L'OEIL DE L'EXPERT. Le
rapport conflictuel entre le monde judiciaire américain et sa nouvelle
administration, en place depuis le 20 janvier 2025, génère un contexte d’incertitudes.
Les entrepreneurs français doivent apprendre à surmonter cette situation.
Le
climat outre-Atlantique contraint les investisseurs étrangers à s’interroger
quant à leur sécurité juridique. Pour eux, il est impératif de réfléchir à la
parade adéquate si la situation houleuse perdure. Face aux fluctuations en
cours, il convient, d’une part d’anticiper le cadre du règlement étatique des
litiges aux États-Unis, et d’autre part de prêter une attention soutenue au
choix de la juridiction idoine.
La tempête
génère de l’aléa juridique
Depuis
le 20 janvier, les entreprises françaises opérant aux USA font face à une
combinaison de risques économiques, juridiques et géopolitiques.
L’instabilité
juridique met à rude épreuve les exportateurs, si l’on en juge par le contenu
de plusieurs executive orders (décrets) du nouveau président. Ainsi, la
suspension depuis le mois de février 2025, pour les seuls acteurs et ressortissants
américains, des effets du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), pour une
durée initiale de 180 jours, renouvelable une fois, fait craindre une
distorsion de la concurrence. Car, l’attention des autorités judiciaires
américaines qu’elle libère pourrait bien se reporter sur les sociétés
étrangères soumises à cette règlementation extraterritoriale.
C’est
le cas des entreprises ayant un lien de rattachement avec les États-Unis ;
celles opérant des transactions en dollars ; ou encore celles qui
utilisent les systèmes financiers américains ; ou qui ont des activités
sur le territoire américain et qui restent exposées aux enquêtes ainsi qu’aux
sanctions américaines.
Par
ailleurs, la décision d’interdire les politiques de diversité, d’équité et
d’inclusion pour les compagnies contractant avec le gouvernement fédéral est
aussi un facteur d’incertitude. Les sociétés françaises concernées par ce point
doivent donc s’interroger sur les moyens de respecter leurs obligations
légales, sous peine de perdre l’accès au marché public américain. On le voit
bien, l’insécurité des investissements les place dans des situations à risque délicates
à gérer.
Une
contestation active a conduit à engager plusieurs recours judiciaires contre ce
type d’executive order en invoquant leur incompatibilité avec la
Constitution américaine, notamment son 14e amendement, ou encore avec les lois
fédérales. Des décisions de justice ont déjà mené à la suspension temporaire de
quelques-uns, mais l’issue finale reste incertaine.
Le 28
mai dernier, le tribunal américain pour le commerce international a notamment conclu
que la loi d’urgence économique de 1977 invoquée par le président ne lui
permettait pas d’imposer une surtaxe généralisée sur les importations ;
appel est interjeté de cette décision. Près de 28 000 entreprises françaises sont
concernées directement ou indirectement, suspendues aux décisions des juges
américains.
Anticiper
un différend
Face
à cette situation, surgit la question du choix du juge comme élément de
limitation de l’incertitude judiciaire. En effet, outre-Atlantique, se
présentent souvent deux options (tribunaux fédéraux, tribunaux étatiques), avec
à la clé de profondes répercussions sur la résolution du litige.
Un choix
essentiel qui s'offre au plaideur est celui de saisir soit une juridiction
d'État, soit une juridiction fédérale. Tout d’abord, les litiges portant sur un
montant supérieur à 75 000 dollars et impliquant des demandeurs et des
défendeurs de nationalité différente peuvent être soumis indifféremment à un
tribunal d'État ou à un tribunal fédéral. Même si un Américain intente une
action contre un défendeur français devant un tribunal d'État, le défendeur
français peut demander au tribunal fédéral de se saisir du litige.
Ensuite,
les choses se compliquent dans la mesure où l’une des principales différences
entre les deux juridictions tient à leur mode de sélection des juges. Les
règles de désignation des juges varient d'un État à l'autre. En Pennsylvanie
par exemple, ils sont élus lors d'élections partisanes. Alors que dans le
Massachusetts, le gouverneur les nomme. Par conséquent, les États dont la
politique est favorable aux entreprises pourraient préférer opter pour des
juges agréables aux entreprises. Inversement, les États dont la politique est
plus axée vers les consommateurs pourraient suivre une tendance contraire. Les
juges fédéraux, quant à eux, sont nommés par le président des États-Unis et
souvent désignés par les deux sénateurs qui représentent l'État où siège le
juge.
Enfin,
les États-Unis se distinguent de nombreux autres pays par le fait que, les
jurys populaires peuvent être amenés à trancher des litiges commerciaux et le
cas échéant, accorder des dommages punitifs colossaux.
Les
plaideurs ne s’adressent pas seulement, selon leur préférence, à la juridiction
étatique ou fédérale, ils peuvent aussi choisir entre plusieurs États le plus favorable.
D’un État
à l’autre, les règles tant procédurales que substantielles varient de manière
significative. Les uns ont des délais de prescription plus courts pour les
réclamations. D’autres refusent d'appliquer des clauses contractuelles que certains observent facilement. De même, quelques États imposent des charges plus lourdes
aux parties pour la production de documents et d'informations dans le cadre de
la procédure de découverte ou pour les témoignages lors des dépositions. Enfin,
ailleurs, comme au Texas, les plaignants sont autorisés à recouvrer les
honoraires d'avocat dans le cadre de litiges contractuels, alors que tous les États
ne le font pas.
De
tout ce qui précède, il ressort que les entreprises préfèrent plaider dans des
juridictions dont l’exécutif est conservateur, car leurs conseillers estiment
que ces gouvernements produisent des juges qui leur sont plus favorables. Par
ailleurs, les entreprises préfèrent aussi les juridictions fédérales. Cela en
raison de la croyance populaire selon laquelle les jurys des grandes villes
sont plus sensibles aux consommateurs et susceptibles d'accorder des indemnités
importantes aux plaignants victimes de perte de chance.
En
fonction des domaines d’activités, de la nature des contrats, des risques de
conflits, il est largement suggéré de réaliser une cartographie d’optimisation
judiciaire avant de retenir une clause de compétence ou d’initier une
procédure. Un différend commercial imprévu peut s’avérer particulièrement
onéreux. Il est donc recommandé de consacrer le temps et l’énergie nécessaires
à en anticiper l’occurrence. Ce sont précisément les ETI les sociétés les plus
à risque sur ce sujet.
Les
clauses relatives à la compétence des juridictions et au droit applicable dans
les contrats aux États-Unis, dites encore midnight clauses
doivent maintenant faire l’objet de la plus grande attention. Elles sont à
considérer comme un élément essentiel d’un accord au moment de sa conclusion. Il
y va de l’économie même d’un projet d’investissement transatlantique.
Jean-Claude Beaujour
Avocat
au barreau de Paris, Harlay Law
Will Newman
Avocat
au barreau de New-York, Oberheiden, P.C.