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Le difficile contrôle de l’accès à la pornographie chez les mineurs

Le difficile contrôle de l’accès à la pornographie chez les mineurs
Publié le 17/07/2023 à 16:01

Malgré la présence de dispositions législatives destinées à éviter que les jeunes publics n’accèdent à des images sensibles, la loi n’est toujours pas respectée par les propriétaires des sites Internet concernés, pointe la Cour de cassation, et la pornographie reste pour l’heure « une notion d'interprétation délicate » assortie d’une jurisprudence complexe.

Chaque mois, 2,3 millions de mineurs fréquentent des sites pornographiques. C’est le résultat d’une étude produite par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) d’après des données d’audience internet fournies par Médiamétrie. Dès 12 ans, ce sont même 51 % des garçons qui se rendent sur ce type de site en moyenne chaque mois, et près des deux tiers ont entre 16 et 17 ans. La loi est pourtant censée empêcher l’accès de ces sites aux mineurs.

Aux yeux du droit pénal, le fait de fabriquer, transporter ou diffuser des images pornographiques, au même titre que les contenus incitant au terrorisme par exemple, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende « lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur », est-il indiqué dans l’article 227-24 du Code pénal, qui précise d’ailleurs depuis 2020 que ces infractions restent constituées « y compris si l’accès d’un mineur […] résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans ». « L'observation de la jurisprudence montre que c’est la diffusion qui est le plus souvent l'objet de la poursuite, notamment lorsque l’on parle de sites pornographiques », a expliqué la professeure de droit privé à l’université Panthéon-Assas, Agathe Lepage, lors d’un colloque organisé fin mai par la Cour de cassation, au sujet du « contrôle de l’accès des mineurs à la pornographie en ligne ».

Malgré ces dispositions, la plupart des sites pornographiques les plus connus ne demandent toujours rien de plus qu’une simple déclaration de l’internaute. Des actions sont actuellement menées pour leur blocage en France après une mise en demeure par l’Arcom, mais deux recours sont en cours d’examen par le Conseil d’État. La décision devrait intervenir d’ici l’été, et le tribunal judiciaire de Paris statuera dans la foulée.

Dans l’article 227-23, c’est la pédopornographie qui est condamnée, définie par le Code comme « l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique ». Celle-ci est punie de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. La consultation doit être habituelle pour être constitutive d’une infraction, mais « à défaut d’habitude, une consultation de tels sites pédopornographiques en contrepartie d’un paiement est un signe criminologique inquiétant et qui dénote une attirance toute particulière pour ces contenus », a assuré Agathe Lepage.

En bref : les images ou représentations de mineurs à caractère pornographique, autrement dit la pédopornographie, sont illicites en elles-mêmes, quel que soit l'âge du public (article 227-23), tandis que la pornographie n'est illicite que dans la mesure où elle est perceptible par un mineur, ce qui en fait un message réservé aux majeurs (article 227-24).

Ces deux articles visant, pour des raisons différentes, à protéger les mineurs, figurent dans un paragraphe intitulé « Des infractions sexuelles commises contre les mineurs ». « Il est donc question de pornographie de part et d'autre dans ces deux textes d'incrimination, qui suggèrent un danger pour le mineur », a expliqué la professeure.

Le contrôle parental intégré dans tous les appareils

Pour mieux protéger les enfants de ces contenus, les fournisseurs d'accès ont depuis peu l’obligation de prévoir dès la mise en place de l'accès à des services de communication en ligne une information sur le contrôle parental. Un décret du 11 juillet 2023 oblige par ailleurs les fournisseurs d’équipements électroniques (smartphones ou ordinateurs par exemple) à préinstaller un système de contrôle parental. Le site internet, jeprotegemonenfant.gouv.fr, a également été mis en place par l’État pour accompagner les parents, pouvant faire partie d’une génération peu à l’aise avec les nouvelles technologies, dans la gestion de ces dispositifs de contrôle parental.

Malgré ces définitions, les interprétations diffèrent selon les juges : « La pornographie est une notion complexe et d'interprétation délicate », a assuré Agathe Lepage, qui a précisé que la jurisprudence pénale, comme administrative, est complexe au sujet de cette notion. Elle a notamment cité des arrêts de la cour d'appel de Paris rendus au début des années 2000 ayant conduit à des condamnations de gérants de sites pornographiques. « Mais ils auraient aujourd'hui beau jeu d'invoquer l'article 10 de la CEDH [article garantissant la liberté d’expression, ndlr] », a déploré la professeure en droit privé.

La jurisprudence européenne floue

Dans l’Union européenne, les lois diffèrent selon les pays, et les jurisprudences sont difficilement interprétables. « On pourrait se tourner vers la Convention internationale des droits de l'enfant qui pourrait nourrir la jurisprudence de la CEDH, notamment l'article 17 qui traite de la liberté d'expression des mineurs, qui est à la fois le droit de recevoir et le droit d'accéder à des informations », a affirmé Fabien Marchadier, professeur de droit privé à l’université de Poitiers. Cet article reconnait en effet à l’enfant le droit à l’ « accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale ». « La question du bien-être paraît ici assez peu définie », a déploré Fabien Marchadier.

