notre consommation d’électricité ?
Thomas
Veyrenc, directeur général économie chez RTE, indique que, d’ores et déjà, « RTE
est obligé de bien prévoir la consommation électrique pour le lendemain, car
l’électricité ne se stocke pas ».
Pour
réaliser ces calculs, RTE utilise différents indicateurs. L’organisme modélise
des projections en fonction des usages des consommateurs. Les professionnels se
basent sur la composition des foyers, les équipements électroménagers ou encore
sur les consommations précédentes. Grâce à un partenariat stratégique avec
Météo France, RTE est également en mesure d’adapter ses pronostics de
consommation en fonction des conditions météorologiques.
Pour
l’organisme, il est indispensable de connaître la demande d’électricité en
temps réel en France afin de maîtriser l’équilibre entre la production et la
consommation à tout moment. « D’un point de vue factuel, la
consommation d’électricité au cours des dernières années n’a jamais été
supérieure à ce qui a été prévu dans nos scénarios » se félicite Thomas
Veyrenc.
Le
directeur général économie chez RTE, l’assure, pour ces dernières années, les
prévisionnistes qui avaient annoncé une baisse de la consommation d’électricité
ont eu raison. Au début des années 2000, la demande d’électricité avait
fortement augmenté, notamment à cause du chauffage et de l’usage croissant du
numérique. Alors que certains scientifiques pensaient que la tendance allait
poursuivre sa croissance, les prévisionnistes de RTE, quant à eux, avaient
annoncé le contraire. Au cours de l’année 2010, la réalité leur a donné raison.
RTE
explique cette baisse par la désindustrialisation, le remplacement des
chauffages électriques par des systèmes de chauffages plus économiques, la
progression de l’électroménager ou encore la réduction du nombre d’ordinateurs
fixes au profit d’ordinateurs portables, plus économiques. Le directeur est
formel : « d’un point de vue factuel, la consommation d’électricité au
cours des dernières années n’a jamais été supérieure à ce qui a été prévu dans
nos scénarios […]. Malheureusement, on avait vu juste ».
2030 / 2050, décennies de transition obligatoire
Les
organismes RTE (Réseau de transport d’électricité) et AIE (Agence
internationale de l’énergie) se rejoignent sur un scénario connu : pour
atteindre la neutralité carbone en 2050, il est nécessaire de remplacer les
sources fossiles, qui pourvoient à 91% du besoin énergétique, par de
l’électricité. En conséquence, la consommation électrique augmentera de façon certaine et
quantifiée au cours des prochaines années. Thomas Veyrenc résume « même
si on est sobres, même si on réussit à bien rénover nos logements et même s’il
y a d’autres énergies bas-carbone que l’électricité, le retrait des énergies
fossiles va mécaniquement faire augmenter notre consommation
d’électricité. »
Pour
autant, RTE affirme l’importance de sortir des énergies fossiles, qui, au-delà
des embarras économiques causés à la France lors de la crise énergétique de fin
2021, posent un souci indiscutable pour le climat. Tanguy de Bienassis, analyse
investissements énergie et climat à l’Agence internationale de l’énergie,
ajoute à cela qu’avec l’essor rapide de la voiture électrique, des pompes à
chaleur et de l’électrification des procédés industriels, il sera impossible
d’échapper à un accroissement de la demande en électricité.
Le
développement massif des énergies renouvelables est un deuxième facteur
anticipé par RTE. L’institution précise toutefois que le nucléaire restera dans
tous les cas le socle de la fourniture d’énergie. RTE mise sur une part
majoritaire des sources renouvelables dans le mix productif d’ici à 2050. Les
énergies considérées comme vertueuses pourraient ainsi délivrer entre 250 et
300 TWh d’électricité par an d’ici à 2035. De fait, il est indispensable de
poursuivre les chantiers de l’éolien maritime et terrestre, ou encore du
photovoltaïque.
RTE
s’intéresse à un autre sujet, celui de la sobriété énergétique. En réduisant de
(-) 40% la consommation globale d’énergie d'ici à 2050, il sera possible
d’atteindre la neutralité carbone. Cela représenterait environ une baisse de 1
600 TWh à 930 TWh. Toutefois, cette voie suppose des efforts continus des
entreprises et des particuliers. Le représentant de RTE souligne que dans tous
les cas « la tarification de l’électricité va jouer un rôle dans l’économie
d’électricité par les consommateurs ».
L’association
Mégawatt pour sa part prévoit une baisse de la consommation d’électricité entre
2030 et 2050. À ce sujet, elle invite à la sobriété énergétique pour limiter le
risque de pénurie et l’envolée des factures. Yves Marignac, expert énergie de
l’association, précise que « la France peut atteindre d'ici à 2050 un
modèle énergétique durable, avec une électricité 100 % renouvelable et une plus
grande efficacité dans toutes les consommations d’énergie ». Selon
Mégawatt, en priorisant les besoins essentiels, en usant de sobriété, et en
misant sur les énergies renouvelables, la France épouserait une trajectoire pertinente
avec un avenir énergétique soutenable.
Pour
la neutralité carbone, faut-il miser sur l’hydrogène ?
L’Agence
internationale de l’énergie émet des incertitudes quant à projeter les
bénéfices de l’hydrogène sur le futur. Elle justifie sa position par la
rapidité du développement des technologies ou encore la progression des data
centers. Tanguy de Bienassis précise que « malgré ce fort potentiel
d’électrification qui est indéniable, les projections sont souvent surestimées ».
De
son côté, RTE rappelle que pour produire de l’hydrogène, il faut de l’électricité.
Ainsi, il est important de pouvoir se procurer de l’électricité bon marché pour
miser sur l’hydrogène. L’implication de l’hydrogène dans le scénario dépendra
donc des conditions in situ.
Si
les hypothèses émises par les acteurs de la politique énergétique sont plutôt
positives, les perspectives restent toutefois à confirmer. En effet,
l’instabilité du système énergétique européen, avec notamment des incertitudes
sur la production de gaz, d’hydrogène et de carburants de synthèse dans le mix
de demain, entraîne des interférences notables dans les situations envisagées.
Les scientifiques rappellent que le renforcement des interconnexions
européennes fait partie des points clés du futur mix afin d’assurer la
concordance entre l’offre et la demande.
Sophie Benard