Le Printemps de l’économie,
axé cette année sur le rôle de l’action publique, s’est intéressé au rôle de
l’impôt en France. Face à la menace d’une crise budgétaire, l’État peut-il
encore agir sans y recourir ? À l’heure où le déficit public atteint des
records, la question de l’efficacité et de la justice fiscale est de nouveau
sur la table.
L’impôt de nouveau au cœur
des politiques publiques ? Alors que la France doit faire face à un
déficit record, la perspective de nouveaux impôts émerge, bien que l’idée soit
rejetée par le gouvernement. « Cela faisait quelques années que nous
n’avions plus la possibilité de parler du rôle des impôts en France »,
explique Christian Chavagneux, éditorialiste au magazine Alternatives
économiques, lors du Printemps de l’économie, jeudi 20 mars.
L’occasion de revenir aux
bases de cette contribution : « Les impôts permettent de servir
l’ambition d’un pays », décrit Elvire Guillaud, maitresse de
conférences en économie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui en cite
trois ambitions : « Faire nation et augmenter la cohésion sociale,
lutter contre les inégalités, en permettant la redistribution, et bien utiliser
notre richesse commune. »
Mais même avec ces ambitions,
gare à ne pas taxer de manière indiscriminée, car la question de
l’acceptabilité de l’impôt se pose. « Il faut s’intéresser à la manière
dont la charge est répartie dans la population », estime Elvire
Guillaud. Mais l’équité ne se suffit pas à elle seule : « Pour
qu’un prélèvement soit accepté, il faut que la population comprenne à quoi cela
va servir. Personne n’a envie de jeter son argent par les fenêtres ! »,
explique la chercheuse au centre d’économie de La Sorbonne.
La baisse des impôts a
participé à la fragilisation des finances publiques
Un nouvel impôt pourrait pourtant
aider à rétablir les comptes de l’État, actuellement dans le rouge. « Nous
sommes aujourd’hui dans une situation budgétaire inquiétante »,
s’alarme François Ecalle, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes et
président de l’association Fipeco. La dette est imputable notamment au
« Quoi qu’il en coûte » durant la crise sanitaire, mais pas
seulement, selon Anne-Laure Delatte : « Si nous sommes dans cet
état budgétaire, c’est en partie à cause d’une stratégie économique de baisse
des prélèvements obligatoires depuis 2017. »
L’économiste assure que cette
baisse des prélèvements représente 2 % du PIB, soit 60 milliards d’euros.
« Cette stratégie semblait logique pour booster l’activité et récupérer
des recettes grâce à un taux d’emploi plus important, mais elle n’a pas
fonctionné », analyse Anne-Laure Delattre. « On a utilisé
l’impôt comme une politique d’incitation à l’embauche d’employés peu productifs »,
déplore Elvire Guillaud.
« Même si elles ont
des effets favorables, je ne pense pas que les baisses d’impôts sur les
entreprises s’autofinancent », estime François Ecalle. « La
principale mesure d’exonération sur les dernières années est la suppression de
la taxe d’habitation sur les résidences principales, qui représente 15 à 20
milliards d’euros sur les 60 milliards, ce n’est pas un impôt sur les
entreprises », rappelle-t-il.
Un problème d’endettement qui
laisse planer un risque : la hausse importante des taux d’intérêts, qui ne
ferait qu’aggraver l’endettement. « L’Histoire a montré que cela
pouvait se terminer par des crises très dures et l’obligation de prendre des
mesures de redressement très violentes », rappelle François Ecalle.
Le spectre de la crise de la
dette publique grecque est dans toutes les têtes : en moins de deux ans,
les taux d’intérêt du pays avaient atteint des sommets (jusqu’à plus de
40 % pour le taux à 10 ans), contraignant le pays a un plan d’austérité
sévère. « Personne ne sait à quel niveau d’endettement ce genre de
crise arrive, explique François Ecalle. Cela dépend de facteurs parfois
très qualitatifs, comme la crédibilité des politiques publiques. »
Le projet de « taxe
Zucman », remède miracle ?
La réflexion sur les finances
publiques passe notamment par de nouveaux prélèvements. Le 20 février, la
proposition de « taxe Zucman » a été adoptée en première lecture par
l’Assemblée nationale. Cette taxe, inspirée des travaux de l’économiste Gabriel
Zucman, vise à créer un « impôt plancher sur la fortune » de 2 %
pour les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, et pourrait rapporter
entre 15 et 25 milliards d’euros.
