Les Anglais conservent des
marbres du Parthénon et semblent peu enclins à s’en séparer. Les Grecs, pour
leur part demandent à récupérer ses éléments antiques, hérités de leur
civilisation. Ce litige peine à trouver une issue au prisme du droit international
depuis plus d’un siècle.
Catharine Titi est directrice
de recherche au CNRS et spécialiste en droit international public. Elle a écrit
« The Parthenon Marbles and the International Law » (les marbres du Parthénon
et le droit international). Son livre expose le différend qui oppose les
Anglais et les Grecs. Il constate les faits puis les confronte à la Loi. Invitée
à l’institut Art & droit l’auteure répond aux interrogations du président,
Gérard Sousi, et détaille comment le droit peut agir dans ce cas.
Une malversation qui remonte
à Sélim III, 28e sultan ottoman…
Athènes est sous domination
ottomane depuis 1458 lorsqu’en 1801, Lord Elgin, ambassadeur britannique à
Constantinople, se donne pour mission de faire mesurer, mouler et dessiner les
antiquités athéniennes, particulièrement celles de l'Acropole. Les agents que
l’ambassadeur dépêche sur place sont alors contraints de payer chaque jour les
autorités ottomanes occupantes pour accéder aux sites. Lassés par cette
situation, les Anglais finissent par fournir une lettre qui les autorise à
prélever des fragments du Parthénon tombés au sol. Ce document est présenté
comme un firman, c’est-à-dire un acte de la chancellerie du grand vizir de
l'Empire ottoman, un permis accordé par le sultan. Les Britanniques ont laissé
entendre qu’ils disposaient d’un firman en bonne et due forme. En réalité, il
n’a jamais été retrouvé. Le courrier original a disparu, seule lui subsiste une
traduction lacunaire.
Forts de leur « autorisation
» de ramasser des fragments au sol, les agents anglais obtiennent, en plus, du
gouverneur de l'Acropole, de monter des échafaudages pour retirer des éléments
toujours en place du Parthénon. Il semble qu’alors, le gouverneur turc a
outrepassé son pouvoir, car aucune preuve n’a jamais établi que les autorités
centrales à Constantinople avaient connaissance de ce qui se tramait à Athènes.
Or, la seule personne qui pouvait accorder un tel pillage réalisé par les
Anglais, aurait été le sultan lui-même.
Des années un plus tard, de
retour en Angleterre, lorsque Lord Elgin a présenté ses dépenses au
gouvernement britannique, il a clairement décrit les pots-de-vin qu'il avait
distribués. Le pouvoir ottoman à Athènes ne faisait pas exception aux
corruptions.
La jurisprudence du
Préah-Vihéar
Donc factuellement, il
n’existe aucune transaction juridique valable de l’époque qui transfère la
propriété des marbres de l'Empire ottoman à l’ambassadeur anglais. Ni achat, ni
donation, ni transaction, rien ne justifie en droit ce départ des marbres du
Parthénon vers l’Angleterre et par la suite vers ses musées. Au moins deux
nations sont donc impliquées dans ce litige interétatique. Il n'y a ni
prescription, ni renonciation.
La Grèce acquiert son
indépendance en 1830. Dès 1836, les diplomates grecs, réclament aux
Britanniques la restitution d'une partie de ce que les hommes d’Elgin ont
dérobé. Ils n’obtiennent aucune considération.
Catharine Titi évoque un
autre litige qui débute en 1961 entre le Cambodge et la Thaïlande. Les deux
pays revendiquaient la propriété du temple Préah Vihéar classé au patrimoine
mondial de l’UNESCO. La Cour internationale de justice a retenu par deux fois
que l’édifice appartenait au Cambodge, en 1962, et en 2013. La cour argue que
le territoire sur lequel se situe le temple appartient au Cambodge. Et donc la
Thaïlande qui l’occupait a été condamnée à quitter l’endroit, mais aussi à
restituer tous les objets pris sur place. Pour la chercheuse, « cette
jurisprudence laisse penser qu’un bâtiment et tout ce qui s’y trouve
appartiennent au territoire souverain ».

Gérard Sousi et Catharine
Titi
La Grèce préfère le dialogue
à la procédure
« Pour récupérer les
marbres du Parthénon, la Grèce participe à des négociations avec le british
muséum et non pas avec le Royaume-Uni. La discussion est biaisée parce qu’une
Loi anglaise de 1963 empêche le british muséum de restituer des pièces. » indique
l’auteure. Cette Loi interdit, en
principe, aux musées britanniques de déclasser les objets qui se trouvent dans
leurs collections. Sollicité pour intervenir, le gouvernement britannique
répond que la décision appartient au musée. Autrement, il devrait changer la
loi. En attendant cette éventualité, la négociation entre la Grèce et le musée
s’éternise.
La Grèce refuse un prêt (de
ses propres créations) de la part du british muséum puisque juridiquement, ce
serait reconnaître que les Britanniques sont propriétaires de ces antiquités. Pour
Catharine Titi, « le british muséum n’a clairement aucune volonté de
restitution ». Certains proposent un échange : les marbres retournent
à l’Acropole et Athènes confie d’autres trésors archéologiques pour plusieurs
années.
La directrice de recherche
explique « qu’il existe un précédent avec la collection d’art
cycladique Léonard Stern en 2022. Selon cet accord, la collection Stern
reviendra à la Grèce après 50 ans. Entre-temps, les Américains, qui la
détiennent, continuent de la gérer, et la Grèce consent à prêter d’autres
œuvres ». L'effort demandé à la Grèce paraît indécent, alors que le pays veut
simplement retrouver une partie des fondements de sa culture.
Quoi qu’il en soit, si la
négociation se solde par ce type d’échange, le même résultat s’appliquera
vraisemblablement à tous les pays – et ils sont nombreux – dont des objets
culturels sont détenus par la Grande-Bretagne…
Certaines nations
colonisatrices se ravisent
Aujourd’hui, les biens
culturels qui ont été emportés, pendant une guerre, sont souvent restitués. Beaucoup
de nations admettent qu’il est devenu acceptable que le droit international
coutumier impose ces restitutions. « La tendance est nettement moins évidente
pour des objets spoliés pendant une période de paix, notamment concernant la
Grèce et le Royaume-Uni, sous l’occupation ottomane. » constate Catharine
Titi.
Toutefois, là aussi, les
attitudes changent. Le droit international coutumier se modernise. Il pose que
si des objets ont été retirés de leur contexte d'origine illicitement ou dans
une conjoncture de déséquilibre des pouvoirs, une partie d’entre eux doit être
rendue. La sélection des objets restitués se décide au cas par cas. C’est un
progrès énorme pour les descendants de civilisations dont le patrimoine a été emporté.
L’auteure prend la France pour
exemple : « 2 lois-cadres ont été adoptées récemment. Elles
concernent évidemment des choses très spécifiques, mais elles entérinent ces
restitutions sans aucune obligation ou contrepartie. Il n’existe pas une
convention internationale qui oblige à retourner les objets qui ont été pris
par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, ça se fait. C’est
une évolution du droit international. »
La France, l’Allemagne, la
Belgique, les Pays-Bas, des universités anglaises, des musées privés, ont
restitué des bronzes au Bénin (mais pas le british muséum qui en retient un
grand nombre). Ces restitutions ne sont imposées par aucune convention, mais plutôt
guidées par une bonne pratique éthique.
Les Pays-Bas apparaissent
comme des pionniers dans ce domaine. Les Hollandais décolonisent leurs
collections. Ils estiment que tout ce qui se trouve dans un musée public
néerlandais du fait d’une colonie et qui sinon serait resté à sa source – en
Indonésie par exemple – doit être retourné inconditionnellement, sans
discussion sur la provenance.
C2M