EMPREINTES D'HISTOIRE. Notre chroniqueur avait
évoqué dans un précédent JSS le miracle opéré par Jeanne d’Arc dans une église de
Lagny-sur-Marne (77)*. Une intéressante exposition organisée par les Archives
Nationales qui révèlent au public le seul dessin connu représentant la Pucelle,
réalisé de son vivant lui donne l’occasion de revenir sur le procès politique totalement
irrégulier qui a décidé du destin tragique de celle qui a forgé l’unité de la
nation.
Visionnaire, cavalière,
Jeanne (Jehanne), venue de Domrémy, fut une guerrière avant de devenir une
sainte et une héroïne nationale.
Elle fit surtout l’objet
d’une procédure judiciaire irrégulière, inéquitable et violant le droit
canonique qui la mena au bûcher.
Auparavant, alors même
qu’elle chevauchait à travers la France et qu’elle allait lever le siège
d’Orléans, elle inspira un greffier qui ne l’avait jamais rencontrée mais qui
la dessina dans un registre du parlement.
Née vers 1412 dans le petit
village de Domrémy dans les Vosges, elle entend ou croit entendre dès ses 13
ans des voix de l’au-delà, émanant de l’Archange Michel, de Sainte Catherine et
de Sainte Marguerite, qui lui demandent de libérer la France. Le pays est en
effet occupé en grande partie par les Anglais, sous la régence de Jean de
Bedford pendant la minorité du roi Henri VI d’Angleterre.
En 1428, les nouvelles du
siège d’Orléans par les troupes anglaises lui parviennent et les voix se font
plus insistantes.
Jeanne réussit à convaincre à
Vaucouleurs le capitaine Robert de Baudricourt de lui fournir une escorte.

La maison natale de Jeanne d’Arc à Domrémy-la-Pucelle (Vosges), entourée d’un
jardin de simples, et la pièce où elle est née. © Étienne Madranges
Un croquis insolite
Après avoir rencontré le
futur Charles VII, Jeanne, « portant bannière », arrive à
Orléans le 29 avril 1429 et met fin le 8 mai au siège de la ville qui durait
depuis 6 mois.
Les Parisiens, apprenant la
nouvelle, ne se réjouissent guère car ils estiment avoir pour roi légitime
Henri VI de Lancastre et ils n’aiment guère Charles VII.
Deux jours après, le 10 mai,
un greffier civil du Parlement de Paris, Clément de Fauquembergue, qui n’a
jamais rencontré la Pucelle, mais qui en a indiscutablement entendu parler,
doit compléter le Registre du conseil. Dans ce registre sont consignés les
arrêts du Parlement, les ordonnances royales et les événements politiques
marquants. Le greffier écrit : « Le mardi 10 mai 1429, il fut dit
publiquement que les Anglais, qui assiégeaient Orléans, avaient levé le siège
le dimanche précédent, et qu’ils avaient en leur compagnie une Pucelle seule
ayant bannière ».
Et il dessine dans la marge
du feuillet manuscrit une jeune fille représentant Jeanne d’Arc, minuscule
portrait à l’encre de 6 cm de haut.
C’est la seule
représentation, certes imaginaire et stéréotypée, et peut-être satirique ou
dépréciative, de la Pucelle d’Orléans, réalisée de son vivant, parvenue intacte
jusqu’au XXIe siècle.

