ÉCONOMIE

Faut-il réhabiliter l’impôt pour sauver les finances publiques ?

Faut-il réhabiliter l’impôt pour sauver les finances publiques ?
Publié le 15/05/2025 à 12:25

Le Printemps de l’économie, axé cette année sur le rôle de l’action publique, s’est intéressé au rôle de l’impôt en France. Face à la menace d’une crise budgétaire, l’État peut-il encore agir sans y recourir ? À l’heure où le déficit public atteint des records, la question de l’efficacité et de la justice fiscale est de nouveau sur la table.

L’impôt de nouveau au cœur des politiques publiques ? Alors que la France doit faire face à un déficit record, la perspective de nouveaux impôts émerge, bien que l’idée soit rejetée par le gouvernement. « Cela faisait quelques années que nous n’avions plus la possibilité de parler du rôle des impôts en France », explique Christian Chavagneux, éditorialiste au magazine Alternatives économiques, lors du Printemps de l’économie, jeudi 20 mars.

L’occasion de revenir aux bases de cette contribution : « Les impôts permettent de servir l’ambition d’un pays », décrit Elvire Guillaud, maitresse de conférences en économie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui en cite trois ambitions : « Faire nation et augmenter la cohésion sociale, lutter contre les inégalités, en permettant la redistribution, et bien utiliser notre richesse commune. »

Mais même avec ces ambitions, gare à ne pas taxer de manière indiscriminée, car la question de l’acceptabilité de l’impôt se pose. « Il faut s’intéresser à la manière dont la charge est répartie dans la population », estime Elvire Guillaud. Mais l’équité ne se suffit pas à elle seule : « Pour qu’un prélèvement soit accepté, il faut que la population comprenne à quoi cela va servir. Personne n’a envie de jeter son argent par les fenêtres ! », explique la chercheuse au centre d’économie de La Sorbonne.

La baisse des impôts a participé à la fragilisation des finances publiques

Un nouvel impôt pourrait pourtant aider à rétablir les comptes de l’État, actuellement dans le rouge. « Nous sommes aujourd’hui dans une situation budgétaire inquiétante », s’alarme François Ecalle, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes et président de l’association Fipeco. La dette est imputable notamment au « Quoi qu’il en coûte » durant la crise sanitaire, mais pas seulement, selon Anne-Laure Delatte : « Si nous sommes dans cet état budgétaire, c’est en partie à cause d’une stratégie économique de baisse des prélèvements obligatoires depuis 2017. »

L’économiste assure que cette baisse des prélèvements représente 2 % du PIB, soit 60 milliards d’euros. « Cette stratégie semblait logique pour booster l’activité et récupérer des recettes grâce à un taux d’emploi plus important, mais elle n’a pas fonctionné », analyse Anne-Laure Delattre. « On a utilisé l’impôt comme une politique d’incitation à l’embauche d’employés peu productifs », déplore Elvire Guillaud.

« Même si elles ont des effets favorables, je ne pense pas que les baisses d’impôts sur les entreprises s’autofinancent », estime François Ecalle. « La principale mesure d’exonération sur les dernières années est la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, qui représente 15 à 20 milliards d’euros sur les 60 milliards, ce n’est pas un impôt sur les entreprises », rappelle-t-il.

Un problème d’endettement qui laisse planer un risque : la hausse importante des taux d’intérêts, qui ne ferait qu’aggraver l’endettement. « L’Histoire a montré que cela pouvait se terminer par des crises très dures et l’obligation de prendre des mesures de redressement très violentes », rappelle François Ecalle.

Le spectre de la crise de la dette publique grecque est dans toutes les têtes : en moins de deux ans, les taux d’intérêt du pays avaient atteint des sommets (jusqu’à plus de 40 % pour le taux à 10 ans), contraignant le pays a un plan d’austérité sévère. « Personne ne sait à quel niveau d’endettement ce genre de crise arrive, explique François Ecalle. Cela dépend de facteurs parfois très qualitatifs, comme la crédibilité des politiques publiques. »

Le projet de « taxe Zucman », remède miracle ?

La réflexion sur les finances publiques passe notamment par de nouveaux prélèvements. Le 20 février, la proposition de « taxe Zucman » a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale. Cette taxe, inspirée des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, vise à créer un « impôt plancher sur la fortune » de 2 % pour les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, et pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros.

