Qu’est-ce que la mixité change ou pourrait
changer au sein des Conseils d’Administration et de Surveillance, voire au-delà
dans les Codir/Comex ? Y a-t-il plus largement un effet d’entraînement sur
la politique d’égalité des entreprises ?
Quota or not quota
De plus en
plus d’Etats dont des fidèles à la soft law, ont adopté ou prévoient
d’adopter des lois dites « quotas » dont la loi Coppé-
Zimmermman* est emblématique. Ainsi, de l’Allemagne ou de la Californie qui a
entamé cet été une action de nature législative qui devrait être adoptée sous
peu, un mouvement se déploie et lorsqu’il n’est pas de nature législative, il
s’agit d’engagements de place comme au Royaume-Uni.
* Rappel : la loi du 27 janvier
2011 (loi
Copé-Zimmermann) fixait un objectif à atteindre en 2017 de 40 % d’un des deux sexes au sein des conseils
d’administration et de surveillance pour les entreprises cotées et celles de
plus de 500 salarié/es et dont le chiffre d’affaires dépasse
50 millions d’Euros et la loi du 4 août 2014 (loi Vallaud-Belkacem) étend
l’obligation dans les conseils d’administration des entreprises de
250 salarié/es pour 2020.
Une
dynamique évidente
L’effet de la loi est indéniable : à l’issue des AG de 2018, il y a
43,3 % de femmes dans les conseils
d’administration et de surveillance des sociétés du SBF120. La mixité des CA
des grands groupes est donc réalisée, avec globalement un fort assentiment des
actionnaires qui votent très bien les Résolutions de nomination ces dernières
années : sur le CAC All Tradable, 97 % de votes positifs en moyenne depuis 2012.
Cependant, en deçà du SBF 120, pour les entreprises du marché réglementé
d’Euronext (561 sociétés), la proportion est selon l’AFECA (chiffres de
2017) respectivement de 34,77 % pour les Big Caps du
compartiment A, 30,60 % dans les Mid Caps du compartiment B et 28,34 % dans les Small Caps du C et, fait
intéressant, sur ALTERNEXT PARIS (164 sociétés) non soumises à la loi, le
pourcentage a peu bougé avec un taux de 17 %.
Les
incomplétudes ou limites
Ainsi, un 1er bémol est à mettre, car ces évolutions notables se révèlent
insuffisantes pour atteindre le quota sur le périmètre d’après. Hors cote, les
données hélas approximatives laissent à penser que le quota n’est pas atteint,
et la perspective de l’extension du périmètre aux entreprises de
250 salariés
pour 2020 ne semble
pas encore préparée.
Le second
concerne l’influence relative des administratrices nommées. Elle est à
mesurer objectivement en fonction du
nombre de présidences dans les comités, etc. ; le reste demeurant affaire
de personnalité et de réseau mais difficilement mesurable, même si certains
tentent d’approcher la notion de réseau d’influence (1). On a pas mal lu à ce
sujet que les femmes étaient discriminées. J’ai un avis différent, il semble
logique qu’une nouvelle nommée au même titre qu’un nouveau nommé excepté s’il
est (elle est) DG ou très expérimenté/e fasse ses classes au sein du Conseil,
apprenne la société avant de prendre des responsabilités supplémentaires au
sein d’un Comité. Les dernières évolutions mesurées notamment par Ethics and
Boards ou Gouvernance & Structures et tout spécialement Deloitte (2) semblent rassurantes :
« Pour les sociétés du SBF 120, le taux médian de participation des
femmes aux comités spécialisés du conseil est de 39 %, identique à leur
représentation au sein du conseil (39 %). En revanche, le taux de
présidence féminine d’un comité spécialisé est de 33 %, inférieur à leur
taux de participation au conseil, mais en hausse significative…et plus
importante pour les comités d’Audit (44 %), RSE (61 %), Ethique
(75 %) et Risques (50 %) ».
C’est au final, l’effet d’entrainement espéré de « la loi quota »
sur l’amélioration de la mixité des instances dirigeantes (Comex/Codir), et plus largement
sur l’égalité hommes/femmes au sein de l’entreprise qui
interpelle. La proportion moyenne de femmes au Comex des sociétés du SBF 120 est passée 12 à 15 % entre 2013 et 2017 ; en post AG 2018 la non corrélation entre mixité du CA et mixité du Comex est parfois
troublant : AccordHotel à 40 % pour le CA est de 8,3 % de femmes au Comex
et L’Air Liquide ou Axa carrément à 0, etc.
Identifier
l’influence de la mobilisation d’actionnaires activistes pour donner plein
effet et au-delà de la loi paraît donc intéressant.
En 2015, l’EWSDGE (European Women Shareholders Demand Gender Equality),
a réuni une centaine d’actionnaires femmes juristes dans onze pays de l’Union
européenne et dans cent vingt-cinq AG de sociétés cotées pour poser des
questions sur la politique de mixité. En France, l’Association Française des Femmes
Juristes et AAA+ ont ainsi pu poser des questions écrites et orales sur la
place des femmes dans les instances dirigeantes dans une vingtaine de sociétés
du CAC40 et les Présidents-Directeurs Général ou DG de répondre et
prendre des engagements.
L’égalité hommes/femmes monte en puissance auprès des
investisseurs : Morgan Stanley a lancé en 2013 son Parity Portfolio qui investit dans des entreprises dont le
conseil d’administration ou de surveillance compte au moins trois femmes.