A gauche la page originale du registre du conseil du 10 mai 1429 sur laquelle
le greffier Clément de Fauquembergue a dessiné une Jeanne d’Arc
imaginaire ; l’affiche réalisée par les Archives Nationales afin
d’annoncer l’exposition de ce document ; le panneau métallique conçu à
l’intention des non-voyants ; et à droite un essai de reconstitution du
portrait par l’IA. © Étienne Madranges
Certains historiens, comme la
médiéviste Claude Gauvard, estiment que le greffier a réalisé le portrait non
pas d’une libératrice, mais d’une « ribaude », sorte de prostituée,
d’amazone, d’aventurière. En effet, la représentation est ambiguë :
cheveux longs dénoués, décolleté, étendard se terminant par des serpents ou des
dragons.
L’idée de représenter une
sorcière à travers cette jeune femme présumée d’origine paysanne armée comme un
homme n’est pas absurde pour des Parisiens favorables aux Anglais qui
désespèrent d’apprendre le miracle survenu sur les bords de Loire.
En tout état de cause, le
greffier dessinateur ne semble pas favorable à l’héroïne lorraine ni à ses
exploits et tente par son esquisse de la discréditer.
Mais le débat demeure ouvert.
Un procès politique sous
couvert d’Inquisition
Après sa victoire à Patay le
18 juin 1429 et son échec à La Charité-sur-Loire, Jeanne, malgré ses qualités
de stratège, tombe le 23 mai 1430 à Compiègne aux mains de Jean de Luxembourg,
du parti bourguignon, qui la vend aux Anglais pour 10 000 écus d’or. Elle
arrive le 23 décembre à Rouen où réside l’évêque Pierre Cauchon, dépossédé de
son siège à Beauvais par l’avancée des troupes françaises.
Le 21 février 1431, le procès
de Jeanne s’ouvre dans la salle de parement de la chapelle royale du château de
Rouen. Il s’agit en réalité d’une instruction à charge de quatre mois qui se
terminera le 23 mai.
Accusée d’hérésie, elle est
emprisonnée dans une tour du château.
Elle se défend avec courage
face à ses accusateurs. Le 24 février, lorsque l’évêque qui mène les débats lui
demande de « jurer et de prêter serment sans aucune condition »,
Jeanne refuse et répond : « il me semble que c’est assez d’avoir
juré deux fois en justice ».
Elle précise qu’elle n’est
pas bergère : « Quand j’étais dans la maison de mon père, je
vaquais aux besognes familières de la maison, et je n’allais pas aux champs
avec les brebis et les autres bêtes ».
L’évêque organise non pas un
véritable procès ecclésiastique mais un simulacre de justice. Sous l’habit de l’Inquisition,
il met en scène une mise à mort politique savamment orchestrée. Sous couvert de
religion, et tandis que le roi de France Charles VII reste étrangement
silencieux, celle qui est déjà une légende vivante est sacrifiée au profit des
intérêts des Anglais dans un pseudo procès d’Inquisition.
L’évêque, évincé de son
diocèse, tient sa revanche et fait du procès de Jeanne une affaire personnelle
afin de discréditer tant l’héroïne que Charles VII. L’objectif est clair :
faire vaciller le roi de France que l’intervention de la jeune Lorraine a
permis de faire sacrer à Reims le 17 juillet 1429.
L’Inquisition est
instrumentalisée et ne donne qu’une simple apparence de légitimité au procès.
Le verdict est écrit d’avance pour cette femme controversée qui porte un habit
d’homme et dirige des hommes, est libre dans son attitude et ses propos, se
montre en armure et contrevient en conséquence à l’ordre social.
Toutes les réponses de la
pucelle, qui se dit en mission, et qui demeure intraitable, sont auscultées.
Les voix entendues par Jeanne, émanant de Saint Michel, Sainte Catherine et
Sainte Marguerite, cristallisent les tensions et passent pour des
hallucinations démoniaques.
On peut raisonnablement
affirmer que le procès de Jeanne est irrégulier en raison de vices de
procédure, tels les conditions opaques de son organisation, l’absence de
défenseur, le non-respect du droit d’appel qui existait pourtant à l’époque, la
falsification des actes de procédure, le non-respect de la procédure
inquisitoriale, les pressions sur les juges et les témoins.
Toutes ces irrégularités en
font l’un des plus grands scandales judiciaires du moyen âge. Elles font de
celle, adolescente et analphabète, qui avait su naviguer dans les arcanes du
pouvoir, galvaniser des armées et fait trembler les puissants, une martyre
politique.
Ces irrégularités
participeront en 1456 à la réhabilitation pleine et entière de Jeanne lors d’un
nouveau procès qui annulera celui de 1431.
Deux autres procès se
dérouleront au début du XXe siècle : un procès en béatification
qui la fera Bienheureuse en 1909 puis un procès en canonisation au Vatican qui
en fera une sainte en 1920.
Le piège tendu mais déjoué
Le samedi 24 février 1431,
Jean Beaupère, chanoine de Notre Dame de Paris, recteur de l’université de
Paris, protégé du duc de Bedford, ami de l’évêque Cauchon, interroge Jeanne et,
roué, tente de la piéger.
Il lui demande : « savez-vous
si vous êtes en la grâce de Dieu ? ».
Le piège est évident. Si
Jeanne affirme qu’elle est en état de grâce, elle tombe dans le péché
d’orgueil, ce que condamnent les théologiens. Si au contraire elle déclare
qu’elle n’est pas en état de grâce, elle avoue être en état permanent de péché
et ne saurait donc prétendre être une envoyée de Dieu.
Jeanne (les croyants
penseront qu’elle est sans doute inspirée par l’Esprit Saint) répond avec une
simplicité lumineuse : « Si je n’y suis, Dieu m’y mette ; et
si j’y suis, Dieu m’y tienne. Je serais la plus dolente du monde si je savais
n’être pas en la grâce de Dieu. Et si j’étais en péché, je crois que la voix ne
viendrait pas à moi. Et je voudrais que chacun l’entendit aussi bien comme moi ».
Cette réponse implacable,
théologiquement irréprochable, face à des docteurs, des universitaires, des
érudits, des théologiens qui n’ont pour objectif que sa perte, est d’une
hauteur d’âme tout à fait déconcertante. Jeanne, par cette réponse, se montre
en croyante authentique, sincère, à la foi éblouissante, qui impose ses règles.
Ses juges n’ont cependant que
faire de sa sincérité et de sa foi profonde.

