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Justice des mineurs : « Il ne faut pas oublier la prévention et l’accompagnement éducatif »

Justice des mineurs : « Il ne faut pas oublier la prévention et l’accompagnement éducatif »
Publié le 07/05/2024 à 11:40

Alors que le gouvernement a annoncé un durcissement des sanctions à l’égard de mineurs délinquants et de leurs parents, le Conseil national des barreaux et 16 organisations appellent à donner les moyens nécessaires pour faire appliquer les textes déjà existants plutôt que de légiférer de nouveau. Pour l’avocat Arnaud de Saint Remy, « la clef se trouve bien plus dans un accompagnement de la loi telle quelle existe aujourd’hui ».

Pour la profession d’avocat et les syndicats engagés dans la protection de l’enfant notamment, trop c’est trop. Quelques jours après les annonces du premier ministre Gabriel Attal pour faire face à la délinquance juvénile, le Conseil national des barreaux, sur l’impulsion d’Arnaud de Saint Remy, membre élu et membre fondateur du Collectif national Justice des Enfants, a publié, en réponse, le 25 avril, un communiqué intitulé « La jeunesse mérite mieux que des caricatures ».

Loin de s’inscrire dans un débat politique, ce texte, fruit d’un consensus, est « davantage un texte mesuré dans sa rédaction » pour dire « l’appel à la fermeté très bien, mais sans réponse éducative, cela ne mènera à rien », nous explique l’avocat et ancien bâtonnier au barreau de Rouen Arnaud de Saint Remy. « Certes, le titre est peut-être un peu fort, mais dire que l’autorité est la seule réponse qui vaille face à la délinquance juvénile, ça me dépasse », fustige-t-il.

« Derrière l’ambition affichée de “réinstaurer l’autorité” se dévoile une vision de la société basée sur la sanction » peut-on d’ailleurs lire dans ledit communiqué. De fait, « on oublie l’esprit de l’ordonnance de 1945 qui consiste à traiter d’une manière particulière la délinquance ou la criminalité juvénile, qui n’est pas à traiter de la même manière que la criminalité chez les adultes » souligne l’ancien bâtonnier de Rouen, qui rappelle les propos de Robert Badinter : « Un mineur, ce n'est pas un adulte en réduction. Un mineur, c'est un être en devenir. »

« Ce que nous craignons aujourd’hui, confie Arnaud de Saint Remy, c’est qu’en faveur d’un discours de plus en plus répressif, coercitif, on modifie cette approche de la justice pénale des mineurs sans beaucoup de réflexion. Or, responsabilité pénale ne veut pas dire responsabilité éducative ».

« Juger certains adolescents comme des majeurs, c’est nier l’existence même de l’enfance »

Mi-avril, à la suite de l’assassinat d’un collégien pour lequel trois mineurs ont notamment été mis en examen, Gabriel Attal avait fait savoir qu’il « ouvrirait le débat » sur l' « excuse de minorité », qui permet qu’un mineur soit sanctionné moins sévèrement qu’un majeur. Si cette excuse de minorité peut déjà être levée à partir de 16 ans, elle pourrait ainsi bientôt être levée dès l’âge 13 ans, autrement dit dès le moment où le mineur est censé être considéré comme pénalement responsable, le Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) ayant institué un texte de présomption d’innocence.

De l’avis d’Arnaud de Saint Remy, cette perspective est inquiétante, un mineur de 13-14 ans n’ayant parfois pas la maturité nécessaire pour saisir toute la portée de ses actes, comme l’avocat l’a constaté au travers de plusieurs dossiers. Il le martèle : « La délinquance et la criminalité juvéniles ne doivent pas conduire à une réponse pénale au travers d’une énième réforme législative alors que les textes peinent déjà à s’appliquer. »

De son côté, le Syndicat national des personnels de l’éducation et du social (SNPES), signataire du communiqué, rappelle qu’« un jeune auteur d'un passage à l'acte est avant tout un jeune en danger », et ajoute qu’ « imaginer juger certains adolescents comme des majeurs, c’est renier le fait qu’un jeune, dont la personnalité est en construction, puisse avoir droit à l’erreur. C’est considérer qu’un enfant ou qu’un adolescent, être en devenir, ait les mêmes capacités de discernement qu’un adulte. En somme, c’est nier l’existence même de l’enfance. »

À lire aussi : Code de la justice pénale des mineurs : deux ans après, un « bilan positif », pour le ministère de la Justice

Des propos qui font écho à son communiqué du 18 avril dans lequel le syndicat s’est insurgé contre le premier ministre : « Dans un amateurisme éhonté, Gabriel Attal balaye d’un revers de la main les raisons pour lesquelles il existe une justice des enfants spécifique dans notre pays. »

« La culpabilisation et la sanction des parents ne pourra qu’avoir un effet contre-productif »

Autre sujet de discorde, la responsabilisation des parents d’un enfant délinquant. Si le gouvernement entend restaurer la parentalité « en aggravant le délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales et en les sanctionnant pour leur absence à une audience concernant leur enfant », pour l’organe représentatif des avocats et les signataires, « la culpabilisation et la sanction des parents qualifiés de “démissionnaires” ne pourra qu’avoir un effet contre-productif ».

