La juridiction a cassé la
décision du tribunal administratif de Paris de juin dernier, estimant que le
doute sur la légalité du texte ne suffisait pas, à lui seul, à caractériser une
situation d’urgence. La demande de transmission d’une QPC a également été
rejetée.
Le Conseil d’État a rétabli, mardi
15 juillet, l’arrêté du 25 février 2025 qui imposait la vérification de l’âge
pour l’accès aux sites internet comportant des contenus pornographiques.
L’arrêté, qui liste l’ensemble
des services domiciliés sur le sol européen (hors France) soumis à cette
obligation de vérification d’âge, avait été suspendu le 16 juin dernier par une
ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris, après une
demande de la société éditrice Hammy Media, maison mère du site Xhamster. La
juridiction doutait de la légalité de la mesure avec le droit européen.
« Un tel doute suffit
à caractériser à lui seul une situation d’urgence », avait alors
estimé le TA de Paris, assurant qu’une telle obligation limitée à certains
sites uniquement pousserait leurs utilisateurs à se tourner vers les sites
concurrents non listés par l’arrêté, « ce qui créera à leur profit un
avantage concurrentiel qu'il sera long, difficile ou coûteux de réduire ou
d'éliminer ».
« Aucun élément
permettant d’établir […] une atteinte grave à la situation économique »
Saisi par la ministre de la
Culture Rachida Dati et la ministre chargée de l’Intelligence artificielle et
du Numérique Clara Chappaz, le Conseil d’État a annulé cette ordonnance,
arguant que « la société n’apporte aucun élément permettant d’établir
que l’application de l’arrêté contesté porterait une atteinte grave à sa
situation économique ».
La plus haute juridiction de
l’ordre administratif a aussi rejeté les accusations d’atteinte à la liberté
d’expression et à la protection de la vie privée visant le texte. Selon le
Conseil d’État, « l’arrêté n’interdit pas la diffusion de contenus
pornographiques auprès des personnes majeures, mais impose seulement de mettre
en place des systèmes de vérification de l’âge efficaces, dans le cadre des
garanties prévues par la loi ».
La situation d’urgence
pourtant constatée par le TA de Paris n’a pas été considérée comme telle par le
Conseil d’État, qui a assuré que « le juge des référés du tribunal
administratif de Paris a commis une erreur de droit » en prenant en
compte le doute quant à la compatibilité de cet arrêté avec le droit de l’Union
européenne pour appuyer sa décision de suspendre l’arrêté.
De plus, la juridiction a insisté
sur l’intérêt public supérieur que représente cet arrêté pour la protection des
mineurs. Le Conseil d’État a déterminé que l’existence de possibilités de
contournement de ces systèmes de vérification d’âge ne remettait pas en cause l’efficacité
des dispositions législatives dans la prévention.
Une QPC similaire déjà
retoquée par le Conseil d’État
Le Conseil d’État a également
clarifié l’articulation entre l’arrêté et le droit européen. Il rappelle qu’un
État membre peut, sous conditions, imposer des obligations à des services
établis dans un autre pays de l’Union. Cela suppose de respecter la procédure
prévue par l’article 3, paragraphe 4, de la directive sur le commerce
électronique, qui autorise des restrictions sur des entreprises de sociétés
ayant leur siège social dans un autre pays européen si elles sont justifiées
par des objectifs d’intérêt général, notamment la protection de la santé
publique. Il est également nécessaire que de telles mesures soient
proportionnées, et que l’État d’origine du service ait été informé au préalable.
Selon les juges, « les conditions procédurales ont été respectées », et
la mesure est légitime au regard de l’objectif de protection des mineurs.
La juridiction a en outre
rejeté la demande de transmission au Conseil constitutionnel de la question
prioritaire de constitutionnalité (QPC) formulée par la société requérante, qui
contestait la conformité des articles 10-1 et 10-2 de la loi du 21 juin 2004 à
la Constitution. Ces deux articles permettent à l’Arcom de mettre en demeure
les sites pornographiques qui ne mettent pas en place de système efficace de
vérification de l’âge pour empêcher l’accès des mineurs.
En cas de non-respect,
l’autorité peut ordonner le blocage ou le déréférencement du site, y compris
lorsqu’il est établi dans un autre État membre de l’Union européenne. La
société estimait que ces dispositions portaient atteinte à la liberté
d’expression et à la liberté d’entreprendre. Le Conseil d’État a considéré que
la question soulevée n’était pas nouvelle ni sérieuse. La juridiction avait en effet déjà étudié et rejeté une demande
similaire le mois dernier.
L’annulation de la suspension
de l’arrêté n’a pas tardé à entraîner des conséquences : quelques heures
après la publication de la décision, plusieurs sites internet, notamment
Pornhub et Youporn, ont été de nouveau bloqués en France par leur propriétaire,
Aylo, qui a dénoncé un « dysfonctionnement législatif ». La
société a expliqué préférer une autre méthode : la sécurisation de chaque
téléphone, ordinateur ou tablette, sur lesquels seuls les adultes identifiés
seraient autorisés à déverrouiller les contenus les plus sensibles. « La
technologie nécessaire à cette fin existe aujourd’hui », a assuré Aylo.
Alexis
Duvauchelle