Objectif, résume Elvire Guillaud, « rétablir un peu de justice sociale », alors qu’une étude de l’Institut des politiques publiques de 2023 a montré que les plus hauts revenus contribuaient moins que la classe moyenne à l’impôt.

Mais une telle taxe pourrait faire fuir les grandes fortunes. « La France possède déjà un dispositif qui permet de taxer les personnes ayant été résidents français », rappelle Anne-Laure Delatte, économiste chargée de recherche au CNRS.

Il existe en effet une « exit tax » en France, bien que son périmètre ait été considérablement réduit en 2019 : alors que l’impôt sur les dividendes pouvait auparavant être exigé jusqu’à 15 ans après le départ fiscal, ce délai a été réduit à cinq ans au maximum.

La baisse des dépenses inévitable ?

Autre possibilité, la réduction des dépenses est elle aussi étudiée. « La situation actuelle de la dette publique est essentiellement due à une baisse des recettes », assure Elvire Guillaud, qui rappelle que les prélèvements ont été réduits de deux points de PIB depuis 2017. « On peut diminuer les dépenses, mais il faut pour cela accepter de diminuer l’ambition du pays », estime-t-elle.

« On a des marges pour augmenter les prélèvements obligatoires, mais ces marges ne sont pas très grandes », souligne pour sa part François Ecalle. Le président de l’association Fipeco plaide plutôt pour un mélange entre économies soutenables et hausse mesurée des prélèvements.

Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, estime, plus mesuré, que « regarder aides d’un côté et fiscalité de l’autre sans faire la jonction entre les deux, c’est rompre l’équilibre entre l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit ». L’économiste regrette un « émiettement » de la fiscalité et des aides, créé par l’utilisation de l’impôt comme d’un outil de la politique publique, comme les diverses taxes comportementales (sucre, tabac, carburants, etc.) : « Nous devrions plutôt nous interroger sur le mode opératoire le plus efficace pour atteindre l’objectif que l’on s’assigne. »

Denis Ferrand fait remarquer que certaines entreprises mettent en place des divisions spécialisées dans la recherche de subventions spécifiques, face à la complexité des dispositifs. « Est-ce vraiment le travail d’une entreprise ? », se demande de manière rhétorique le directeur de Rexecode.

« Si vous augmentez l’IS, vous faites payer des actionnaires d’autres pays »

Mais sur qui répercuter la hausse des prélèvements ? En tous cas pas sur les entreprises, selon François Ecalle : « On a un problème de compétitivité et un déficit chronique d’échanges de biens et services. » L’ancien membre de la Cour des comptes assure que ce n’est pas la meilleure manière pour taxer les Français les plus riches : « La moitié du CAC 40 est détenue par des étrangers. Si vous augmentez l’impôt sur les sociétés, vous faites payer des actionnaires d’autres pays. »

Si François Ecalle propose tout de même d’alléger certains dispositifs, comme le crédit d’impôt recherche (CIR) ou les allègements de cotisations patronales, il suggère plutôt de taxer les ménages, via l’impôt sur le revenu ou la flat tax sur les dividendes. Pour Denis Ferrand, toucher au crédit d’impôt recherche serait contre-productif : « En l’absence de CIR, on se retrouve avec un niveau de prélèvement sur les chercheurs beaucoup plus élevé qu’en Allemagne ou aux Pays-Bas. »

Avec l’économiste Lucas Chancel, Anne-Laure Delatte a estimé possible de lever jusqu’à 50 milliards d’euros supplémentaires en France. Premier levier : la réforme de l’héritage, avec la réduction de l’impôt sur les classes moyennes et l’augmentation de cet impôt chez les classes plus aisées. Les différentes exonérations de charges sociales sont également dans le viseur de la chargée de recherche au CNRS. Celles-ci représentaient un coût de 75 milliards d’euros pour les finances publiques en 2023.

Mais les potentielles économies détectées pourraient être insuffisantes : « Pour simplement arriver à stabiliser la dette publique à son niveau actuel, il faudrait économiser 120 milliards, estime François Ecalle. Il faudrait même trouver 150 à 180 milliards si on veut augmenter les dépenses du côté militaire ou environnemental, soit par des hausses d’impôts, soit par des économies sur les autres dépenses. »

Seule solution si l’on ne veut pas passer par les impôts : l’augmentation de la croissance. « Si l’on est prudent, mieux vaut ne pas trop compter là-dessus », conclut le président de Fipeco…

Alexis Duvauchelle

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