Alors que le taux de réponses
pénales est de 86 %, selon les derniers chiffres relevés par la
chancellerie, une proposition de loi a été adoptée en première lecture le 7 mai
à l'Assemblée nationale pour que les plaignants soient mieux informés des classements
sans suite. Présenté par 66 députés, le texte proposé contient des changements
majeurs pour le droit des victimes.
« Si tant de plaintes
sont classées, c'est parce que la justice souffre d'un budget
insuffisant » a souligné le député Emmanuel Duplessy lors des
débats. Alors que 86 % des affaires poursuivables ont fait l'objet d'une réponse pénale en 2024, selon les derniers chiffres relevés par la chancellerie, une proposition de loi a été adoptée en première lecture le 7 mai à l'Assemblée nationale pour que les plaignants soient mieux informés des classements sans suite.
Une circulaire interministérielle (justice et intérieur 0043/H34) à
destination des procureurs avait déjà provoqué un scandale en 2021. Ce texte
obligeait les procureurs à classer sans suite les affaires selon la nature des
faits, et à diriger d'office les enquêteurs vers une fin de non-recevoir
certaines plaintes.
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classées pour ne pas aller dans le mur
Le chiffre des classements
sans suite à l'arrivée s'ajoute au nombre de plaintes refusées au départ. Le
député Paul Molac rappelait le 5 mai dernier, en commission des lois,
l'importance de ces refus malgré les dispositions de l'article 15-3 du code de
procédure pénale selon lequel les officiers de police judiciaire ont le devoir
de recueillir les plaintes. Même si elles n'apparaissent pas fondées en droit
ou en fait, les OPJ sont tenus d'enregistrer les plaintes et de les transmettre
au parquet, sans avoir à juger eux-mêmes de leur pertinence.
C'est ensuite le
procureur de la République qui examine la plainte déposée. Il décide de
poursuivre l'auteur de l'infraction ou de classer l'affaire s'il considère que
les poursuites ne sont pas opportunes. Le procureur exerce un pouvoir
discrétionnaire, mais les motifs de sa décision doivent être légaux. Le Code de
procédure pénale énumère la liste des motifs que la loi prescrit. Il est
cependant reproché au texte actuel de ne pas imposer au procureur une motivation
plus concrète de ses décisions de classer.
Pourquoi l'information du
classement sans suite est-elle cruciale pour les victimes présumées ?
Emmanuel Duplessy a rappelé que la réparation des préjudices suscite dans la
majorité des cas des poursuites pénales. Les moyens de recherche et d'investigation
dont dispose le ministère public dans le cadre d'une procédure pénale sont
nécessaires à la manifestation de la vérité, notamment en matière criminelle.
Sans la reconnaissance judiciaire d'une infraction commise et donc d'une
responsabilité pénale, obtenir ensuite une indemnisation est difficile, voire
impossible pour la victime.
Un accès à l'information des
plaignants renforcé par le texte
Le Code de procédure pénale
oblige déjà le procureur de la République à informer les plaignants du
classement sans suite de leurs plaintes, mais ce droit n'est pas toujours
effectif à cause de l'imprécision de la loi en vigueur. Selon les termes de
l'article 40-2 du Code de procédure pénale, les plaintes sont susceptibles d’être classées sans
suite dans différentes hypothèses. Le classement peut être décidé pour une
insuffisance de preuves de l'infraction visée, le fait que l'auteur n'ait pas
été retrouvé ou que l'infraction reprochée ne soit pas constituée.
Concernant
ce dernier motif, le taux de classement sans suite est incompressible. Mais
pour les autres motifs, l'esprit de la loi est d'obliger les parquets à diriger
des investigations, à requérir une instruction et à poursuivre quand il y a
lieu. Les procureurs n'indiquent pas les actes effectués par les enquêteurs
dans le motif du classement sans suite et emploient des formulations
abstraites. La proposition de loi qui était débattue n'impose pas davantage aux parquets
de faire état des actes qui ont été diligentés pour motiver leurs décisions.
Que la motivation devienne « simple et compréhensible » selon le
texte proposé ne donnera donc pas plus d'informations aux plaignants sur la
prise en considération de sa plainte et la réalité des investigations
ordonnées.
Le classement sans suite est
souvent perçu par le plaignant comme une injustice, notamment parce qu'il ne
comprend pas toujours les raisons de cette décision s'il en est notifié.
L'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité de la loi commande aux
magistrats d'énoncer leurs décisions de manière compréhensible aux
justiciables. La décision de classer une plainte sans y donner suite doit donc
être expliquée au plaignant en termes contextualisés de l'affaire, évitant les
formulations types. Comprendre une décision de classement sans suite, « C'est
un fondement du droit », déclarait Paul Molac en commission des lois
lors de l'examen de la proposition. Si le plaignant est dans l'incapacité de
comprendre le motif du classement, il est privé de ses droits de le contester.