Barclays a son nouvel indice composé d’entreprises américaines « Women
in Leadership Index ».
Et l’activisme sociétal se développe, on citera entre autres le rapport
critique de Proxinvest datant de 2016 ; le livre
blanc de la Fédération des Femmes Administrateurs sur le conseil 4D qui entre
autres, plaide pour plus de diversité (10 juillet 2018), l’indice
Zimmermann 2018 (12 juillet 2018) qui intègre des critères de
féminisation dépassant les conseils afin que la Mixité des CA ne touche pas que
le haut de la pièce montée !
Le gouvernement avec le projet Pacte souhaite imposer un reporting
systématique sur la mixité des COMEX sur le périmètre des grands groupes cotés.
Des femmes
en nombre au sein des Conseils – ça change quoi sur la Gouvernance ?
L’effet
nouvel entrant
Comme tout nouvel entrant, les femmes ont des attentes importantes.
Ecartées de ces espaces de pouvoir, elles ont développé une version idéalisée
du fonctionnement des Conseils et de la mission des administrateur/es (3). En
tant que minoritaires, le complexe de l’Imposteur fait son œuvre et elles
recourent aux compétences pour se rassurer sur leur légitimité de « femme
quota », préparant donc bien leurs dossiers. Il a été vérifié que les
administratrices sont plus assidues, préparent les réunions, posent des
questions. Des « patrons » le disent, leur CA est « plus
professionnel, plus efficient (4).
Des attentes
liées à la posture de minoritaire
Toutefois, d’autres facteurs interfèrent. Souvent atteintes dans leur
parcours par l’exercice autoritaire du pouvoir, elles sont désireuses d’exercer
celui-ci de manière plus collective. Relativement libérées de la quête des
attributs du pouvoir, elles préfèrent œuvrer pour entreprendre des actions
concrètes au nom de l’intérêt social de l’entreprise. Redoutant les conflits
directs, elles ont en général développé une capacité de médiation et
d’influence. Elles cultivent également un sens aigu du respect de la règle car
une majorité d’entre elles a subi des situations de discrimination et intégré
que la norme protège.
Enfin, le désir de changer de modèle est une constante : « faire
évoluer la gouvernance, trop financière, pas assez opérationnelle » ; assurer une palette des compétences et une diversité des profils ; faire de l’évaluation des conseils un exercice systématique
et ayant des conséquences pour que le CA joue « son rôle de
pilote dans l’avion » (5).
Les travaux Gender and Governance menés depuis 2011 (6) et vérifiés maintes fois au sein du programme Women Be Board Ready
à l’ESSEC, puisent leur source dans la littérature académique concernant les
rapports minoritaire/majoritaire ethniques aux USA (7), et permettent de
distancier de la problématique Femme/Homme (8). Le minoritaire apprend
l’écoute, développe une capacité de coopération, de médiation et a une capacité
d’anticipation parce qu’il a appris à « écouter » (… le
majoritaire). Le complexe de l’Imposteur le conduit à être assidu et à
s’emparer des sujets. Son potentiel passé de discriminé/e le conduit à
s’opposer à ce qui est non conforme à ses convictions, et à être attaché/e aux
règles.
Cependant, ces considérations utilisées sur la question de la mixité des
instances de décision supposent que soit évité le réflexe de SURADAPTATION au
majoritaire ou celui d’ÉVITEMENT – D’où l’intérêt de la proportion
minoritaire suffisante et la justification des quotas (9).
Conclusion
Le monde bouge, le moteur de pouvoir passe de la main à celui de la
responsabilité. Le CA et ses membres sont responsables de la conduite de
l’entreprise au nom de l’intérêt social, dans une perspective pérenne et
inclusive. Le nouveau code de place du Royaume-Uni de juillet 2018 l’exprime clairement. Les interrogations sur la place des parties
prenantes, la mission de la société ou encore la place des administrateurs
salariés au Conseils sont autant d’éléments de gouvernance qui viennent abonder
cette perspective. Les femmes y trouvent leur place comme agents de changement.

1) CEO
gender and corporate board structures, Melissa B.FryeaDuong T. Phamb - The Quarterly Review of Economics and Finance - 6 december 2017.
2) Structure de la gouvernance des sociétés cotées-
Observatoire du capital humain - Centre de gouvernement d’entreprise, 2018. 3) Women on boards in French companies
between the desire of new politics and the reality of old power, Maryse Dubouloy, Londres, décembre 2011.
4) Serge Weinberg - Women Be Board Ready ESSEC :
https://youtu.be/SWMO2nSGvGY).
5) Série d’entretiens CEDE-ESSEC : https://www.boyden.com/media/women-and-their-relationship-to-power-169220/etude_francais.pdf.
6) Synthèse: https://www.boyden.com/media/women-and-their-relationship-to-power-169220/etude_francais.pdf.
7) Serge Moscovici.
8) http://gender.vivianedebeaufort.fr/diversite-des-conseils/.
9)
Critical Mass on Corporate Boards: Why three or
more women enhance governance, Richard Ivey, School of business, University Western
Ontario, 2006.
Viviane de Beaufort,
Professeure à l’ESSEC, Directrice du CEDE et des
programmes Women ESSEC
et gender Empowerment - Fondatrice du Club Gen «
Startuppeuse »