Le mercredi 17 novembre 2021, la
Commission européenne a présenté une nouvelle stratégie pour les sols qui
prévoit l’adoption d’une directive-cadre en 2023. L’objectif poursuivi par la
Commission est « d’augmenter la teneur en carbone des sols dans les
terres agricoles, à lutter contre la désertification, à restaurer les terres et
les sols dégradés, et à faire en sorte que, pour 2050, tous les écosystèmes des
sols soient en bon état (1) ». Cette volonté de protéger
les sols en règlementant leur utilisation n’est pas récente, mais elle s’est
heurtée à de nombreux obstacles qui font aujourd’hui des sols « l’Arlésienne
du droit de l’environnement (2) », et en particulier du droit
de l’environnement européen.
Après avoir souligné l’importance du sujet dans la lutte
contre le dérèglement climatique, l’adaptation au dérèglement climatique, et
rappelé les raisons pour lesquelles, jusqu’à présent, les tentatives
réglementaires ont échoué au niveau communautaire, les contours du futur texte
seront présentés.
Les sols, sujet majeur et pourtant « parents
pauvres » du droit européen de l’environnement
Lors de l’adoption, le 17 juin 2021, par la Commission
des affaires européennes de la proposition de résolution, les rapporteurs
Gisèle Jourda et Cyril Pellevat avaient souligné qu’à la différence de l’air (3) ou de l’eau (4),
les sols sont « les grands oubliés du droit européen » alors
que ces derniers revêtent une importance fondamentale pour la lutte contre le
changement climatique, la préservation de la santé humaine et de la
biodiversité, ou encore la protection des eaux et de la nature (5). Ces objectifs ne font que s’ajouter à la
nécessité d’une bonne qualité des sols pour l’agriculture et donc la santé
humaine, ainsi qu’à la nécessité de réduire massivement la masse des sols
contaminés. Cette contamination présente non seulement un risque majeur pour
les eaux souterraines et la migration dépollution, mais gèle aussi des milliers
d’hectares qui sont en friche au moment même où la lutte contre l’artificialité
des sols devient un impératif.
Un premier point mérite d’être souligné : les sols
sont le plus grand réservoir terrestre de carbone. Ils contiennent environ
2 500 gigatonnes de carbone, ce qui équivaut à environ 25 % de
l’équivalent carbone résultant de l’utilisation mondiale des combustibles
fossiles chaque année. Or, à défaut d’une protection efficiente, les sols
cultivés ont perdu en quelques années entre 50 et 70 % de leur stock de
carbone (6). Les sols plantés de forêts et
de prairies absorbent chaque année 80 millions de tonnes de carbone à l’échelle
européenne.
En outre, les sols, en plus d’abriter environ 25 %
de la biodiversité mondiale, sont une ressource non renouvelable. C’est pour
cela qu’il convient de limiter leur érosion et la destruction de leurs strates.
L’érosion impacte environ 25 % des terres agricoles de l’Union, ce qui
fait de leur préservation un objectif environnemental et socio-économique
majeur. Chaque année, c’est environ 1 milliard de tonnes de sol qui sont
détruites par l’effet de l’érosion. L’artificialisation des sols ainsi que leur
gestion intensive nuisent gravement à la biodiversité (7).
L’intensification de l’agriculture et l’utilisation
abusive de pesticides ont très largement contaminé les sols européens. Selon
les chiffres de l’Agence européenne pour l’environnement, sur les quelque
3 millions de sites européens pollués, seuls 340 000 d’entre eux peuvent
faire l’objet d’une dépollution.
Les dernières études soulignent qu’entre 60 et 70 %
des sols dans l’Union européenne sont en mauvaise santé à cause de l’érosion,
de la salinisation, des sécheresses, des tempêtes, de la désertification, de la
pollution, du déclin de biodiversité et de la matière organique, ou encore du
tassement (8). Cela représente un coût de
50 milliards d’euros par an pour l’Union européenne.
Cette dernière a donc échoué à respecter ses engagements
internationaux et européens pour la protection des terres et des sols, à savoir
la fin de l’augmentation nette de la surface des terres occupées d’ici 2050, la
réduction de l’érosion, la lutte contre la désertification, la restauration des
sols dégradés, ainsi que la gestion durable des terres par l’Union (objectif
qui aurait dû être atteint en 2020).
