CULTURE

Restitution d'oeuvres pillées : l'acceptabilité diverge selon les pays

Restitution d'oeuvres pillées : l'acceptabilité diverge selon les pays
Publié le 03/05/2025 à 07:00

Les Anglais conservent des marbres du Parthénon et semblent peu enclins à s’en séparer. Les Grecs, pour leur part demandent à récupérer ses éléments antiques, hérités de leur civilisation. Ce litige peine à trouver une issue au prisme du droit international depuis plus d’un siècle.

Catharine Titi est directrice de recherche au CNRS et spécialiste en droit international public. Elle a écrit « The Parthenon Marbles and the International Law » (les marbres du Parthénon et le droit international). Son livre expose le différend qui oppose les Anglais et les Grecs. Il constate les faits puis les confronte à la Loi. Invitée à l’institut Art & droit l’auteure répond aux interrogations du président, Gérard Sousi, et détaille comment le droit peut agir dans ce cas.

Une malversation qui remonte à Sélim III, 28e sultan ottoman…

Athènes est sous domination ottomane depuis 1458 lorsqu’en 1801, Lord Elgin, ambassadeur britannique à Constantinople, se donne pour mission de faire mesurer, mouler et dessiner les antiquités athéniennes, particulièrement celles de l'Acropole. Les agents que l’ambassadeur dépêche sur place sont alors contraints de payer chaque jour les autorités ottomanes occupantes pour accéder aux sites. Lassés par cette situation, les Anglais finissent par fournir une lettre qui les autorise à prélever des fragments du Parthénon tombés au sol. Ce document est présenté comme un firman, c’est-à-dire un acte de la chancellerie du grand vizir de l'Empire ottoman, un permis accordé par le sultan. Les Britanniques ont laissé entendre qu’ils disposaient d’un firman en bonne et due forme. En réalité, il n’a jamais été retrouvé. Le courrier original a disparu, seule lui subsiste une traduction lacunaire.

Forts de leur « autorisation » de ramasser des fragments au sol, les agents anglais obtiennent, en plus, du gouverneur de l'Acropole, de monter des échafaudages pour retirer des éléments toujours en place du Parthénon. Il semble qu’alors, le gouverneur turc a outrepassé son pouvoir, car aucune preuve n’a jamais établi que les autorités centrales à Constantinople avaient connaissance de ce qui se tramait à Athènes. Or, la seule personne qui pouvait accorder un tel pillage réalisé par les Anglais, aurait été le sultan lui-même.

Des années un plus tard, de retour en Angleterre, lorsque Lord Elgin a présenté ses dépenses au gouvernement britannique, il a clairement décrit les pots-de-vin qu'il avait distribués. Le pouvoir ottoman à Athènes ne faisait pas exception aux corruptions.

La jurisprudence du Préah-Vihéar

Donc factuellement, il n’existe aucune transaction juridique valable de l’époque qui transfère la propriété des marbres de l'Empire ottoman à l’ambassadeur anglais. Ni achat, ni donation, ni transaction, rien ne justifie en droit ce départ des marbres du Parthénon vers l’Angleterre et par la suite vers ses musées. Au moins deux nations sont donc impliquées dans ce litige interétatique. Il n'y a ni prescription, ni renonciation.

La Grèce acquiert son indépendance en 1830. Dès 1836, les diplomates grecs, réclament aux Britanniques la restitution d'une partie de ce que les hommes d’Elgin ont dérobé. Ils n’obtiennent aucune considération.

Catharine Titi évoque un autre litige qui débute en 1961 entre le Cambodge et la Thaïlande. Les deux pays revendiquaient la propriété du temple Préah Vihéar classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. La Cour internationale de justice a retenu par deux fois que l’édifice appartenait au Cambodge, en 1962, et en 2013. La cour argue que le territoire sur lequel se situe le temple appartient au Cambodge. Et donc la Thaïlande qui l’occupait a été condamnée à quitter l’endroit, mais aussi à restituer tous les objets pris sur place. Pour la chercheuse, « cette jurisprudence laisse penser qu’un bâtiment et tout ce qui s’y trouve appartiennent au territoire souverain ».


Gérard Sousi et Catharine Titi

La Grèce préfère le dialogue à la procédure

« Pour récupérer les marbres du Parthénon, la Grèce participe à des négociations avec le british muséum et non pas avec le Royaume-Uni. La discussion est biaisée parce qu’une Loi anglaise de 1963 empêche le british muséum de restituer des pièces. » indique l’auteure.  Cette Loi interdit, en principe, aux musées britanniques de déclasser les objets qui se trouvent dans leurs collections. Sollicité pour intervenir, le gouvernement britannique répond que la décision appartient au musée. Autrement, il devrait changer la loi. En attendant cette éventualité, la négociation entre la Grèce et le musée s’éternise.

La Grèce refuse un prêt (de ses propres créations) de la part du british muséum puisque juridiquement, ce serait reconnaître que les Britanniques sont propriétaires de ces antiquités. Pour Catharine Titi, « le british muséum n’a clairement aucune volonté de restitution ». Certains proposent un échange : les marbres retournent à l’Acropole et Athènes confie d’autres trésors archéologiques pour plusieurs années.

La directrice de recherche explique « qu’il existe un précédent avec la collection d’art cycladique Léonard Stern en 2022. Selon cet accord, la collection Stern reviendra à la Grèce après 50 ans. Entre-temps, les Américains, qui la détiennent, continuent de la gérer, et la Grèce consent à prêter d’autres œuvres ». L'effort demandé à la Grèce paraît indécent, alors que le pays veut simplement retrouver une partie des fondements de sa culture.

Quoi qu’il en soit, si la négociation se solde par ce type d’échange, le même résultat s’appliquera vraisemblablement à tous les pays – et ils sont nombreux – dont des objets culturels sont détenus par la Grande-Bretagne…

Certaines nations colonisatrices se ravisent

Aujourd’hui, les biens culturels qui ont été emportés, pendant une guerre, sont souvent restitués. Beaucoup de nations admettent qu’il est devenu acceptable que le droit international coutumier impose ces restitutions. « La tendance est nettement moins évidente pour des objets spoliés pendant une période de paix, notamment concernant la Grèce et le Royaume-Uni, sous l’occupation ottomane. » constate Catharine Titi.

Toutefois, là aussi, les attitudes changent. Le droit international coutumier se modernise. Il pose que si des objets ont été retirés de leur contexte d'origine illicitement ou dans une conjoncture de déséquilibre des pouvoirs, une partie d’entre eux doit être rendue. La sélection des objets restitués se décide au cas par cas. C’est un progrès énorme pour les descendants de civilisations dont le patrimoine a été emporté.

L’auteure prend la France pour exemple : « 2 lois-cadres ont été adoptées récemment. Elles concernent évidemment des choses très spécifiques, mais elles entérinent ces restitutions sans aucune obligation ou contrepartie. Il n’existe pas une convention internationale qui oblige à retourner les objets qui ont été pris par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, ça se fait. C’est une évolution du droit international. »

La France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, des universités anglaises, des musées privés, ont restitué des bronzes au Bénin (mais pas le british muséum qui en retient un grand nombre). Ces restitutions ne sont imposées par aucune convention, mais plutôt guidées par une bonne pratique éthique.

Les Pays-Bas apparaissent comme des pionniers dans ce domaine. Les Hollandais décolonisent leurs collections. Ils estiment que tout ce qui se trouve dans un musée public néerlandais du fait d’une colonie et qui sinon serait resté à sa source – en Indonésie par exemple – doit être retourné inconditionnellement, sans discussion sur la provenance.

C2M

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles