L'opération
de cash-out a été mise en lumière à la suite de plusieurs avis rendus par le
comité de l'abus de droit fiscal. Simple opération de réduction de capital non
motivée par les pertes, elle possède de nombreuses vertus civiles, mais surtout
une fiscalité attrayante, laquelle doit conduire à la plus grande vigilance, en
raison du risque de qualification en abus de droit fiscal.
Le
capital social d'une société peut être réduit en raison de l'apparition de
pertes, mais également en l'absence de pertes. Ce second visage de la réduction
de capital peut de prime abord apparaître étonnant. La société va restituer des
richesses aux associés en diminuant son capital ; elle paie à l’associé
ses droits sociaux, à la manière d’un simple acheteur et les annule afin de
réduire son capital.
Inverse
de l'opération d'augmentation de capital par apport de richesse, l'opération
n'est pas analysée comme une distribution sur le plan juridique. S’agissant de
sa fiscalité, elle relève de celle des plus-values pour la part des sommes
versées représentant les réserves de la société, comme le soulignent les
spécialistes de l’opération (1).
En réalité,
les choses sont un peu plus complexes, car les réductions de capital non
motivées par des pertes peuvent emprunter deux voies alternatives : la
réduction du nombre de titres de capital, ou encore la réduction de la valeur
nominale des titres. Concrètement, cela peut conduire une société avec un
capital social de 1000 euros divisé en 100 actions de 10 euros à supprimer 10
actions, le capital sera alors de 900 euros et sera représenté par 90 actions,
ou dans une même configuration à réduire le nominal à 9 euros, le nombre de titres
est alors conservé.
En
outre, l’opération n’est pas neutre pour les créanciers, puisque les richesses
de la société sont attribuées aux associés, et la dette de dernier rang, le
capital est réduit. C’est pourquoi les créanciers bénéficient d’un droit
d’opposition. À titre d’exemple, en matière de SA, l’opposition est organisée à
l’article L. 225-205 du code de commerce. Elle permet aux créanciers craignant
la réduction de l’assiette de leur droit de gage général d’obtenir
éventuellement le remboursement de leur créance ou la constitution de garantie,
mais uniquement si le juge estime leur demande légitime ; autrement dit,
s’ils ont des raisons de s’inquiéter de la solvabilité future de la société,
leur débiteur. En pratique, le risque d’entrave à l’opération par les
créanciers est faible, car les sociétés qui choisissent la voie du cash out
sont en bonne santé financière, si bien que les créanciers ne sont pas alarmés
par la réalisation de l’opération.
L’opération
brièvement présentée interroge sur pourquoi les associés choisiraient une
réduction de capital non motivée par les pertes plutôt qu’une simple
distribution. Surtout, en raison de son régime fiscal avantageux, se pose la
question de savoir si cette opération n’encourt pas la qualification en abus de
droit fiscal. Nous allons présenter les deux facettes du cash out, d’un côté,
ses atouts, de l’autre, le risque fiscal lié.
Les atouts
de la réduction de capital non motivée par les pertes
L’opération
de réduction de capital non motivée par les pertes présente à la fois des intérêts
juridiques et fiscaux.
- 4
éléments juridiques à retenir
Parmi
les vertus juridiques de l'opération, vient tout d'abord l’intérêt sur le plan
purement financier. Il s'agit de la fameuse relution du capital social. En
effet, lorsque des titres sont annulés et si la société maintient le même
bénéfice, apparait alors mécaniquement une amélioration du bénéfice net par
actions. En d’autres termes, là où l’augmentation de capital entraîne une
dilution des participations de ceux qui n’y participent pas, la réduction de
capital entraîne l’effet inverse.
Autre
utilité, l'opération peut permettre d'organiser la sortie d'un associé, notamment
quand ce dernier souhaite exercer son droit de retrait statutaire ou encore
extrastatutaire, lorsqu'il est exclu de la société, ou tout simplement pour
mettre fin à une querelle entre associés. La réduction de capital non motivée
par les pertes offre une porte de sortie en cas de conflit entre associés.
Il
n’est, par ailleurs, pas exclu que l’opération de réduction se réalise par la
sortie, non pas de liquidités du patrimoine social, mais d’un bien en nature. L'opération
peut permettre d'alléger le bilan de la société dans la perspective d'une
transmission. Par exemple, un repreneur, ne disposant pas des fonds nécessaires
pour acquérir la société d'exploitation avec l'immeuble social, pourrait voir
son projet d’acquisition facilité par la mise en place d'une telle opération
préalablement à l'acquisition des titres. Autre exemple, un associé, ayant deux
enfants et souhaitant transmettre sa société d’exploitation à l’un d’entre eux,
pourrait grâce au cash out sortir les actifs immobiliers de la société
pour en réduire la valeur, puis constituer des lots égalitaires lors d’une
donation-partage avec ses deux enfants, le premier obtenant les titres, le
second l’immobilier d’entreprise.