Le professeur a pris l’exemple d’un policier qui s’était connecté à Internet et était tombé sur une page librement accessible servant uniquement à présenter un site internet. Il fallait ensuite souscrire à un abonnement pour accéder au contenu du site. « Les images en accès libre étaient obscènes. Je pense qu'il n'y avait pas vraiment d'ambiguïté sur la qualification. Et pour avoir permis un accès gratuit et libre à ce type de contenu, le propriétaire du site a été condamné pénalement à une peine assez lourde, 30 mois de prison. Il a contesté à la fois l'infraction et la peine qui a été prononcée, sur le fondement de l'article 10 pour la liberté d'expression. Il me semble que dans cette décision, à peu près tous les arguments qui sont aujourd'hui mis en avant par les sites pornographiques les plus consultés ont été abordés par la Cour européenne des droits de l'homme qui les a rejetés les uns après les autres », a détaillé le professeur. Le propriétaire dudit site a aussi mis en avant le fait que le site était exploité par une société constituée aux États-Unis, et qu’il respectait de surcroit les lois de ce pays. « La Cour de Strasbourg a rejeté l'argument en expliquant que ce n'est pas parce que c'est licite dans un État que nécessairement le contenu sera licite ni ne fera l'objet d'une sanction dans un autre État », a rapporté le professeur.

Le deuxième argument opposé à la Cour par l’accusé concernait le manque d’efficacité de ce type de loi, qui ne répondrait pas à un besoin social impérieux, voire serait disproportionné. Réponse de la Cour : ce n'est pas parce qu'un dispositif manque d'efficacité que l'on pourrait reprocher à un État d'avoir au moins tenté une protection, et notamment de protéger les personnes vulnérables.

Troisième argument qui avait été avancé par le propriétaire du site : il n'était responsable de rien puisqu’il ne faisait que proposer un contenu, les personnes étaient libres d'y accéder ou de se détourner de ce contenu. S'agissant des personnes vulnérables, il s’est également défaussé, justifiant qu'il s'agissait d'abord pour les parents de surveiller ce que font leurs enfants. Là encore, la Cour a rejeté cet argument en expliquant que ces fichiers pouvaient être accessibles par des mineurs, et que l'émetteur d'un contenu ne peut pas reporter la responsabilité de l'accès à ce contenu sur le récepteur de ce contenu.

Une mesure de blocage trop large peut être censurée

« La Cour assure au final que l'éditeur du contenu aurait pu éviter de porter préjudice à quiconque, et notamment d'exposer ou de risquer d'exposer des mineurs à ce type de contenu, en choisissant des images peut-être moins explicites, mais tout en faisant la promotion de son site, qui encore une fois en soi n'est pas illicite. Ce que reproche aussi la Cour, c'est d'avoir choisi des images en accès gratuit mais pour inciter le plus possible les personnes à payer un abonnement sur des pages qui n'étaient pas soumises à un dispositif de vérification d'âge », a conclu Fabien Marchadier à propos de cette affaire, ajoutant néanmoins que la peine de 30 mois de prison était « très lourde, ce qui aurait pu conduire la Cour à constater une violation du droit à la liberté d’expression ».

En ce qui concerne les mesures de blocage mises en place dans le droit français, le professeur n’a pas noté de jurisprudence explicite de la Cour de Strasbourg. Celle-ci s'est tout de même prononcée sur des mesures de blocage d'accès à des sites Internet, mais dans des configurations assez particulières et qui, la plupart du temps, n’ont aucun rapport avec la pornographie. La Turquie avait repéré un site hébergé et qui portait atteinte souvent à la mémoire d’Atatürk, qui donc ne respectait pas la loi turque. En fait, ce n'est pas le site qui a été bloqué, mais l'hébergeur dans son ensemble, Google Sites. Dans cette affaire, la Cour a censuré, par l'ampleur de la mesure de blocage et par l'insuffisance du contrôle juridictionnel.

Un projet de loi en cours d’adoption plus contraignant pour les sites concernés

Le projet de loi sur la sécurisation et la régulation de l’espace numérique, présenté au début du mois de mai et adopté en première lecture au Sénat le 5 juillet dernier, contient dans sa première partie une section visant à protéger les mineurs en ligne. Il consacre la compétence de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) pour « veiller à ce que les contenus pornographiques mis à la disposition du public par un service de communication au public en ligne ne puissent pas être accessibles aux mineurs et en conséquence, à ce que les personnes dont l’activité est d’éditer un tel service de communication au public en ligne vérifient préalablement l’âge de leurs utilisateurs ». L’instance est également en charge de l’établissement d’un « référentiel déterminant les caractéristiques techniques applicables aux systèmes de vérification de l’âge mis en place pour l’accès aux services de communication au public en ligne qui mettent à la disposition du public des contenus pornographiques, en matière de fiabilité du contrôle de l’âge des utilisateurs et de respect de leur vie privée », qu’elle devra publier dans les six mois après la promulgation de la loi, et après avis de la Cnil.

Si un site concerné venait à mettre en place un système de vérification non conforme à la loi, il pourrait revoir une sanction ne pouvant pas excéder 75 000 euros ou 1 % du chiffre d’affaires mondial. Ce montant peut monter à 250 000 euros et 4 % du chiffre d’affaires en cas d’absence de ce système de vérification ou de la seule présence d’une déclaration de majorité, et même jusqu’à 500 000 euros ou à 6 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes en cas de réitération du manquement dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

La pédopornographie est également abordée dans le projet de loi, qui oblige le retrait des images concernées dans les 24 heures. « Le texte continue de nous montrer une certaine proximité entre la pornographie et la pédopornographie, puisque l'un et l'autre de ces contenus sont envisagés sous des angles et dans des dispositions différentes », a assuré Agathe Lepage. « C'est une préoccupation pour le législateur, qu'il s'agisse donc de la pornographie, qu'on serait presque tenté de qualifier de "classique", et de la pédopornographie, qui est la pornographie qui implique un mineur. »

Alexis Duvauchelle

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