Enfin, l’absence de directive et la dégradation des sols
qui en résulte coûte environ 38 milliards d’euros par an aux États membres, et
cela ne pourra que s’aggraver (9). L’état
désastreux des sols européens est le fruit de l’incapacité des États membres à
adopter un véritable cadre juridique européen contraignant, au même titre que
pour l’air et l’eau.

Des tentatives avortées d’instauration d’un cadre
règlementaire européen pour la protection des sols
Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
(TFUE) classe l’environnement parmi les compétences partagées entre l’UE et les
États membres (10). Le droit de
l’environnement européen repose essentiellement sur le principe de correction
des atteintes à l’environnement, du principe du pollueur-payeur et du principe
de précaution. « Cette absence de cadre juridique européen global,
adapté, cohérent et intégré pour protéger les terres et les sols en Europe a
été identifiée comme l’une des principales lacunes qui participent à la
dégradation continue de nombreux sols dans l’Union, réduisent l’efficacité des
incitations et mesures existantes, et limitent la capacité de l’Europe à
respecter son programme et ses engagements internationaux en matière d’environnement,
de développement durable et de climat (11) ».
En effet, force est de constater que les politiques sectorielles existantes,
comme la Politique agricole commune (PAC) ne suffisent pas à assurer une
correcte préservation des sols.
Pourtant, l’idée d’instaurer un véritable cadre
législatif autour de l’usage des sols et de leur protection n’est pas nouvelle.
En effet, la politique européenne en matière environnementale est marquée par
de nombreuses initiatives inabouties en raison de circonstances diverses.
L’obstacle fondamental qui a souvent été rencontré est l’absence d’unanimité
des États membres car l’article 192 TFUE précise que les mesures relatives à
« l’aménagement du territoire, la gestion quantitative des ressources
hydrauliques ou touchant directement ou indirectement la disponibilité desdites
ressources, ainsi qu’à l’affectation des sols, à l’exception de la gestion des
déchets (12) » doivent être
adoptées par le Conseil statuant à l’unanimité. Or, sur un sujet aussi sensible
que le droit des sols, l’unanimité n’est souvent qu’une utopie. En outre, bon
nombre des sols européens appartiennent à des propriétaires privés. Cela est
problématique à deux égards : les sols doivent constituer avant toute
chose des biens communs non régis par des intérêts privés ; la propriété
échappe au droit européen selon les dispositions de l’article 45 TFUE.
Dès 2002, la Commission européenne a adopté une
communication intitulée « Vers une stratégie thématique pour la
protection des sols » qui a donné lieu à une consultation de près de
400 experts avant d’être élargie au grand public en 2005. Cette enquête désigne
l’érosion ainsi que la contamination des terres comme « les menaces
principales perçues au niveau européen (13) ».
Cette dernière va donner naissance à une proposition de directive-cadre sur les
sols le 30 décembre 2006 qui souligne que : « L’acquis
communautaire comprend certaines dispositions en matière de protection des
sols, mais il n’existe pas de législation communautaire en la matière. La
présente proposition vise à combler cette lacune et a pour objectif de mettre
en place une stratégie commune pour la protection et l’utilisation durable des
sols ».
Toutefois, à cause d’une abstention de la France et d’un
rejet du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des Pays-Bas, celle-ci n’a pas abouti.
Les États membres ont fait le choix d’une règlementation nationale plutôt que
communautaire afin, probablement, d’échapper à des obligations communautaires
jugées trop exigeantes, comme l’adoption de mesures limitant
l’imperméabilisation en réhabilitant les sites désaffectés. En outre, les États
auraient dû établir un inventaire de leurs sites pollués par des substances
chimiques. La France n’avait à l’époque pas souhaité dresser un inventaire de
ses quelque 300 000 sites pollués. En réalité, le projet de directive a
échoué sous le double coup de boutoir de l’industrie, qui ne voulait pas porter
la charge de la dépollution des sites pollués par la chimie, et de
l’agriculture qui ne voulait pas voir mis en exergue la question de la
pollution des sols par les pesticides et les intrants, de leur perte de valeur
agronomique et des conséquences sanitaires qui s’y attachaient.