D’autant qu’ « en dehors des cas de maltraitance, la plupart des parents concernés sont en grande difficulté éducative et parfois financière, et ne le seront que davantage avec des sanctions principalement liées au comportement de leurs enfants », avance le communiqué.

Même chose s’agissant du rehaussement de la peine d’emprisonnement pour manquement à ses devoirs parentaux, qui passerait de deux à trois ans. « Ce n’est pas cela qui va changer les choses ou qui va empêcher le parent de connaître ces manquements, estime Arnaud de Saint Remy. La clef se trouve bien plus dans un accompagnement de la loi telle quelle existe aujourd’hui. »

Concernant les travaux d’intérêt général pour les parents défaillants, là encore l’annonce ne passe pas. « Des TIG vont être créés pour ces parents, mais dans quels domaines ? Dans quels délais, quand on sait que le délai moyen pour qu’un TIG soit accompli est de 10-15 mois ? Il n’y a pas assez de TIG, pas assez d’entreprises en proposant, pas assez de collectivités, d’encadrement. Donc finalement on va créer quelque chose qui ne va pas s’appliquer » déplore Arnaud de Saint Remy.

L’avocat juge en revanche «  bien plus intéressant » ce qui existe déjà, et ce que prononcent « quasi systématiquement », selon lui, les tribunaux quand un manquement aux obligations parentales est constaté ; soit un stage de responsabilité parentale. Concrètement, durant deux jours, les parents concernés suivent à leurs frais ce stage où sont reprises les « bases » en la matière.

Par ailleurs, lorsqu’un parent est mis en cause dans une affaire pénale pour manquement à ses obligations parentales, il y a systématiquement ouverture d’un dossier d’assistance éducative, affirme l’avocat. « Parfois, les policiers interviennent sur des violences intrafamiliales, sur le dérapage d’un mineur vis-à-vis d’un autre mineur, et là il y a poursuites pénales. Les parquets se disent alors qu’il y a un problème avec l’enfant mineur, et automatiquement il y a ouverture d’un dossier d’assistance éducative, et donc intervention de l’équipe éducative qui se met en place. Ce ne sont pas les TIG qui feront le travail », pointe Arnaud de Saint Remy.

Réécrire la loi ne résoudra pas la question de la délinquance juvénile

« C’est d’une véritable politique ambitieuse en faveur de toute la jeunesse en difficulté dont nous avons besoin », affirme de son côté le SNPES. « Cela passe par un renfort conséquent des moyens consacrés aux dispositifs de prévention et de protection de l’enfance, d’une augmentation significative des possibilités d’accueil en foyers ou en famille d’accueil, de dispositifs d’insertion, mais aussi, plus largement, d’une politique d’accès aux soins en santé mentale à la hauteur des besoins repérés par l’ensemble de la profession » préconise-t-il.

Des propos corroborés par Arnaud de Saint Remy, qui explique par ailleurs que « plutôt que de voir un législateur qui modifierait tous les X mois ou années une loi qui aurait du mal à être votée, et dont nous n’avons pas toujours les textes d’application, il vaudrait mieux que nos pouvoirs publics s’attachent à donner les moyens de la mise en application des textes qui existent aujourd’hui ».

Finalement, « cela donne l’impression qu’il faut absolument faire quelque chose au niveau de la loi alors que le mieux est de donner les moyens nécessaires pour déjà appliquer la loi telle qu’elle existe et qui n’est pas si mal » conclut l’avocat. Ce dernier ne voit dans cette volonté de changer la loi qu’une réponse vis-à-vis de l’opinion publique pour montrer que les choses sont prises en main.

En outre, l’ancien bâtonnier de Rouen regrette une réforme de ces textes alors qu’il aura fallu pas moins de trois ans pour rédiger le CJPM : « J’ai du mal à comprendre que le garde des Sceaux veuille revoir la copie d’un texte qu’il a lui-même défendue, avec des équilibrages notamment sur la délinquance juvénile, pour dire aujourd’hui il faut le revoir, le travail n’était pas bon parce qu’il faut être encore plus répressif. Je trouve cela triste, car on va modifier les lois en faisant croire à nos concitoyens qu’on répond le mieux possible à la question, or ce n’est pas la solution. »

En effet, selon Arnaud de Saint Remy, c’est par les moyens qui vont être consacrés à la justice pénale des mineurs que la question de la délinquance juvénile pourra être résolue, « surtout à l’heure où les éducateurs croulent sous des dossiers de mineurs délinquants, sans moyen de prise en charge en temps réel, avec pour seule réponse une peine de prison qui ne sera pas exécutée car il n’y a pas assez de places, pas assez de centres éducatifs fermés ».

L’avocat ajoute : « On vient dire “plus de répression et de mis en cause”, or, que font véritablement les pouvoirs publics pour assurer la mission qui est la leur ? » Voilà qui est dit !

Allison Vaslin

1 commentaire
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Arthur G
- la semaine dernière
Très bon article, dommage qu'il soit affiché comme sur téléphone cela rend la lecture désagréable... Un site pas responsive en 2024, vraiment ?
CNB

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