«
Quand je dessine une BD, j’évite les librairies de BD, ça faciliterait
l’aquoibonisme. »
Loustal,
2016,
Propos
recueillis par Alexis Seny, bd-best.com
La
« bande dessinée », par abréviation « BD » ou « bédé », doit son nom au fait
que, dans ce type d’ouvrage, les dessins-images racontant une histoire, sont
insérés de façon juxtaposée et horizontale, faisant ainsi une bande de lecture
à lire de gauche à droite.
Chaque
dessin-image est représenté dans une « case » ou « vignette », et plusieurs
vignettes sur une même ligne forment la bande.
Le
terme de « bande dessinée », désignant à l’origine un segment linéaire et
horizontal d’une page, a fini par désigner l’ensemble du recueil, dit « album
», d’où l’expression usuelle, actuelle et générique de « bande dessinée ».
À
noter toutefois que l’expression « album de bandes dessinées » est plus proche
de l’acception première en ce sens que l’on comprend qu’il désigne un ouvrage
comportant des bandes dessinées.
La
renommée de certains personnages de BD engendre le plus souvent un raccourci
d’usage qui fait disparaître le terme même de bande dessinée : on parle d’ «
album de Tintin » ou d’ « album d’Astérix ».
L’ensemble
des cases ou vignettes figurant sur une page s’appelle une « planche » ; ce
terme technique est bien connu des amateurs de BD et des professionnels du
marché de l’art. Nous allons nous y arrêter pour oser quelques définitions et
expressions, parfois sérieuses, parfois fantaisistes. Pourquoi ne pas oser ?
Mille sabords !
La planche, sa définition, ses expressions
La
planche est donc une page d’album qui contient les vignettes. Chaque album
imprimé en X ou Y exemplaires est composé de planches au nombre, en général, de
46,?correspondant à un format d’imprimerie.
Le
terme fait référence à la planche à dessin sur laquelle travaillaient ou
travaillent encore les dessinateurs, mais aussi les architectes, les
décorateurs et autres concepteurs, ces derniers faisant des « planches
d’ambiance ou des planches tendance ».
On
rapprochera également de la planche à dessin l’expression « plancher sur », qui
veut dire faire un travail approfondi sur un sujet le plus souvent purement
conceptuel.
Mais
d’autres expressions courantes et populaires peuvent aussi être employées à
propos d’un auteur de bande dessinée ou de son œuvre.
Ainsi,
quand un auteur de bande dessinée a « du pain sur la planche », c’est qu’il a
beaucoup de travail et que ses planches lui permettent de bien gagner son pain1.
Pour les auteurs qui connaissent des difficultés financières, avoir une
commande de bande dessinée est pour eux une « planche de salut ». Si un auteur
calomnie un confrère auprès de son éditeur, il est juste de dire qu’il lui «
savonne la planche ». Enfin, quand une planche est très appréciée, on peut dire
qu’elle est digne d’éloges mais dans le cas contraire « she Iznogood » (en
anglais dans le texte).
La planche,
ses vignettes, ses bulles
Une planche se divise en « cases », encore appelées
« vignettes », cernées d’un trait noir et au nombre de une à six par
bande.
Les vignettes font la BD, elles sont l’unité de base ; l’une après l’autre, elles racontent
l’histoire des personnages par un enchainement logique, méthodique de
situations, de scénettes. Elles déroulent généralement l’aventure de façon
chronologique, mais le « flash-back » n’est pas rare pour
évoquer ou rappeler une situation ante
utile à la compréhension du récit.
Le terme « flash-back » n’est pas incongru dans la
terminologie de la BD, tant cette dernière, 9e art, s’apparente au 7e art2.
D’abord, au fond, on relève dans la BD un enchaînement de plans (c’est
une seule image) comme dans un film, chaque plan étant nécessaire au déroulé de
l’histoire. Du « montage » (on dit plutôt « découpage »
pour la BD) de ces plans résulte le rythme narratif ; il faut éviter les
tunnels, les répétitions, les défauts de « raccords ». Le montage
fait souvent le succès ou l’échec d’un film ou d’une BD. Une case en plus ou en
moins, un plan en plus ou en moins et le résultat peut être décevant. Si
l’auteur de la BD a omis une vignette importante, on peut dire de lui qu’il lui
« manque une case », sans que cela ne
porte, évidemment, un jugement sur son état mental…
Du seul point de vue terminologique, on constate de nombreux emprunts
au cinéma tels, outre le flash-back déjà cité, les termes : plan
américain, gros plan, plan rapproché, angle de vue, plongée, contre plongée,
champ-contrechamp3.