En 2017, les citoyens européens se sont à nouveau
mobilisés sur cette thématique autour d’une initiative citoyenne
appelée « L’Appel du sol ». Mais à défaut de l’obtention
du million de voix nécessaire, Bruxelles a éludé la question. Toutefois, dès
2019, la nouvelle Commission européenne a établi un Pacte Vert pour l’Europe
ainsi qu’une nouvelle stratégie pour la biodiversité. Dans le cadre de ce Green
Deal, la Commission européenne a souligné son travail actuel sur l’élaboration
d’outils législatifs destinés à limiter la pollution dans tous les milieux.
Consécutivement à l’adoption de ces deux textes, une commission d’enquête sur
les problèmes sanitaires et écologiques posés par la pollution industrielle ou
minière des sols a été constituée par le Sénat le 19 février 2020. Cette
commission, censée évaluer l’ampleur de la pollution des sols français, a
adopté un rapport intitulé « Pollutions industrielles et minières des
sols : assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser
durablement l’avenir » le 10 septembre 2020. Ce rapport a insisté sur
la nécessité d’instaurer un véritable cadre européen et national de la
protection des sols. Depuis, le Sénat a adopté une proposition de résolution
européenne demandant la relance du processus d’élaboration d’une directive
européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par
les activités industrielles et minières le 17 mai 2021 (14).
Nous semblons donc être bien loin de la conduite
abstentionniste de la France au début des années 2000, ce qui laisse présager
une future approbation d’une règlementation communautaire des sols. En effet,
le grand changement intervenu depuis dix ans concerne la prise en considération
de l’impact climatique des sols et de la capacité à créer des crédits-carbone à
partir de mécanismes de stockage vérifiés grâce à d’autres méthodes agronomiques
et à la foresterie.
Enfin, le 17 novembre 2021, la Commission européenne a
présenté une nouvelle stratégie sur les sols, prévoyant l’adoption en
2023 d’une directive-cadre dans la continuité de celle dont l’adoption n’a pas
abouti en 2014. Le commissaire chargé de l’Environnement, Virginijus
Sinkevicius, a déclaré : « Nous présentons une stratégie novatrice
de l’UE en faveur des sols, avec un programme stratégique solide prévoyant de
leur garantir le même niveau de protection que pour l’environnement marin,
l’eau et l’air ». En parallèle de cette règlementation, la Commission
entend améliorer sa connaissance des sols européens en développant son système
d’information sur les terres pour l’Europe (Lise) basé sur le portail
Copernicus. L’exécutif européen va également promouvoir les connaissances
scientifiques et la collecte de données par des missions telles que celle
d’Horizon Europe intitulée « Un pacte pour des sols sains en Europe (15)». L’objectif de la Commission est que
les sols soient restaurés, résilients et correctement protégés d’ici à 2050.
C’est pour cela qu’elle a présenté une nouvelle stratégie de l’UE pour la
protection des sols à l’horizon 2030 avec des objectifs à moyen terme, ainsi
que des objectifs différents pour l’horizon 2050.
La nouvelle stratégie de l’Union européenne pour la
protection des sols à l’horizon 2030 et 2050
La communication de la Commission au Parlement européen,
au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions
relative à la Stratégie de l’UE pour la protection des sols à l’horizon 2030,
« Récolter les fruits de sols en bonne santé pour les êtres humains,
l’alimentation, la nature et le climat » du 17 novembre 2021 énumère
les objectifs à moyen et à long terme (16).
À moyen terme, c’est-à-dire à l’horizon 2030, les
objectifs sont les suivants :
• lutter contre la
désertification, la restauration des terres et des sols dégradés afin d’obtenir
un monde sans dégradation des sols ;
• restaurer de
larges portions d’écosystèmes dégradés et riches en carbone ;
• absorber dans l’Union 310 millions de tonnes équivalent CO2 d’absorptions
nettes de gaz à effet de serre par an dans le secteur de l’utilisation des
terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (17) ;
• atteindre un bon état écologique et chimique des eaux de
surface et un bon état chimique et quantitatif des eaux souterraines d’ici à
2027 (18) ;
• réduire d’au moins 50 % des pertes en éléments
nutritifs, et de 50 % du recours global aux pesticides chimiques ;
• dépolluer une grande partie des sites contaminés.
À long terme, à l’horizon 2050, les
objectifs poursuivis par la Commission sont :
• la zéro artificialisation nette des sols (19 et 20) ;
• la réduction de la pollution des sols jusqu’à un niveau
qui ne sera plus considéré comme nuisible à la santé humaine et aux écosystèmes
naturels, créant ainsi un environnement exempt de substances toxiques ;
• le développement d’une Europe neutre sur le plan
climatique, notamment avec une neutralité climatique terrestre au sein de l’UE d’ici
à 2035 ;
• la mise en place d’une société résiliente aux changements
climatiques et entièrement adaptée aux répercussions de ces changements d’ici à
2050.
Ainsi, l’objectif est de parvenir à
obtenir des sols en bonne santé. La Commission européenne définit un sol sain
comme « un sol en bonne santé chimique, biologique et physique et
qui est par conséquent à même de fournir en permanence le plus grand nombre
possible de ces services écosystémiques », c’est-à-dire jouer le rôle
de réservoir de carbone, assurer la production d’aliments et de biomasse, être
une source de matières premières, fournir les éléments indispensables à la vie
de la biodiversité, protéger les nappes aquifères en absorbant, stockant et
filtrant l’eau, et constituer une archive du patrimoine géologique,
géomorphologique et archéologique (21). On soulignera au passage que la
plus grande prudence doit être de mise dans la mesure où la directive-cadre sur
l’eau de 2000 visait à atteindre un bon état écologique des eaux de l’Union
européenne en 2015, état qui n’est toujours pas acquis en 2022…
Pour chaque défi à relever, la
Commission européenne élabore différentes actions pour y parvenir (22). Ce
catalogue permet de concevoir le champ d’application de la future directive
cadre.

Concernant les sols organiques
Les sols, qu’ils soient organiques ou minéraux, jouent un
rôle fondamental pour atteindre l’objectif de neutralité climatique. Afin de
protéger au mieux les sols organiques, la Commission entend mettre un terme au
drainage des zones humides et des sols organiques. Elle compte également
restaurer les tourbières gérées et drainées, afin d’augmenter le stockage du
carbone dans les sols. L’UE tend à protéger les zones humides et les tourbières
comme cela est prévu par les plans stratégiques de la PAC. En outre, la
Commission souhaite prendre part à l’initiative mondiale pour les tourbières
dirigée par la FAO et le programme des Nations unies pour l’environnement.
Concernant les sols minéraux
Les sols minéraux ont une teneur en carbone inférieure à
20 %. À cause de pratiques agricoles dévastatrices, ils libèrent quelque
7,4 millions de tonnes de carbone par an (23).
Pour pallier ces problèmes, la Commission propose des mesures pour favoriser la
biodiversité présente sur les terres agricoles qui aident à l’augmentation et à
la conservation du carbone dans les sols. Par ailleurs, elle compte s’unir à
l’initiative « 4 pour 1 000 » pour augmenter la quantité
de carbone dans les terres agricoles.
Concernant l’économie circulaire
Les sols jouent un rôle fondamental pour l’économie
circulaire puisqu’ils sont probablement la plus grande machine à recycler sur
Terre : ils décomposent et filtrent les polluants, recyclent le carbone,
l’eau et les nutriments. À ce titre, il faut promouvoir une utilisation sûre,
durable et circulaire des terres excavées qui sont pour la plupart propres et
fertiles. Elles doivent être recyclées et non pas traitées comme des déchets.
C’est pourquoi la Commission entend mettre en place une législation
contraignante pour établir un « passeport des sols excavés »
reflétant la quantité et la qualité des sols pour qu’ils soient réutilisés.
La Commission va également agir pour limiter
l’artificialisation des terres et l’imperméabilisation des sols grâce à une
utilisation circulaire des terres. En effet, lorsque les sols sont
imperméabilisés pour construire, ce sont tous les services écosystémiques
rendus par les terres qui en pâtissent. Pour atteindre l’objectif de zéro
artificialisation nette des sols d’ici à 2050, chaque État doit impérativement
intégrer la « hiérarchie de l’artificialisation des sols »
dans les plans d’écologisation de l’environnement urbain. Il faut en outre
qu’en 2023, des objectifs très ambitieux soient mis en place pour réduire
l’artificialisation nette des sols d’ici à 2030. À l’échelle communautaire, la
Commission européenne s’engage à donner une définition de l’artificialisation
nette des sols dans sa législation. Elle donnera à tous les acteurs des
orientations pour limiter l’imperméabilisation des sols. Elle assurera aussi un
suivi de la réalisation de l’objectif « zéro artificialisation nette
des sols ».
Concernant la biodiversité des sols
La biodiversité des sols joue un rôle
fondamental pour la santé humaine, animale et végétale, car une poignée de
terre saine et en bonne santé peut contenir jusqu’à un milliard de bactéries et
plus d’un kilomètre de champignons qui permettent la préservation des espèces
animales et végétales (24). Mais tout cela est menacé par la pollution, la
surexploitation, le changement climatique, les espèces exotiques envahissantes,
et le changement d’affectation des terres. C’est pourquoi la Commission
souhaite renforcer la cohérence et les synergies entre les conventions de Rio
afin d’établir un cadre mondial de la biodiversité post-2020 qui prenne en
compte le rôle essentiel de la biodiversité des sols. De surcroît, elle
envisage de contribuer à l’adoption de la convention sur la diversité
biologique lors de la 15e conférence des parties. En effet,
elle compte agir pour obtenir une meilleure cartographie des sols, permettant
ainsi de protéger et restaurer la biodiversité. Elle appuiera à cet effet la
création de l’Observatoire mondial de la biodiversité des sols.
Concernant les ressources en eau saine
Les sols sont des acteurs importants pour obtenir des
eaux propres et saines. Ce sont effectivement eux qui filtrent, absorbent et
retiennent l’eau. C’est là qu’intervient l’imperméabilisation : un sol
imperméabilisé ne peut plus acheminer l’eau de la même manière et son filtrage
en pâtit. Or, des sols bien absorbants permettent à la fois d’obtenir un bon
filtrage et de prévenir les risques d’inondations. Ainsi, les politiques de protection
de l’eau et des sols ne peuvent pas être conçues sans une grande
interdépendance. Il faudra très prochainement coordonner la gestion des sols et
de l’eau. À ce titre, les États doivent impérativement intégrer la question des
sols dans leurs plans de gestion des bassins fluviaux.
Concernant la gestion durable des sols
La gestion durable des sols correspond à un ensemble de
pratiques qui permettent de maintenir ou de restaurer la bonne santé des sols.
Ces pratiques favorisent la fertilité et la résilience des sols, ainsi que la
biodiversité, et prennent place au sein du programme « De la ferme à la
table » et de la stratégie en faveur de la biodiversité. L’objectif
est de restaurer 10 % minimum des zones agricoles dans toute leur
diversité. Cependant, il n’existe pas à ce jour de définition communautaire de
la gestion durable des sols. C’est pourquoi la Commission doit intégrer cette
utilisation durable des sols dans les politiques européennes. Mais c’est
surtout au niveau local que les actions doivent être mises en œuvre, avec
l’appui des services consultatifs en agriculture et en foresterie.
Dans le domaine de la gestion durable des sols, une
initiative intitulée « Testez votre sol gratuitement » est
proposée par la Commission européenne. Elle permet d’accroître les
connaissances sur les caractéristiques des sols (densité, matière organique,
pH, nutriments) et ainsi d’optimiser leur gestion. Elle s’appuie sur
l’expérience acquise dans le cadre des enquêtes LUCAS. La Commission aidera les
États à mettre en place les expertises avec leurs fonds propres. Fort
heureusement, même si cela est loin d’être idéal, de plus en plus d’entreprises
agissent pour améliorer la santé des sols.
La Commission propose que soit évaluées, lors d’une
analyse d’impact, les exigences en matière d’utilisation durable des sols pour
qu’il n’y ait pas d’obstacles aux services écosystémiques. Par ailleurs, elle
veut élaborer avec les États membres des pratiques de gestion durable des sols.