Objectif, résume Elvire
Guillaud, « rétablir un peu de justice sociale », alors
qu’une
étude de l’Institut des politiques publiques de 2023 a
montré que les plus hauts revenus contribuaient moins que la classe moyenne à
l’impôt.
Mais une telle taxe pourrait
faire fuir les grandes fortunes. « La France possède déjà un dispositif
qui permet de taxer les personnes ayant été résidents français »,
rappelle Anne-Laure Delatte, économiste chargée de recherche au CNRS.
Il existe en effet une
« exit tax » en France, bien que son périmètre ait été
considérablement réduit en 2019 : alors que l’impôt sur les dividendes
pouvait auparavant être exigé jusqu’à 15 ans après le départ fiscal, ce délai a
été réduit à cinq ans au maximum.
La baisse des dépenses
inévitable ?
Autre possibilité, la
réduction des dépenses est elle aussi étudiée. « La situation actuelle
de la dette publique est essentiellement due à une baisse des recettes »,
assure Elvire Guillaud, qui rappelle que les prélèvements ont été réduits de
deux points de PIB depuis 2017. « On peut diminuer les dépenses, mais
il faut pour cela accepter de diminuer l’ambition du pays »,
estime-t-elle.
« On a des marges
pour augmenter les prélèvements obligatoires, mais ces marges ne sont pas très
grandes », souligne pour sa part François Ecalle. Le président de
l’association Fipeco plaide plutôt pour un mélange entre économies soutenables
et hausse mesurée des prélèvements.
Denis Ferrand, directeur
général de Rexecode, estime, plus mesuré, que « regarder aides d’un
côté et fiscalité de l’autre sans faire la jonction entre les deux, c’est
rompre l’équilibre entre l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit ».
L’économiste regrette un « émiettement » de la fiscalité et
des aides, créé par l’utilisation de l’impôt comme d’un outil de la politique
publique, comme les diverses taxes comportementales (sucre, tabac, carburants,
etc.) : « Nous devrions plutôt nous interroger sur le mode
opératoire le plus efficace pour atteindre l’objectif que l’on s’assigne. »
Denis Ferrand fait remarquer
que certaines entreprises mettent en place des divisions spécialisées dans la
recherche de subventions spécifiques, face à la complexité des dispositifs.
« Est-ce vraiment le travail d’une entreprise ? », se
demande de manière rhétorique le directeur de Rexecode.
« Si vous augmentez
l’IS, vous faites payer des actionnaires d’autres pays »
Mais sur qui répercuter la
hausse des prélèvements ? En tous cas pas sur les entreprises, selon
François Ecalle : « On a un problème de compétitivité et un
déficit chronique d’échanges de biens et services. » L’ancien membre
de la Cour des comptes assure que ce n’est pas la meilleure manière pour taxer
les Français les plus riches : « La moitié du CAC 40 est détenue
par des étrangers. Si vous augmentez l’impôt sur les sociétés, vous faites
payer des actionnaires d’autres pays. »
Si François Ecalle propose
tout de même d’alléger certains dispositifs, comme le crédit d’impôt recherche
(CIR) ou les allègements de cotisations patronales, il suggère plutôt de taxer
les ménages, via l’impôt sur le revenu ou la flat tax sur les dividendes. Pour
Denis Ferrand, toucher au crédit d’impôt recherche serait
contre-productif : « En l’absence de CIR, on se retrouve avec un
niveau de prélèvement sur les chercheurs beaucoup plus élevé qu’en Allemagne ou
aux Pays-Bas. »
Avec l’économiste Lucas
Chancel, Anne-Laure Delatte a estimé possible de lever jusqu’à 50 milliards
d’euros supplémentaires en France. Premier levier : la réforme de
l’héritage, avec la réduction de l’impôt sur les classes moyennes et
l’augmentation de cet impôt chez les classes plus aisées. Les différentes
exonérations de charges sociales sont également dans le viseur de la chargée de
recherche au CNRS. Celles-ci représentaient un coût de 75 milliards d’euros
pour les finances publiques en 2023.
Mais les potentielles
économies détectées pourraient être insuffisantes : « Pour
simplement arriver à stabiliser la dette publique à son niveau actuel, il
faudrait économiser 120 milliards, estime François Ecalle. Il faudrait
même trouver 150 à 180 milliards si on veut augmenter les dépenses du côté
militaire ou environnemental, soit par des hausses d’impôts, soit par des
économies sur les autres dépenses. »
Seule solution si l’on ne
veut pas passer par les impôts : l’augmentation de la croissance. « Si
l’on est prudent, mieux vaut ne pas trop compter là-dessus », conclut le
président de Fipeco…
Alexis
Duvauchelle