JUSTICE

TRIBUNE. Annulation de la désignation d’un juge d’instruction au pôle « Cold Cases » à Nanterre : un arrêt qui jette un froid !

TRIBUNE. Annulation de la désignation d’un juge d’instruction au pôle « Cold Cases » à Nanterre : un arrêt qui jette un froid !
Publié le 29/02/2024 à 09:15

Pour Emmanuel Poinas, vice-président du tribunal de première instance de Nouméa, délégué général du syndicat CFDT-magistrats, cet arrêt récent du Conseil d’Etat s’inscrit dans une « série » de sanctions infligées à l’administration relativement aux conditions de nomination et à l’exercice des fonctions juridictionnelles, au lendemain d’une nouvelle réforme de la loi organique relative au statut de la magistrature dont toutes les dispositions ne sont pas rentrées en application.

Dans un arrêt inédit n° 467027 en date du 29 janvier 2024 le Conseil d’Etat a annulé la nomination d’un juge d’instruction appelé à compléter la composition du pôle « crime sériels et non élucidés », formation spécialisée installée au tribunal judiciaire de Nanterre.

Ce pôle « cold case » en bon français de France, comme diraient nos amis Québécois, a été installé par le ministère de la Justice avec une certaine publicité il y a moins de deux ans et fait figure de vitrine des politiques innovantes en matière de traitement d’affaires non résolues.

Le Conseil d’Etat rappelle l’obligation de respecter le principe d’égalité de traitement

Une magistrate ayant postulé à l’exercice de ces fonctions avait déposé un recours visant à voir critiquer les conditions de son absence de nomination. Le Conseil d’Etat a fait droit à ses demandes, en laissant à l’administration un délai de six mois pour procéder à un nouvel examen de la situation.

Les motifs retenus par la haute juridiction administrative à l’appui de son raisonnement sont particulièrement intéressants, car ils viennent exprimer une nouvelle fois l’obligation de respecter le principe d’égalité de traitement des magistrats dans l’examen de leurs candidatures.

Cette obligation avait notamment été édictée par le Conseil constitutionnel dans une décision n° 2001-445 DC du 19 juin 2001 qui rappelait qu’en matière de nomination des magistrats, comme en matière d’accès aux charges et emplois publics en général,  les distinctions ne peuvent être fondées que sur une appréciation des capacités vertus et talents des différents candidats.

Le Conseil d’Etat, à plusieurs reprises, a pu sanctionner les atteintes caractérisées au principe d’égalité d’examen des candidatures à une fonction juridictionnelle(1), ainsi que l’existence de nominations « pour ordre » (2). S’il reconnaît à l’administration du ministère de la Justice et au Conseil supérieur de la magistrature un large pouvoir d’appréciation pour l’examen des candidatures qui lui sont proposées (3), en revanche, il n’hésite pas à sanctionner une violation des règles de procédure ayant précédé l’examen de ces candidatures (4). Il exerce un contrôle visant à prévenir les cas de détournement de pouvoir (5) ainsi que l’erreur de droit (6).

L’absence de garantie a vicié la procédure de nomination

En l’espèce, le Conseil d’Etat a retenu que les conditions d’examen de la candidature ne pouvaient établir la régularité de la procédure suivie pour la nomination du magistrat finalement choisi. En effet, il existait une discordance entre les circulaires publiées visant à déterminer le nombre des magistrats ayant postulé et dont la candidature a été soumise au CSM, avec les documents publiés postérieurement à la réunion du CSM visant à permettre l’examen de ces candidatures.

Pour le dire simplement, la requérante n’était pas certaine, au vu des documents publiés par l’administration, que sa candidature ait été effectivement soumise au CSM par l’administration qui avait néanmoins accusé réception de sa demande. L’administration a été dans l’incapacité de démontrer que les documents qu’elle produisait et qui consistaient principalement en un « tableau de synthèse des candidatures » (document dont aucune disposition de l’ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature, pas plus que de son décret d’application, ni de la loi organique relative au Conseil supérieur de la magistrature et son décret d’application ne font mention) suffisaient à établir que les dispositions prévues avaient été respectées.

Et le Conseil d’Etat d’en déduire que la requérante avait ainsi été prive d’une garantie et que cette absence de garantie viciait la procédure de nomination.

Un véritable conseil de prud’hommes de la magistrature judiciaire

Au-delà du cas d’espèce, dont la teneur est en réalité très classique, ce qu’il convient de relever, c’est que le Conseil d’Etat, depuis quelques semaines, est en train de jouer le rôle d’un véritable « conseil de prud’hommes » de la magistrature judiciaire.

En moins de deux mois, il s’est prononcé trois fois en référé pour statuer soit sur des recours exercées contre des mesures disciplinaires soit contre des décrets de nomination (7), outre la présente décision. La suspension de l’avis donné par le CSM à propos de la nomination d’un magistrat du siège demandant une réintégration après une procédure de congé parental constitue par ailleurs un fait exceptionnel, ce type de décisions étant extrêmement rares (8). Dans le même temps, le tribunal administratif de Paris a condamné l’Etat à verser la somme de 30 000 € à un magistrat qui a démontré être victime d’une procédure de harcèlement moral et de discrimination au sein du tribunal judiciaire de Paris (9).

Un observateur extérieur ne peut que s’interroger sur une telle « série » de sanctions infligées à l’administration relativement aux conditions de nomination et à l’exercice des fonctions juridictionnelles en aussi peu de temps.

Au lendemain d’une nouvelle réforme de la loi organique relative au statut de la magistrature, dont toutes les dispositions ne sont pas rentrées en application, l’annulation de la nomination d’un magistrat au pôle « cold case » à la suite de la violation du principe d’égalité de traitement jette incontestablement un froid…

Emmanuel Poinas

CE,12 décembre 2007, n°296072, publié au Lebon

CE,  Assemblée, 18 janv. 2013 n°354218, publié au Lebon

CE, Assemblée, 8 juin 2016,n ° 382 736 publié au Lebon

CE, 12 décembre 2007 précité à propos de la nomination d’un procureur de la République qui n’avait pas permis un examen normal des autres postulants

CE, 12 juin 2013, n° 361698, mentionné aux tables

CE, 12 décembre 2007 précité

CE, référé, 28 décembre 2023, n° 489 897, inédit, Rejet CE référé, 21 décembre 2023 n° 489 598 , inédit, suspension d’un avis de nomination du CSM « siège », la formation du CSM ayant accusé le magistrat de « fraude à la loi » dans la présentation de ses demandes de mutation et CE, 18 janvier 2024, 490407, inédit, suspendant une décision disciplinaire du CSM « parquet ».

Cf CE, 21 décembre 2023 ci-dessus

TA Paris, 2° Chambre,  11 janvier 2024 n°2116343 inédit

1 commentaire
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Solange DANCIE
- il y a 2 mois
On peut proposer aux Magistrats des spécialistes de droit du travail!!!!!!!!!!
CSM

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