Elle envisage de créer un réseau de patriciens et un réseau d’ambassadeurs de
la gestion durable des terres, y compris pour l’agriculture biologique et
régénératrice. Elle prévoit de faire la promotion de la GDS par l’intermédiaire
d’un code de conduite de l’Union européenne pour les pratiques entrepreneuriales
et commerciales responsables dans le secteur de l’alimentaire. Il faut encadrer
juridiquement le système alimentaire afin qu’il soit durable, comme le prévoit
la stratégie « De la ferme à la table ».
Concernant la lutte contre la désertification
La convention des Nations unies sur la lutte contre la
désertification a reconnu l’existence d’un lien entre la dégradation des
terres, la sécheresse, et la désertification. Elle a élaboré un objectif de
neutralité en matière de dégradation des terres. Tous les quatre ans, les
parties à cette convention doivent publier un rapport sur leur dégradation.
Le problème soulevé entre autres par la Cour des comptes
européenne (25) est qu’il n’existe pas de
cohérence entre les mesures de la Commission et celles des États membres ni de
vision commune sur l’objectif de neutralité en matière de dégradation des
terres. C’est pourquoi la Commission européenne entend encourager les États
membres à continuer à établir des objectifs de neutralité. Elle publiera tous les
cinq ans, avec l’aide de l’Agence européenne pour l’environnement et du Centre
commun de recherche, des informations sur l’état de désertification et de
dégradation des terres européennes. Les États membres doivent quant à eux
engager des actions à long terme pour prévenir et atténuer cette dégradation.
Concernant la pollution des sols
Il s’agit probablement du moyen le plus simple et le
moins cher pour assurer le maintien des sols en bonne santé. Il faut pour cela
privilégier des moyens de production propres, une conception durable des
produits, et une amélioration du recyclage. Il faut également prendre
correctement en compte les risques présentés par les produits chimiques pour la
santé des sols et la biodiversité qu’ils abritent.
Par conséquent, et sur la base de la stratégie susvisée
« De la ferme à la table », la Commission propose de réviser
la directive relative à l’utilisation durable des pesticides. Force est de
constater que malheureusement, les premiers projets nouveaux ne vont pas dans
la même direction et l’arrêt d’autorisation ou non du glyphosate constituera un
signal fort (voir à cet égard l’article consacré à
l’usage des pesticides, p.31). De plus, la Commission va limiter l’usage
intentionnel des microplastiques sur le fondement du règlement concernant
l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques. De
surcroît, elle souhaite une meilleure prise en compte de la qualité et de la
biodiversité des sols dans les évaluations de risques réalisées par l’Union
européenne. Enfin, d’ici à juillet 2024, elle compte adopter des critères de
biodégradabilité pour certains polymères.
Concernant la restauration des sols dégradés et
l’assainissement des sites contaminés
On entend par « sols dégradés » des sols
qui ont perdu tout ou partie de leur capacité à assurer leurs fonctions et
services. Parfois, pour assurer la restauration des sols, la simple gestion
durable n’est pas suffisante, et il faut alors mettre en place des mesures
d’assainissement qui sont généralement complexes et très coûteuses. Cependant,
la dégradation s’avère parfois irréversible. Pour éviter la détérioration
irrémédiable des sols, la pollution doit, d’ici à 2050, être abaissée à un
niveau qui ne nuise pas à la santé humaine et aux écosystèmes naturels. Or,
l’UE manque encore une fois d’une approche commune pour le traitement des sites
contaminés. C’est pourquoi tous les États doivent mettre en place des
méthodologies à l’échelle nationale pour l’évaluation des risques liés à la
contamination des sols.
La Commission européenne envisage donc, dans le cadre de
l’analyse d’impact qui sera réalisée pour la législation sur la santé des sols,
de mettre en place un cadre contraignant pour le recensement des sites
contaminés et leur assainissement. Elle prévoit d’introduire un certificat de
salubrité des sols pour les transactions financières afin que les acheteurs
soient correctement informés de l’état des terres qu’ils souhaitent acheter.
Avant 2024, la Commission aura normalement dressé une liste des contaminants
les plus dangereux pour les sols européens.
Concernant l’amélioration de la connaissance des sols
Afin de mener à bien tous ces objectifs ambitieux, il
convient d’accroître nos connaissances actuelles sur l’état des sols européens.
La création d’une base de données a déjà été prévue par le Pacte vert et lors
de la mise en œuvre de la mission Horizon Europe. Il est en effet possible,
grâce à toutes les nouvelles technologiques numériques, d’obtenir de nouvelles
données pour ensuite les exploiter dans un but de protection des sols. Le plan
d’action Zéro pollution a évoqué l’instauration d’un outil de suivi des
nutriments présents dans les sols pour une agriculture durable. De son côté,
Copernicus fournit des données biogéophysiques et des informations sur
l’utilisation des terres. La Commission entend donc accroître l’utilisation des
outils numériques et de Copernicus. Elle aidera les États à élaborer des outils
de durabilité agricole pour les nutriments et améliorera la modélisation des
processus liés au sol dans le cadre de « Destination Earth ».
En outre, afin de lutter contre la fragmentation des
systèmes de surveillance des sols, la Commission intègrera un module relatif à
la pollution dans l’enquête LUCAS de 2022 afin d’avoir une image plus nette de
la contamination des sols. Elle adoptera des règlementations portant sur la
surveillance des sols et œuvrera, par l’intermédiaire des enquêtes LUCAS, pour
une surveillance harmonisée des sols à l’échelle communautaire. On retrouve ici
les systèmes utilisés pour vérifier la réalité des déstockages de carbone dans
les sols.
Afin de permettre la transition vers des sols sains, la
Commission fournira aux États membres un guide comprenant toutes les
possibilités de financement communautaire pour la protection, la gestion
durable et la restauration des sols, afin d’alléger la charge financière que
cela représentera pour chaque État. Enfin, elle va promouvoir les
investissements dans les projets qui ne portent pas d’atteinte au sol en vertu
du règlement Taxonomie de l’Union (26).
Elle se chargera également d’élaborer des politiques de sensibilisation pour
les sols, notamment par le biais de campagnes de communication.
Pour conclure, la Commission envisage d’intervenir pour
prévenir le changement climatique, développer l’économie circulaire des sols,
limiter l’artificialisation des terres et leur imperméabilisation, protéger la
biodiversité présente dans les sols, promouvoir une gestion durable, prévenir
la désertification et la pollution des sols, restaurer les sols dégradés,
assainir les sites contaminés, et enfin approfondir sa connaissance des sols
européens (27).
La protection des sols est un sujet majeur qui ne doit
pas être laissé de côté. Comme démontré précédemment, des sols en mauvaise
santé engendrent des conséquences dramatiques tant pour l’agriculture que pour
le dérèglement climatique, ou encore la pollution des eaux. Des terres en
mauvaise santé sont à l’origine de l’effondrement de tout un équilibre
écosystémique et environnemental fragile.
La Commission européenne se veut extrêmement didactique
et pédagogique, et ce document marquera, espérons-le, le point de départ d’une
véritable protection communautaire des sols européens à compter de 2023. Les
sols, une fois détruits, ne pourront plus se renouveler, engendrant ainsi des
conséquences désastreuses pour tous les écosystèmes présents sur Terre et pour
l’espèce humaine, d’où l’urgence sans cesse rappelée par les différentes
institutions d’agir collectivement pour leur préservation. Afin de faciliter
cette action collective, un nouveau modèle de gouvernance intitulé
« Coalition4HealthySoils » va être mis en place. Il s’agira d’une
coalition comprenant un groupe d’experts sur les sols qui pourront s’appuyer
sur des connaissances de plus en plus pointues.
Cela n’est pas de trop que d’affirmer que notre survie
dépend de la santé de nos sols et de notre capacité à les préserver et à les
restaurer.
1) Communication de la Commission au Parlement européen,
au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions,
« Stratégie de l’UE pour la protection des sols à l’horizon 2030 :
Récolter les fruits de sols en bonne santé pour les êtres humains,
l’alimentation, la nature et le climat ». COM (2021) 699 final.
