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Nuages dans le ciel judiciaire américain et investissements étrangers

Nuages dans le ciel judiciaire américain et investissements étrangers
Publié le 22/07/2025 à 07:00

L'OEIL DE L'EXPERT. Le rapport conflictuel entre le monde judiciaire américain et sa nouvelle administration, en place depuis le 20 janvier 2025, génère un contexte d’incertitudes. Les entrepreneurs français doivent apprendre à surmonter cette situation.

Le climat outre-Atlantique contraint les investisseurs étrangers à s’interroger quant à leur sécurité juridique. Pour eux, il est impératif de réfléchir à la parade adéquate si la situation houleuse perdure. Face aux fluctuations en cours, il convient, d’une part d’anticiper le cadre du règlement étatique des litiges aux États-Unis, et d’autre part de prêter une attention soutenue au choix de la juridiction idoine.

La tempête génère de l’aléa juridique

Depuis le 20 janvier, les entreprises françaises opérant aux USA font face à une combinaison de risques économiques, juridiques et géopolitiques.

L’instabilité juridique met à rude épreuve les exportateurs, si l’on en juge par le contenu de plusieurs executive orders (décrets) du nouveau président. Ainsi, la suspension depuis le mois de février 2025, pour les seuls acteurs et ressortissants américains, des effets du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), pour une durée initiale de 180 jours, renouvelable une fois, fait craindre une distorsion de la concurrence. Car, l’attention des autorités judiciaires américaines qu’elle libère pourrait bien se reporter sur les sociétés étrangères soumises à cette règlementation extraterritoriale.

C’est le cas des entreprises ayant un lien de rattachement avec les États-Unis ; celles opérant des transactions en dollars ; ou encore celles qui utilisent les systèmes financiers américains ; ou qui ont des activités sur le territoire américain et qui restent exposées aux enquêtes ainsi qu’aux sanctions américaines.

Par ailleurs, la décision d’interdire les politiques de diversité, d’équité et d’inclusion pour les compagnies contractant avec le gouvernement fédéral est aussi un facteur d’incertitude. Les sociétés françaises concernées par ce point doivent donc s’interroger sur les moyens de respecter leurs obligations légales, sous peine de perdre l’accès au marché public américain. On le voit bien, l’insécurité des investissements les place dans des situations à risque délicates à gérer.

Une contestation active a conduit à engager plusieurs recours judiciaires contre ce type d’executive order en invoquant leur incompatibilité avec la Constitution américaine, notamment son 14e amendement, ou encore avec les lois fédérales. Des décisions de justice ont déjà mené à la suspension temporaire de quelques-uns, mais l’issue finale reste incertaine.

Le 28 mai dernier, le tribunal américain pour le commerce international a notamment conclu que la loi d’urgence économique de 1977 invoquée par le président ne lui permettait pas d’imposer une surtaxe généralisée sur les importations ; appel est interjeté de cette décision. Près de 28 000 entreprises françaises sont concernées directement ou indirectement, suspendues aux décisions des juges américains.

Anticiper un différend

Face à cette situation, surgit la question du choix du juge comme élément de limitation de l’incertitude judiciaire. En effet, outre-Atlantique, se présentent souvent deux options (tribunaux fédéraux, tribunaux étatiques), avec à la clé de profondes répercussions sur la résolution du litige.

Un choix essentiel qui s'offre au plaideur est celui de saisir soit une juridiction d'État, soit une juridiction fédérale. Tout d’abord, les litiges portant sur un montant supérieur à 75 000 dollars et impliquant des demandeurs et des défendeurs de nationalité différente peuvent être soumis indifféremment à un tribunal d'État ou à un tribunal fédéral. Même si un Américain intente une action contre un défendeur français devant un tribunal d'État, le défendeur français peut demander au tribunal fédéral de se saisir du litige.

Ensuite, les choses se compliquent dans la mesure où l’une des principales différences entre les deux juridictions tient à leur mode de sélection des juges. Les règles de désignation des juges varient d'un État à l'autre. En Pennsylvanie par exemple, ils sont élus lors d'élections partisanes. Alors que dans le Massachusetts, le gouverneur les nomme. Par conséquent, les États dont la politique est favorable aux entreprises pourraient préférer opter pour des juges agréables aux entreprises. Inversement, les États dont la politique est plus axée vers les consommateurs pourraient suivre une tendance contraire. Les juges fédéraux, quant à eux, sont nommés par le président des États-Unis et souvent désignés par les deux sénateurs qui représentent l'État où siège le juge.

Enfin, les États-Unis se distinguent de nombreux autres pays par le fait que, les jurys populaires peuvent être amenés à trancher des litiges commerciaux et le cas échéant, accorder des dommages punitifs colossaux.

Les plaideurs ne s’adressent pas seulement, selon leur préférence, à la juridiction étatique ou fédérale, ils peuvent aussi choisir entre plusieurs États le plus favorable.

D’un État à l’autre, les règles tant procédurales que substantielles varient de manière significative. Les uns ont des délais de prescription plus courts pour les réclamations. D’autres refusent d'appliquer des clauses contractuelles que certains observent facilement. De même, quelques États imposent des charges plus lourdes aux parties pour la production de documents et d'informations dans le cadre de la procédure de découverte ou pour les témoignages lors des dépositions. Enfin, ailleurs, comme au Texas, les plaignants sont autorisés à recouvrer les honoraires d'avocat dans le cadre de litiges contractuels, alors que tous les États ne le font pas.

De tout ce qui précède, il ressort que les entreprises préfèrent plaider dans des juridictions dont l’exécutif est conservateur, car leurs conseillers estiment que ces gouvernements produisent des juges qui leur sont plus favorables. Par ailleurs, les entreprises préfèrent aussi les juridictions fédérales. Cela en raison de la croyance populaire selon laquelle les jurys des grandes villes sont plus sensibles aux consommateurs et susceptibles d'accorder des indemnités importantes aux plaignants victimes de perte de chance.

En fonction des domaines d’activités, de la nature des contrats, des risques de conflits, il est largement suggéré de réaliser une cartographie d’optimisation judiciaire avant de retenir une clause de compétence ou d’initier une procédure. Un différend commercial imprévu peut s’avérer particulièrement onéreux. Il est donc recommandé de consacrer le temps et l’énergie nécessaires à en anticiper l’occurrence. Ce sont précisément les ETI les sociétés les plus à risque sur ce sujet.

Les clauses relatives à la compétence des juridictions et au droit applicable dans les contrats aux États-Unis, dites encore midnight clauses doivent maintenant faire l’objet de la plus grande attention. Elles sont à considérer comme un élément essentiel d’un accord au moment de sa conclusion. Il y va de l’économie même d’un projet d’investissement transatlantique.

Jean-Claude Beaujour
Avocat au barreau de Paris, Harlay Law
Will Newman
Avocat au barreau de New-York, Oberheiden, P.C.

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