Dans chaque vignette se trouve un personnage qui s’exprime par le
langage (pas toujours châtié, comme celui du capitaine Haddock !) ou par la pensée au moyen d’une
« bulle », encore appelée « phylactère ». Le mot
phylactère, du latin phylacterium et du grec phulaktêrion, est un
nom masculin qui ne désigne ni un animal, ni un médicament, mais, selon la
définition du Larousse, désigne « dans
la religion juive, chacun des deux étuis cubiques de cuir contenant un petit
morceau de parchemin sur lequel sont inscrits quatre passages essentiels de la
Loi, fixés par des lanières, lors de la prière, au front et au bras gauche
».
Tout en respectant l’origine religieuse de ce terme, on préférera celui
de « bulles » beaucoup plus pétillant. On imagine les difficultés de
communication du festival de Saint-Malo, « Quai des bulles » s’il
devait se dénommer « Quai des phylactères » et la perplexité des
touristes : départ des bateaux pour les îles phylactères ? Fruits de mer ?
Pâtisserie locale détrônant le kouign-amann ?
Quand un auteur attend tranquillement une commande ou qu’il s’octroie
quelques semaines de pause dans son art, donc quand il n e
fait rien, on peut dire à coup sûr qu’il « coince la bulle ».
Cette expression provient du langage militaire. Avant qu’un mortier
d’artillerie puisse être opérationnel, il fallait qu’il soit parfaitement
horizontal, et à cet effet, il possédait un niveau intégré. Ce niveau indiquait
l’horizontal quand une petite bulle, flottant dans un liquide coloré, restait
coincée juste au milieu de deux repères extrêmes (c’est encore la même
technique dans tous les niveaux à bulle actuels utilisés par les
bricoleurs et les professionnels.) Une fois que la bulle était coincée, le
mortier était prêt et son servant n’av ait plus qu’à attendre l’ordre de tirer, ce qui pouvait être long ; en attendant, le
servant ne faisait rien ! D’où le lien entre la bulle coincée et le fait de ne rien
faire. Dans le langage courant, l’expression est souvent réduite à « buller », mais avec le même sens.

La planche
originale, sa place dans le marché de l’art
Il convient
de distinguer le terme
« planche » au sens générique
du terme «
planche originale » qui désigne la
planche originelle
réalisée de la main de l’auteur ; ce dernier, commettant ainsi une œuvre nouvelle, originale et reflétant
l’empreinte de sa personnalité, devient titulaire de droits d’auteur.
Il y a
encore quelques années, ces originaux étaient considérés comme des documents
préparatoires, sans valeur ; l’auteur les ignorait, les détruisait, les
offrait après usage et, le plus souvent, ne les réclamait même pas à son
éditeur après tirage.
Ce n’est
plus le cas aujourd’hui, le marché de l’art a investi la BD et dans la BD,
donnant à la planche une individualité et une valeur marchande autonome.
Des
festivals de BD sont organisés (pas à Deauville dont « les planches » pourtant s’y prêteraient bien), des collectionneurs
investissent et revendent avec une plus-value (ils font « marcher la planche à
billets » ! ). Les auteurs et
les propriétaires des planches originales4?ont désormais conscience de la valeur de ces
dernières et surveillent les circuits commerciaux, n’hésitant pas à ester en
justice pour défendre leurs droits d’auteur et réclamer
interdiction de reproduction et dommages-intérêts5.
Quant aux maisons de ventes, elles rivalisent de départements dédiés
avec des spécialistes réputés, font monter la cote et établissent des records
(2014 : 7,5 millions d’euros, record du monde pour une vente de BD – 2,6
millions d’euros, record du monde pour un dessin de BD ; 2016 : une planche de
Tintin s’est vendue 1,55 million d’euros, un record pour une planche ;
2020 : la première couverture, inédite, du Lotus bleu de Tintin va
passer aux enchères en novembre, chez Artcurial, avec une estimation de 2 à 3
millions d’euros ). « La BD attire les maisons de ventes » titrait, en
2016, le Journal des Arts6.
Le feu d’enchères très hautes met aux prises acheteurs américains, asiatiques
et européens. Quand un collectionneur enchérit sur un autre, on peut dire
qu’ « il monte sur les planches ».