2) Philippe Billet, « La protection juridique de
la qualité des sols », synthèse des résultats du projet NormaSol,
Programme GESSOL, Lyon, 2014.
3) Directive 2008/50/CE du Parlement européen et du
Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur en
Europe.
4) Directive 2000/60/CE relatif au cadre pour une
politique communautaire dans le domaine de l’eau du 23 octobre 2000.
5) Site institutionnel du Sénat, « Protection
des sols : Les sénateurs souhaitent une directive-cadre européenne »,
17 juin 2021.
6) Résolution du Parlement européen du 28 avril 2021 sur
la protection des sols (2021/2548).
7) Commission européenne, Questions et réponses sur la
stratégie de l’UE en faveur des sols, 17 novembre 2021.
8) Commission européenne, 2020, Caring
for soil is caring for life.
9) Article de Grégoire Brethomé, « Protection
des sols : l’absence de directive européenne coûte cher »,
21 octobre 2011, Actu-environnement.
10) TFUE, articles 4 et 11.
11) Résolution du Parlement européen du 28 avril 2021 sur
la protection des sols (2021/2548).
12) Article 192 TFUE.
13) Communication de la Commission européenne, « Vers
une stratégie thématique pour la protection des sols », COM 2002,179.
14) Sénat, n° 595, Proposition de résolution
européenne demandant la relance du processus d’élaboration d’une directive
européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par
les activités industrielles et minières, 17 mai 2021.
15) Article de Laurent Radisson, « L’Europe se
dote d’une stratégie sur les sols », 18 novembre 2021,
Actu-environnement.
16) Communication de la Commission eu Parlement
européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des
régions relative à la Stratégie de l’UE pour la protection des sols à l’horizon
2030, récolter les fruits de sols en bonne santé pour les êtres humains,
l’alimentation, la nature et le climat du 17 novembre 2021.
17) Règlement (UE) 2018/841 du Parlement européen et du
Conseil du 30 mai 2018 relatif à la prise en compte des émissions et des
absorptions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation des terres, du
changement d’affectation des terres et de la foresterie dans le cadre d’action
en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030, et modifiant le règlement (UE)
n° 525/2013 et la décision (UE) n° 529/2013.
18) Directive-cadre sur l’eau 2000/60/CE.
19) Feuille de route pour une Europe efficace dans
l’utilisation des ressources, COM/2011/0571.
20) 7e programme d’action de l’UE pour
l’environnement, décision n° 1386/2013/UE.
21) Communication de la Commission eu Parlement
européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des
régions relative à la Stratégie de l’UE pour la protection des sols à l’horizon
2030, récolter les fruits de sols en bonne santé pour les êtres humains,
l’alimentation, la nature et le climat du 17 novembre 2021.
22) Communication de la Commission au Parlement
européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des
régions, 17/11/2021, « Stratégie de l’UE pour la protection des sols à
l’horizon 2030 : récolter les fruits de sols en bonne santé pour les êtres
humains, l’alimentation, la nature et le climat ».
23) Commission européenne (2018), Analyse dans la
communication COM(2018)773 « Une planète propre pour tous, une vision
européenne stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne,
compétitive et neutre pour le climat ».
24) Horizon 2020 (clore le cycle des nutriments) et
Horizon Europe (incidences environnementales et passage à des fertilisants
alternatifs à l’échelle mondiale et locale).
25) Cour des comptes européenne, Rapport spécial
33/2018 « Lutte contre la désertification dans l’UE : le phénomène
s’aggravant, de nouvelles mesures s’imposent ».
26) Règlement 2020/852 sur l’établissement d’un cadre
visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE)
2019/2088.
27) Document de travail du personnel de la Commission
accompagnant le document intitulé « Stratégie de l’UE en matière de
sols pour 2030, tirer parti des avantages de sols sains pour les personnes,
l’alimentation, la nature et le climat ».
Corinne Lepage,
Ancienne ministre de l’Environnement,
Avocate associée fondatrice du cabinet
Huglo Lepage Avocats
Margaux Berthelard,
Juriste documentaliste,
Cabinet Huglo Lepage Avocats