Enfin,
parce que la réduction de capital social altère la substance des droits
sociaux, les actifs obtenus en contrepartie ne sont pas qualifiés de fruits,
mais de produits (2). Or seuls les fruits des biens propres sont attirés par la
communauté. Partant, si les droits sociaux sont des propres d’un époux, toute
distribution de dividendes profite à la communauté. En revanche, les produits
échappent à l’attraction communautaire et demeurent des biens propres de
l’époux propriétaire des droits sociaux. Le choix de la réduction de capital en
lieu et place d’une distribution pour faire échapper la somme à la communauté semble
moralement contestable. Cependant, il est vrai que d’un point de vue purement
stratégique, l’incidence sur les qualifications du droit des régimes
matrimoniaux peut être prise en compte par l’associé et son conseil.
- Le
traitement fiscal avantageux de l’opération
Enfin,
l’atout le plus remarquable, est le régime fiscal attractif de la réduction de
capital non motivée par les pertes des sociétés à l’impôt sur les sociétés. En
effet, les associés d’une société souhaitant retirer des richesses de leur
société peuvent soit procéder à une distribution de dividendes si l'exercice a
été bénéficiaire, soit procéder à une annulation des titres si la société a
accumulé des réserves. Or la seconde voie est fiscalement plus attractive.
Prenons
un exemple afin de démontrer cette affirmation : Monsieur XYZ fonde une
SAS unipersonnelle, soumise à l’impôt sur les sociétés, en 2000 au capital
social de 100.000 euros, divisé en 100 actions de 1000 euros de nominal. Les
réserves de la société sont d’un montant de 200.000 euros de sorte que la
valeur théorique de chaque action est de 3000 euros. Le taux marginal
d’imposition de Monsieur XYZ est de 45%.
Monsieur
XYZ souhaite sortir 60.000 euros de liquidités. Deux possibilités s’offrent
donc à lui, que nous allons comparer, voter une distribution ou réduire le
capital social et pour chacune des options, Monsieur XYZ peut être imposé à un
taux forfaitaire, le fameux Prélèvement forfaitaire unique, ou choisir le
barème progressif.
De
prime abord, l’unification des fiscalités applicables aux différentes
opérations (distribution de dividendes et réduction de capital social) pourrait
laisser supposer un coût fiscal similaire dans les deux hypothèses. Or, il n'en
est rien, car si le taux est le même, la base de taxation diffère (3). En
outre, des abattements peuvent s’appliquer en cas d’option pour l’imposition au
barème progressif.
La
distribution de dividendes aboutit ainsi soit à un prélèvement au PFU de 30%,
soit 18 000 euros pour 60 000 euros distribués, soit un impôt de 16 200 euros
et des prélèvements sociaux de 17,2%, soit 10 320 euros et donc un total de 26
520 euros.
En
revanche, si Monsieur XYZ réalise une réduction de capital en se faisant
racheter 200 actions, d’une valeur vénale grâce aux réserves de 3 000 euros
chacune, il percevra aussi 60 000 euros. En vertu de l’article 112-6° du Code général
des Impôts, la taxation se fera selon le régime des plus-values de cession de
titres, au prélèvement fiscal unique (PFU) ou sur option au barème progressif. La
Plus-value étant de 40 000 euros, seule cette somme supportera l’impôt.
Au
PFU, il devra payer 12 000 euros. Au barème de l’impôt sur le revenu, il pourra
éventuellement bénéficier d’un abattement de 85% sur le montant de la
plus-value puisqu’il détient ses titres depuis plus de 8 ans et les a acquis
avant le 1er janvier 2018. Il devra ainsi payer 4 050 euros d’impôt
et cette fois 6 880 euros de prélèvements sociaux (les 17 ; 2% étant cette
fois appliqué sur la plus-value et non la somme totale). Soit un coût global de
10 930 euros.