La planche
originale de BD est devenue un produit financier pouvant provoquer une
« bulle spéculative », alors que les albums restent, pour la plupart
des lecteurs, des ouvrages dont la seule valeur est l’intérêt de l’histoire, la
passion pour un personnage et la nostalgie des albums de leur jeunesse.
La planche,
son label, son économie
La qualité
des albums, la renommée et la créativité des auteurs, mais aussi l’audience
internationale de leurs personnages donnent à la BD ses lettres de noblesse et
leur confèrent le titre
de « 9e art ». La lecture des BD n’est plus l’apanage des enfants et
des gens incultes. Les lecteurs ont tous les âges, exercent toutes les
professions, sont d’origines sociales diverses et ont un niveau culturel
souvent très élevé. Adieu l’expression:
« il est ignare, il ne lit que des bandes
dessinées ! ».
La bande
dessinée est désormais un secteur artistique indépendant qui se distingue des
autres formes d’art. C’est aussi une industrie culturelle dont on se préoccupe
de la santé économique.
En 2019, les ventes de BD se sont traduites par 48 millions d’albums vendus, en hausse de 11 % par rapport à 2018. Toutefois, pour la
même année, le montant total des ventes aux enchères est estimé à 5 millions d’euros contre 6 millions
d’euros en 20187. Les ventes des maisons de
ventes en tête dans ce domaine, Christie’s, Artcurial, Sotheby’s, Cornette de
Saint-Cyr, sont en retrait du fait d’une offre de planches originales moins
abondante8.
Par ailleurs, le rapport de Pierre Lungheretti, directeur général de la
Cité internationale de la bande dessinée et de l’image9, fait état, la même année, d’une
surproduction dans la BD française : augmentation importante du chiffre
d’affaires, du nombre de titres et du nombre d’auteurs.
Ceci se traduit par une situation financière aléatoire et disparate des
auteurs. Le rapport préconise des mesures financières et de politique
culturelle pour soutenir les petits éditeurs et les auteurs. Parallèlement, le
directeur artistique du festival de le BD d’Angoulême, Stéphane Beaujean,
admettait que la 46e édition du festival
connaissait une crise de croissance, à l’instar tout le secteur de la BD10.
Qu’en sera-t-il en 2020 ? La crise sanitaire et économique ne va
pas arranger la situation économique du secteur. Les galeries, les maisons de
ventes et les libraires appellent à l’aide et demandent à l’État des mesures
urgentes de soutien. Les vendeurs professionnels de BD ne sont pas au mieux, et
quid de l’attitude des collectionneurs, acheteurs et vendeurs ? Ils
vont sans doute attendre des jours meilleurs. Sans bouger,
en « faisant la planche… ».
Soyons optimiste, la BD s’en sortira et connaîtra un bel avenir :
elle a des fans fidèles (on peut compter sur eux, ce ne sont pas des
« planches pourries »), des auteurs de talent et des éditeurs,
galeries et commissaires-priseurs qui ne demandent qu’à vendre. On lui consacre
des recherches, des enseignements, des festivals, des rencontres, des écoles
et… des publications juridiques, comme ce présent dossier !
Dossier auquel ont participé d’éminents juristes, tous membres de
l’Institut Art & Droit. Je les remercie pour leur précieuse collaboration
et les félicite pour la qualité de leurs articles que les lecteurs, sans aucun
doute, prendront plaisir à découvrir et à lire.
NOTES :
1) Voir ci-après l’article de Maîa Bensimon, « Les différentes rémunérations des auteurs de bandes dessinées ».
2) « La bande dessinée, c’est comme le cinéma, même si c’est un cinéma de pauvres », Philippe Delerm, La sieste assassinée, Gallimard, 2001.
3) Voir le glossaire de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, CBDI.
4) Voir ci-après l’article de Cyrielle Gauvin, « Les planches de bande dessinée : leur propriété en question ».
5) Voir ci-après, l’article d’Olivier Baratelli, « UDERZO : Astérix au tribunal ».
6) Journal des Arts n° 448 du 8 janvier 2016.
7) Rapport 2019 du Conseil des ventes volontaires, p. 26.
8) Id.
9) « La bande dessinée, nouvelle frontière artistique et culturelle - 54 propositions pour une politique nationale renouvelée », Rapport au ministère de la Culture, avec la collaboration de Laurence Cassegrain, janvier 2019, à télécharger sur Ministère Culture - Rapport Lungheretti
10) Interview donné au Journal des Arts n° 617 du 15 au 28 février 2019, p. 9.
Gérard Sousi,
Président de l’Institut Art & Droit,
Ancien vice-président de l’université Lyon 3