JUSTICE

Plaintes classées sans suite : une proposition de loi adoptée à l'Assemblée

Plaintes classées sans suite : une proposition de loi adoptée à l'Assemblée
Publié le 15/05/2025 à 07:00
Alors que le taux de réponses pénales est de 86 %, selon les derniers chiffres relevés par la chancellerie, une proposition de loi a été adoptée en première lecture le 7 mai à l'Assemblée nationale pour que les plaignants soient mieux informés des classements sans suite. Présenté par 66 députés, le texte proposé contient des changements majeurs pour le droit des victimes.

« Si tant de plaintes sont classées, c'est parce que la justice souffre d'un budget insuffisant » a souligné le député Emmanuel Duplessy lors des débats. Alors que 86 % des affaires poursuivables ont fait l'objet d'une réponse pénale en 2024, selon les derniers chiffres relevés par la chancellerie, une proposition de loi a été adoptée en première lecture le 7 mai à l'Assemblée nationale pour que les plaignants soient mieux informés des classements sans suite. 

Une circulaire interministérielle (justice et intérieur 0043/H34) à destination des procureurs avait déjà provoqué un scandale en 2021. Ce texte obligeait les procureurs à classer sans suite les affaires selon la nature des faits, et à diriger d'office les enquêteurs vers une fin de non-recevoir certaines plaintes.

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Le chiffre des classements sans suite à l'arrivée s'ajoute au nombre de plaintes refusées au départ. Le député Paul Molac rappelait le 5 mai dernier, en commission des lois, l'importance de ces refus malgré les dispositions de l'article 15-3 du code de procédure pénale selon lequel les officiers de police judiciaire ont le devoir de recueillir les plaintes. Même si elles n'apparaissent pas fondées en droit ou en fait, les OPJ sont tenus d'enregistrer les plaintes et de les transmettre au parquet, sans avoir à juger eux-mêmes de leur pertinence. 

C'est ensuite le procureur de la République qui examine la plainte déposée. Il décide de poursuivre l'auteur de l'infraction ou de classer l'affaire s'il considère que les poursuites ne sont pas opportunes. Le procureur exerce un pouvoir discrétionnaire, mais les motifs de sa décision doivent être légaux. Le Code de procédure pénale énumère la liste des motifs que la loi prescrit. Il est cependant reproché au texte actuel de ne pas imposer au procureur une motivation plus concrète de ses décisions de classer.

Pourquoi l'information du classement sans suite est-elle cruciale pour les victimes présumées ? Emmanuel Duplessy a rappelé que la réparation des préjudices suscite dans la majorité des cas des poursuites pénales. Les moyens de recherche et d'investigation dont dispose le ministère public dans le cadre d'une procédure pénale sont nécessaires à la manifestation de la vérité, notamment en matière criminelle. Sans la reconnaissance judiciaire d'une infraction commise et donc d'une responsabilité pénale, obtenir ensuite une indemnisation est difficile, voire impossible pour la victime.

Un accès à l'information des plaignants renforcé par le texte

Le Code de procédure pénale oblige déjà le procureur de la République à informer les plaignants du classement sans suite de leurs plaintes, mais ce droit n'est pas toujours effectif à cause de l'imprécision de la loi en vigueur. Selon les termes de l'article 40-2 du Code de procédure pénale, les plaintes sont susceptibles d’être classées sans suite dans différentes hypothèses. Le classement peut être décidé pour une insuffisance de preuves de l'infraction visée, le fait que l'auteur n'ait pas été retrouvé ou que l'infraction reprochée ne soit pas constituée.

 Concernant ce dernier motif, le taux de classement sans suite est incompressible. Mais pour les autres motifs, l'esprit de la loi est d'obliger les parquets à diriger des investigations, à requérir une instruction et à poursuivre quand il y a lieu. Les procureurs n'indiquent pas les actes effectués par les enquêteurs dans le motif du classement sans suite et emploient des formulations abstraites. La proposition de loi qui était débattue n'impose pas davantage aux parquets de faire état des actes qui ont été diligentés pour motiver leurs décisions. Que la motivation devienne « simple et compréhensible » selon le texte proposé ne donnera donc pas plus d'informations aux plaignants sur la prise en considération de sa plainte et la réalité des investigations ordonnées.

Le classement sans suite est souvent perçu par le plaignant comme une injustice, notamment parce qu'il ne comprend pas toujours les raisons de cette décision s'il en est notifié. L'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité de la loi commande aux magistrats d'énoncer leurs décisions de manière compréhensible aux justiciables. La décision de classer une plainte sans y donner suite doit donc être expliquée au plaignant en termes contextualisés de l'affaire, évitant les formulations types. Comprendre une décision de classement sans suite, « C'est un fondement du droit », déclarait Paul Molac en commission des lois lors de l'examen de la proposition. Si le plaignant est dans l'incapacité de comprendre le motif du classement, il est privé de ses droits de le contester.