En
résumé, le coût final est de :
Options
|
Distribution
de dividendes
|
Réduction
de capital social
|
PFU
|
18
000 €
reste 42 000 €
|
12
000 €
reste 48 000 €
|
Barème
progressif
|
26
520 €
reste 33 480 €
|
10
930 €
reste 49 070 €
|
NB :
lors du choix pour le PFU ou le barème, il ne faut pas oublier que cette option
doit être prise globalement par le contribuable, pour l’ensemble des revenus de
capitaux mobiliers.
Il
apparaît donc que la réduction de capital permet au contribuable de percevoir
des liquidités de la société à moindre coût fiscal que la solution
traditionnelle de la distribution de dividendes. Aux atouts juridiques de
l’opération, s’ajoute donc un atout fiscal conséquent.
L’opération
comporte aussi des risques
Premier
danger, l'administration fiscale a tenté à plusieurs reprises de démontrer que
le recours à la réduction de capital non motivée par les pertes en lieu et
place d'une simple distribution de dividendes constitue un abus de droit fiscal.
Elle se fonde dans ses redressements sur l'abus de droit par fraude à la loi et
non sur l'abus de droit par simulation, l'opération de réduction de capital
n'étant pas fictive. En outre, très récemment, la Cour administrative de
Bordeaux a retenu une solution inquiétante en présence d’une opération de
réduction de capital social non motivée par les pertes, conduisant à son tour à
craindre le traitement fiscal de cette opération.
- L’administration
peut invoquer l’abus de droit
Pour
qualifier l'opération d'abus de droit, l'administration dispose de deux
armes : l'article L.64 et l'article L.64A également appelé mini abus de
droit fiscal. Cependant, à la lecture de ces textes, deux critères cumulatifs
sont exigés – la contrariété à l’intention du législateur et la poursuite d’un
but exclusivement ou principalement fiscal – et le premier devrait chaque fois
faire défaut.
En
effet, s’agissant du critère du but principalement ou exclusivement fiscal, il semble
qu’un autre but peut toujours être identifié puisqu’en réduisant son
capital social, l'associé diminue son exposition au risque social. De plus,
lorsque la société est pluripersonnelle, cette opération peut également
permettre de modifier les équilibres en présence, ou de sortir un associé
devenu indésirable. Toutefois, ces buts peuvent être insuffisants, si bien
qu’il faut être particulièrement vigilant, nous y reviendrons.
S’agissant
du second critère, la contrariété aux intentions du législateur, c’est là que
l’administration risque d’échouer. Comme l’a écrit le Professeur Mortier,
« il est absurde de prétendre qu'en choisissant de se faire racheter ses
titres par la société émettrice plutôt que de se faire distribuer des
dividendes, le contribuable rechercherait le bénéfice d'une application
littérale de la loi à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs
auteurs » (4).
Quel
était l'objectif poursuivi par le législateur lors de l'adoption de ce texte ?
La réponse est simple : offrir la possibilité à une société de réduire son
capital social alors même qu'elle n'aurait pas de perte et donc distribuer une
partie de ses richesses. Partant, le contribuable qui réaliserait cette
opération ne pourrait se voir reprocher de vouloir échapper au régime de la
taxation des dividendes puisqu’il ne ferait qu'utiliser l'alternative offerte
par la loi elle-même dans cette finalité précise !
D’ailleurs,
la lecture des avis du comité de l’abus de droit fiscal laisse entendre qu’il
ne faut pas utiliser cette opération de manière récurrente, ou encore
concomitamment à une augmentation de capital du même montant. Mais il est en
revanche possible d’y recourir en présence d’une réduction de capital motivée
par une restructuration globale de l’entreprise, en présence de réserves jugées
excessives ou encore lorsque l’opération s’inscrit dans un schéma global de
transmission à terme de l’entreprise (5). De même, l’opération de rachat
inégalitaire ou avec sortie d’un associé semble à l’abri de l’abus de droit.
Toutefois,
l’administration fiscale n’a pas rendu les armes et a décidé de poursuivre
devant les tribunaux ces opérations, si bien qu’il faut demeurer prudent.
- L’étonnante
et surtout inquiétante solution de la Cour administrative de Bordeaux
Enfin,
très récemment, la Cour administrative de Bordeaux (6) a rendu une décision
surprenante en présence d’une opération de réduction de capital non motivée par
les pertes. Elle a retenu que « dès lors que cette réduction de capital
n'était pas motivée par des pertes, elle s'est traduite par une répartition, au
profit des associés, de sommes qui, eu égard à la finalité de l'opération,
répond au régime fiscal prévu au 1°) de l'article 112 du code général des
impôts et non au 6°) du même article. Ainsi, et dès lors qu'il est constant que
les autres réserves n'avaient pas été auparavant réparties, c'est à juste titre
que l'administration fiscale a estimé que les sommes versées aux associés
sortants présentaient le caractère de revenus distribués, et a assujetti ces
sommes au prélèvement forfaitaire non libératoire, prévu par l'article 117
quater du code général des impôts, ainsi qu'aux prélèvements sociaux ».