D’innombrables églises de France possèdent une statue de Jeanne d’Arc ou des
vitraux évoquant la vie de la sainte ; ici dans la cathédrale de
Saint-Flour (Cantal) : les voix, Chinon, Orléans, le sacre, l’arrestation,
le bûcher. © Étienne Madranges
Déclarée hérétique et
relapse, Jeanne est condamnée à mort par des juges persuadés de ses mensonges
et de ses blasphèmes et ne supportant pas de savoir et d’avoir constaté qu’elle
a porté des habits d’homme. Elle échappe toutefois à la torture de la « question ».
Le 30 mai 1431, la charrette
du bourreau de Rouen Geoffroy Thérage, entourée par une escorte anglaise,
conduit la suppliciée, âgée de 19 ans, sur la place du Vieux-Marché à Rouen.
Elle est brûlée vive telle une sorcière devant les autorités religieuses et
civiles, mais succombe sans doute aux émanations gazeuses de l’incendie. La
crémation dure plusieurs heures, et son cœur est jeté dans la Seine.

La basilique du Bois-Chenu Sainte Jeanne d’Arc devant laquelle et dans le décor
de laquelle Jeanne d’Arc est omniprésente a été construite à partir de 1891 à
Domrémy (Vosges) ; à droite, sur la place du Vieux-Marché à Rouen
(Seine-Maritime), l’église Sainte Jeanne d’Arc, qui rappelle les flammes, a été
inaugurée sur le lieu du bûcher en 1979. © Étienne Madranges
On rapporte que Jean
Tressart, secrétaire du roi d’Angleterre aurait dit : « Nous
sommes tous perdus ! Nous avons brûlé une sainte ! », et
qu’un chanoine de Rouen, Jean Alespée, aurait de son côté murmuré : « je
voudrais que mon âme fût où je crois qu’est l’âme de cette femme ».
Étienne
Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 257

* voir sa 72ème
chronique dans le JSS n° 2 du 9 janvier 2019
10 empreintes d’histoire précédentes :
• Quelle pucelle fut croquée par un greffier puis dévorée par les flammes ? ;
• Pourquoi Honoré Daumier a-t-il été incarcéré par les juges qu'il allait honorer de son crayon ? ;
• Pourquoi l'amende jadis était-elle honorable ? ;
• Comment la scène du "Noli me tangere"
s'est-elle glissée dans les plis du droit contemporain ? ;
• Comment sont nés les P'tits Poulbots ? ;
• Pourquoi le peintre Utrillo, incarcéré à la Santé, n'a-t-il pas été condamné ? ;
• Fallait-il autoriser la réédition de "Mein kampf" ;
• Pourquoi les visiteurs de certains palais de justice demeurent-ils parfois médusés ;
• Pourquoi des religieuses ayant fait un voeu surveillaient-elles des braqueuses ayant parfois fait des aveux ? ;
• Des
fleurines au boccage, de l'Olympe à l'île de Sapho, pourquoi le produit
de la traite laitière suscite-t-il autant d'attrait... parfois
judiciaire ? ;