Le député a aussi souligné une différence de traitement entre les différentes victimes présumées, selon la collectivité territoriale où elles déposent leurs plaintes. Elles sont aléatoirement notifiées du classement. L'information n'est pas toujours transmise, mais lorsque c'est le cas, elle est adressée par téléphone ou lettre simple, rarement par courrier recommandé. Il n'existe aucune trace de cette notification, et donc aucune preuve non plus du côté du parquet que le droit de la victime présumée est respecté. 

Certains députés ont donc exigé une traçabilité de cette notification et ont formulé des amendements en ce sens, bien que, selon leurs détracteurs, cela représenterait un coût supplémentaire. Jiovanny William, le rapporteur du texte, a répondu que la dépense publique demeure la même lorsque la victime présumée n'est pas informée du classement, puisqu'elle saisit ensuite le procureur qui devra effectuer une notification. Si la loi est adoptée, l'avis du classement devra ainsi être versé au dossier.

La notification téléphonique du classement subsistera dans des cas particuliers tels que les violences intrafamiliales ou les cas d'illettrisme du plaignant. Les modalités de cette notification seront choisies par la victime présumée au moment du dépôt de sa plainte. La loi nouvelle devrait prévoir que l'avis pourra être adressé par mail ou par courrier recommandé. Le procureur pourra demander à une association d'aide aux victimes qu'il désignera de notifier le plaignant s'il l'estime nécessaire selon les circonstances de l'affaire.

Un droit au recours effectif recherché par les députés

Les différences actuelles des pratiques judiciaires concernant l'avis de classement ont pour conséquence une rupture d'égalité des justiciables devant la loi. Certaines victimes ne bénéficient pas des mêmes garanties procédurales que les autres. Des plaignants ne sont pas renseignés du classement sans suite, d'autres sont notifiés seulement après la prescription des poursuites. Les victimes présumées ne connaissent pas toujours leurs droits d'être avisées du classement et des délais de prescription. Les députés ont donc ajouté à la proposition l'obligation d'informer des voies et délais de recours contre la décision de classer l'affaire, c'est-à-dire la saisine du procureur général. 

Ce recours est déjà mentionné dans le procès-verbal de la plainte, mais cette pièce n'est pas toujours remise au plaignant qui, le plus souvent, dépose plainte sans l'assistance d'un avocat. La proposition de loi « vise à généraliser la remise d'une copie du procès-verbal de dépôt de plainte à la victime d'une infraction pénale en supprimant la condition tenant à la demande expresse de la victime », déclare le rapporteur. Au moment du dépôt de plainte comme au moment de l'avis de classement, le plaignant se verra donc notifié ses droits de contester le classement.

Il existe d'autres moyens de poursuivre pénalement l'auteur de l'infraction après un classement sans suite, mais ils ne visent pas à contester la décision de classer. C'est la raison pour laquelle ils ne figurent pas dans le texte adopté en première lecture. Dans le cas où le mis en cause est connu par la victime présumée, cette dernière peut le faire citer à la barre de la juridiction pénale sans en passer par la décision du procureur de la République (par voie de citation directe) en saisissant le tribunal judiciaire. 

Si l'affaire suscite une instruction, la victime présumée peut aussi déposer une nouvelle plainte directement auprès du doyen des juges d'instruction en se constituant partie civile. La victime sera donc informée, dans la notification du recours, qu'elle peut contester le classement devant le procureur général, mais pas de ses autres droits d'agir auprès des juges du siège.

Le 24 avril dernier, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la France pour avoir manqué à son devoir de diligence dans la procédure pénale, n'ayant pas tenu compte de la particulière vulnérabilité de chaque plaignante. Dans trois affaires de violences sexuelles, aucune des victimes présumées n'a effectivement pu bénéficier des moyens d'investigation nécessaires aux poursuites pénales pour des infractions qu'elles ont révélé avoir subi lorsqu'elles étaient mineures. Une des plaintes avait hâtivement abouti à un classement sans suite.

L'Assemblée nationale vient de publier le texte adopté. Pour entrer en vigueur, la proposition de loi votée à l'unanimité devra encore être débattue à la commission des lois du Sénat puis être adoptée en termes identiques en séance publique. Il n'est pas exclu que d'autres amendements soient formulés après de nouvelles consultations des syndicats de police et du conseil national des barreaux concernant les difficultés d'application de ce texte. Si la loi n'assure pas suffisamment les droits des plaignants sur la question, la France pourrait être à nouveau condamnée par la CEDH pour violation du droit au recours effectif.

Antonio Desserre

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