Il semble ainsi pour la CAA de Bordeaux que les sommes obtenues soient soumises
à l’imposition comme des bénéfices distribués et non comme des plus-values.
Cette
solution parait sur le terrain du droit des sociétés, mais également du droit
fiscal, artificielle. Il est évident que lors d’une réduction de capital non
motivé par des pertes dans une société ayant connu des mises en réserves par le
passé, le rachat des titres s’effectue à la valeur vénale et non nominale.
Cette valeur est donc supérieure à la capitalisation des apports, de sorte que
les associés obtiennent la valeur nominale en remboursement de leur apport et
donc sans imposition si l’on peut dire, ainsi qu’une somme supplémentaire
représentant l’écart entre le nominal et la valeur vénale, représentant les
sommes mises en réserve pas le passé.
L'existence
d'un prélèvement sur le poste des réserves s'impose en conséquence
comptablement et juridiquement dès lors que la société supprime en les rachetant
ses propres titres. L’emploi du terme « concomitamment » par la
Cour pour désigner le versement d’une partie des réserves comme si cette
opération était distincte du remboursement des apports est donc erronée,
puisqu’il n’est pas question de deux opérations concomitantes, mais d’une même
opération ayant des incidences comptables sur plus d’un poste du bilan…
Le
raisonnement de la cour d'appel apparaît ainsi particulièrement inquiétant pour
tous ceux qui envisagent de recourir à une opération de réduction de capital
non motivée par les pertes, car la somme obtenue ne pourra alors pas bénéficier
des abattements propres aux plus-values sur droits sociaux.
En
conclusion, il semble donc que l’opération, aux vertus nombreuses, comporte à
ce jour des risques conduisant à en user avec parcimonie et vigilance. Surtout qu’un
dernier risque demeure sur le terrain du droit de la protection sociale.
En
effet, lors d’un cash out, le dirigeant associé va pouvoir éviter certaines
cotisations sociales qui s’appliquent sur une partie des dividendes qu’il se
verse. On pense notamment au dirigeant de SARL. Une autre forme d’abus pourrait
donc lui être reprochée à l’avenir. Ainsi est-il préférable d’attendre de
savoir, d’une part, ce que dira le juge fiscal et, d’autre part, si une
procédure pour fraude sociale pourrait être engagée avant de recourir à cette
opération.
Nadège
Jullian
Professeur de droit privé, Université Toulouse Capitole
1/ En ce sens : R. Mortier, La
sortie de cash d’une société par réduction de son capital, Dr. Sociétés, n° 2,
Février 2023, étude 1.
2/ Cass. Civ., 21 oct. 1931, DP 1933, 1, p. 100, note P.
Cordonnier ; Cass. Civ., 5 févr. 1890, DP 1890, 1, p. 300, S. 1893, 1, p.
471 ; Cass. Com., 5 oct 1999, Bull. Civ. IV, n° 163, D. 2000, p. 552, note G. Morris-Becquet, BJS
1999, p. 1104, note A. Couret ; Dr. Sociétés 2000, chron. 1, note Th.
Bonneau ; Defrénois, 2000, p. 40, obs. P. Le Cannu ; RTD Com. 2000,
p. 138, obs. M. Storck ; Cass. Com., 10 févr. 2009, Dr. Sociétés 2009,
comm. 71, note R. Mortier ; JCP N 2009, 1114, note H. Hovasse.
3/ L’article 112 du code général des impôts choisit d’opérer une distinction.
Les sommes versées en remboursement des apports ne sont pas taxées ;
celles représentant les réserves constituent des plus-values.
4/ R. Mortier, La sortie de cash d’une société par réduction de son capital,
Dr. Sociétés, n° 2, Février 2023, étude 1.
5/ N. Jullian, « En matière de Rachat-annulation, tous les chemins ne mènent pas à
l’abus », Dr. Fiscal n° 21, 27 mai 2022, rapport 230, CADF : avis rendus au
cours des séances du 1er et 15 oct. 2021, du 18 nov. 2021 et du 4 févr. 2022.
6/ CAA Bordeaux, 5ème
chambre, 16 avril 2024, 22BX01822