DROIT

Loi Duplomb, rétention en CRA, PLM : le Conseil constitutionnel fait le ménage

Loi Duplomb, rétention en CRA, PLM : le Conseil constitutionnel fait le ménage
La réntroduction de l'acétamipride, point controversé de la loi Duplomb.©BABETH ALOY/ Hans Lucas/AFP
Publié le 08/08/2025 à 16:06

Trois décisions très attendues ont été rendues par le Conseil constitutionnel, ce jeudi 7 août au soir, sous la pression du monde agricole et de l’opinion publique. Le point sur les principales mesures retoquées par les Sages et sur les réactions qu’elles suscitent.

·      Feu rouge : pas d’allongement de la rétention des étrangers présumés dangereux

C’est un camouflet pour Bruno Retailleau qui avait porté cette mesure dès son arrivée au ministère de l'Intérieur. Jeudi, le Conseil constitutionnel a largement vidé de sa substance la loi visant à allonger la durée de maintien en centre de rétention administrative (CRA) des étrangers présumés dangereux.

Le texte prévoyait d'allonger cette durée de 90 à 210 jours pour les étrangers en CRA, en instance d'expulsion, condamnés pour certains faits graves ou présentant une menace d'une « particulière gravité » à l'ordre public, ainsi qu'à ceux ayant été condamnés pour certains crimes ou délits graves. Une durée aujourd'hui uniquement applicable aux personnes condamnées pour terrorisme.

Dans leur décision, les Sages, saisis par les députés insoumis et communistes, ont jugé que l’élargissement proposé par la loi « n’est pas proportionné à l'objectif de lutte contre l’immigration irrégulière poursuivi ».

Le Conseil a rappelé que « le placement en rétention d'un étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire doit respecter le principe (...) selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit pas nécessaire ».

Pour Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade, association de défense des droits de migrants, interrogée par l’AFP, cette décision rappelle que « dans un Etat de droit, on ne peut pas agir impunément avec la privation de liberté ». « Nous saluons ce coup d'arrêt porté à une dérive sécuritaire, de surcroît inefficace et maltraitante », a ajouté la responsable de l'association chargée d'intervenir dans les CRA.

« Chez nos voisins, les étrangers peuvent être maintenus en rétention jusqu’à 18 mois. En France, le Conseil constitutionnel interdit de dépasser 90 jours. Il ne protège plus les Français », a estimé à l'inverse le chef de file des députés LR Laurent Wauquiez.

Le Conseil constitutionnel a toutefois approuvé deux autres mesures controversées du texte : la prise d’empreintes digitales et de photographies d'un étranger en rétention administrative sans son consentement et le placement en rétention d'un demandeur d’asile dont le comportement constitue une menace à l’ordre public, sous réserve que l’autorité administrative caractérise cette menace réelle.

·      Feu orange : légères retouches pour la loi Duplomb

« Il faut se réjouir de la censure partielle du Conseil constitutionnel, même si on peut regretter qu’il ne soit pas allé plus loin », a réagi l’avocat Sébastien Mabile, vice-président du comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Le Conseil constitutionnel n’a censuré que la disposition la plus contestée de la loi Duplomb. Celle qui prévoyait la réintroduction sous conditions de l'acétamipride, un pesticide interdit de la famille des néonicotinoïdes, jugée par les Sages contraire à la Charte de l'environnement.

Au contraire, le Conseil constitutionnel a validé les simplifications administratives accordées aux plus gros élevages, ainsi qu'à la construction de méga-bassines - avec quelques réserves néanmoins pour cette deuxième mesure : la possibilité de contester devant le tribunal « l’intérêt général majeur » des ouvrages et l’interdiction de pomper dans les nappes dites à inertie.

Il a également estimé que la procédure d'adoption du texte, qui avait été rejeté par ses propres défenseurs à l'Assemblée, était conforme à la Constitution.

Au sommet de l’Etat, on a pris « bonne note » de cette décision, a réagi Emmanuel Macron qui « promulguera la loi dans les meilleurs délais », sans l’article sur les néonicotinoïdes. La ministre de l'Agriculture Annie Genevard a estimé pour sa part que cette décision maintenait « une divergence entre le droit français et le droit européen » et entretenait les « conditions d'une concurrence inéquitable » en Europe.

« Le Conseil constitutionnel a rendu une décision parfaitement rationnelle et juridiquement indiscutable. L’interdiction des néonicotinoïdes et les réserves sur les méga-bassines réaffirment la portée du principe de précaution et l’importance du long terme », a réagi pour sa part l’avocate et ancienne ministre de l’Environnement, Corinne Lepage.

Avant la censure partielle de la loi Duplomb, la dernière grande décision des Sages touchant à l'environnement remonte au 20 mars 2025 avec la censure partielle de la loi d'orientation agricole, première décision depuis l'arrivée de Richard Ferrand à la présidence du Conseil. L’instance avait censuré près d'un tiers de ses articles, dont plusieurs mesures censées consacrer le principe de « souveraineté alimentaire » et répondre à la colère des agriculteurs sur le poids des contrôles et normes.

Le sénateur LR Laurent Duplomb, à l’origine de la loi, n’exclut pas un nouveau texte pour réintroduire le pesticide acétamipride contesté, tenant compte des décisions des Sages. Les Ecologistes demandent, eux, un réexamen complet du texte.

·      Feu vert : Un nouveau mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille pour les prochaines municipales

Trois recours avait été déposé contre la loi visant à réformer le mode d’élection des maires de Paris, Lyon et Marseille, mais le Conseil constitutionnel a bien validé un nouveau mode de scrutin pour ces métropoles, et le texte s’appliquera dès 2026 pour les élections municipales.

Les Sages ont relevé que pour ces trois communes, les plus peuplées de France, le législateur était fondé à vouloir « améliorer la représentation des diverses sensibilités politiques au sein (de leurs) assemblées délibérantes », « conformément à l'objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants de pensées et d'opinions ».

La réforme conduit à un système de double élection : l'une pour élire les membres du Conseil lesquels élisent ensuite le maire -, l'autre pour élire ceux de l'arrondissement.

Le député de Paris Renaissance, Sylvain Maillard, qui avait porté la réforme, s’est réjoui de « la fin d'une anomalie démocratique ». Cette refonte du mode de scrutin était aussi soutenue par le gouvernement. Elle avait été votée début juillet par l'Assemblée, malgré l'hostilité du Sénat.

Vent debout contre ce texte, la gauche parisienne accuse le coup. Emmanuel Grégoire, tête de liste socialiste pour 2026, a pour sa part « pris acte » de la décision et, à l'instar de son concurrent Ian Brossat (PCF), a dénoncé un « tripatouillage » visant à favoriser la candidature de Rachida Dati à la mairie de Paris.

Dans la capitale, la très solide implantation de la gauche dans les arrondissements de la moitié Est pouvait apparaître comme un « verrou » lui permettant de conserver son hégémonie au Conseil de Paris depuis 2001.

Ce nouveau mode de scrutin pourrait en outre permettre au RN d'entrer au Conseil de Paris - un seul candidat du Front national ayant jusqu'alors réussi cet exploit, lors de la mandature 1995-2001.

Delphine Schiltz

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