Le député a aussi souligné
une différence de traitement entre les différentes victimes présumées, selon la
collectivité territoriale où elles déposent leurs plaintes. Elles sont
aléatoirement notifiées du classement. L'information n'est pas toujours transmise,
mais lorsque c'est le cas, elle est adressée par téléphone ou lettre simple,
rarement par courrier recommandé. Il n'existe aucune trace de cette
notification, et donc aucune preuve non plus du côté du parquet que le droit de
la victime présumée est respecté.
Certains députés ont donc exigé une
traçabilité de cette notification et ont formulé des amendements en ce sens,
bien que, selon leurs détracteurs, cela représenterait un coût supplémentaire.
Jiovanny William, le rapporteur du texte, a répondu que la dépense publique
demeure la même lorsque la victime présumée n'est pas informée du classement,
puisqu'elle saisit ensuite le procureur qui devra effectuer une notification.
Si la loi est adoptée, l'avis du classement devra ainsi être versé au dossier.
La notification téléphonique
du classement subsistera dans des cas particuliers tels que les violences
intrafamiliales ou les cas d'illettrisme du plaignant. Les modalités de cette
notification seront choisies par la victime présumée au moment du dépôt de sa
plainte. La loi nouvelle devrait prévoir que l'avis pourra être adressé par
mail ou par courrier recommandé. Le procureur pourra demander à une association
d'aide aux victimes qu'il désignera de notifier le plaignant s'il l'estime
nécessaire selon les circonstances de l'affaire.
Un droit au recours effectif
recherché par les députés
Les différences actuelles des
pratiques judiciaires concernant l'avis de classement ont pour conséquence une
rupture d'égalité des justiciables devant la loi. Certaines victimes ne
bénéficient pas des mêmes garanties procédurales que les autres. Des plaignants
ne sont pas renseignés du classement sans suite, d'autres sont notifiés
seulement après la prescription des poursuites. Les victimes présumées ne
connaissent pas toujours leurs droits d'être avisées du classement et des
délais de prescription. Les députés ont donc ajouté à la proposition
l'obligation d'informer des voies et délais de recours contre la décision de
classer l'affaire, c'est-à-dire la saisine du procureur général.
Ce recours est
déjà mentionné dans le procès-verbal de la plainte, mais cette pièce n'est pas
toujours remise au plaignant qui, le plus souvent, dépose plainte sans
l'assistance d'un avocat. La proposition de loi « vise à généraliser la
remise d'une copie du procès-verbal de dépôt de plainte à la victime d'une
infraction pénale en supprimant la condition tenant à la demande expresse de la
victime », déclare le rapporteur. Au moment du dépôt de plainte comme
au moment de l'avis de classement, le plaignant se verra donc notifié ses
droits de contester le classement.
Il existe d'autres moyens de
poursuivre pénalement l'auteur de l'infraction après un classement sans suite,
mais ils ne visent pas à contester la décision de classer. C'est la raison pour
laquelle ils ne figurent pas dans le texte adopté en première lecture. Dans le
cas où le mis en cause est connu par la victime présumée, cette dernière peut
le faire citer à la barre de la juridiction pénale sans en passer par la
décision du procureur de la République (par voie de citation directe) en
saisissant le tribunal judiciaire.
Si l'affaire suscite une instruction, la
victime présumée peut aussi déposer une nouvelle plainte directement auprès du
doyen des juges d'instruction en se constituant partie civile. La victime sera
donc informée, dans la notification du recours, qu'elle peut contester le
classement devant le procureur général, mais pas de ses autres droits d'agir
auprès des juges du siège.
Le 24 avril dernier, la Cour
européenne des droits de l'Homme a condamné la France pour avoir manqué à son devoir de
diligence dans la procédure pénale, n'ayant pas tenu compte
de la particulière vulnérabilité de chaque plaignante. Dans trois affaires de
violences sexuelles, aucune des victimes présumées n'a effectivement pu
bénéficier des moyens d'investigation nécessaires aux poursuites pénales pour des
infractions qu'elles ont révélé avoir subi lorsqu'elles étaient mineures. Une
des plaintes avait hâtivement abouti à un classement sans suite.
L'Assemblée nationale vient
de publier le texte adopté.
Pour entrer en vigueur, la proposition de loi votée à l'unanimité devra encore
être débattue à la commission des lois du Sénat puis être adoptée en termes
identiques en séance publique. Il n'est pas exclu que d'autres amendements
soient formulés après de nouvelles consultations des syndicats de police et du
conseil national des barreaux concernant les difficultés d'application de ce
texte. Si la loi n'assure pas suffisamment les droits des plaignants sur la
question, la France pourrait être à nouveau condamnée par la CEDH pour
violation du droit au recours effectif.
Antonio
Desserre