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Victor Hugo : un vibrant plaidoyer pour le droit et les libertés

Victor Hugo : un vibrant plaidoyer pour le droit et les libertés
Victor Hugo, 1861. (Gallica, BNF)
Publié le 31/05/2025 à 14:00

Le génie de Victor Hugo ne se laissait pas inféoder. Son combat passionné et inlassable pour les libertés et les valeurs de la république lui a coûté un long exil. Le célèbre auteur a su prendre de la hauteur par rapport à cette période de censure étatique dans son ouvrage « Ce que c’est que l’exil ». Abus, corruption, manipulation, il y décrit les travers d’un pouvoir immoral qui chasse les dissidents et piétine la république. Au regard du contexte international, ces observations restent d’une totale modernité en 2025.

Le 2 décembre 1851 Louis-Napoléon Bonaparte, alors président de la République, souhaitant à tout prix se maintenir au pouvoir, organise un coup d’État sanglant qui anéantit les institutions de la deuxième République tout récemment instaurées, après la chute de la monarchie de Juillet, en 1848 (1). En ce fameux 2 décembre – date choisie symboliquement car Napoléon 1er a été sacré empereur le 2 décembre 1804 – l’Assemblée nationale est dissoute. Ce faisant, en véritable parjure, Louis Napoléon Bonaparte ne respecte pas son serment de fidélité à la Constitution. Des députés sont arrêtés ainsi que des militants démocrates et membres des sociétés secrètes. Ils seront jugés à l’occasion de procédures expéditives et arbitraires par des juridictions d’exception : les « Commissions mixtes ». Les libertés publiques sont sérieusement mises à mal. Le Prince-Président devient par la suite l’empereur Napoléon III.


Le président Dupin défend l’Assemblée nationale. Actualités 20 novembre 1851 (Gallica, BNF)

Victor Hugo en ardent partisan de l’État de droit choisit immédiatement le chemin de l’exil, d’abord brièvement à Bruxelles, puis dans les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey. Figure emblématique et très célèbre des lettres françaises, il devient soudainement un proscrit. Il ne reviendra en France qu’après la chute du Second empire à l’issue d’un exil de près de vingt ans (de 1851 à 1870).

Dans « Ce que c’est que l’exil », essai inclassable tout à la fois moral et juridique, simultanément profession de foi et pamphlet, paru initialement en 1875 et qui a fait l’objet d’une très récente réédition (2), tout en évoquant sa condition d’exilé et de proscrit, Victor Hugo nous livre un vibrant plaidoyer en faveur du droit et des libertés. Car sa condition d’exilé, de proscrit, le rend plus que sensible au respect de tous les droits et libertés qui fondent les institutions républicaines, et notamment à l’indépendance de la magistrature, précieuse garante d’un État de droit.

Avec une plume limpide, il y affirme l’exigence de la primauté du droit sans lequel la force est illégitime, et fustige le régime liberticide mis en place par Louis-Napoléon Bonaparte.

Hors le droit, la force est violence

Durant son exil Victor Hugo est sans cesse sous le regard inquisiteur de la police et des services secrets impériaux. Il est perpétuellement surveillé, calomnié, et soumis à de multiples manœuvres de déstabilisation de la part des agents de Napoléon III. Avec une rare constance, il se fait, face à ce régime qui bafoue les libertés fondamentales, le partisan du respect scrupuleux du droit et des libertés fondamentales.

Dès le début de « Ce que c’est que l’exil » il affirme l’exigence de la primauté du droit sans laquelle la force est arbitraire et illégitime.

Il écrit ainsi en usant de formules ciselées comme des maximes :

« Le droit incarné c’est le citoyen ; le droit couronné c’est le législateur [...]. Toute société régulière doit avoir à son sommet le droit sacré et armé, sacré par la justice, armé par la liberté (3) ».

Il affirme avec conviction que l’usage de la force pour être juste et légitime doit être impérativement soumis au droit et à la vérité en écrivant :

« La force existe [...] ; mais elle n’existe pas hors du droit, elle existe dans le droit.

Qui dit droit dit force.

Qu’y a-t-il donc hors du droit ?

La violence.

Il n’y a qu’une nécessité, la vérité ; c’est pourquoi il n’y a qu’une force, le droit. Le succès en dehors de la vérité et du droit est une apparence (4) ».

Paradoxalement Victor Hugo montre que la condition du proscrit, lui confère, bien qu’il soit persécuté, en raison de sa position d’homme juste et respectueux du droit, une incontestable supériorité sur celui qui est à l’origine de sa proscription :

« La plus inexpugnable des positions résulte du plus profond des écroulements ; il suffit que l’homme écroulé soit un homme juste ; insistons-y, si cet homme a raison, il est bon qu’il soit accablé, ruiné, spolié, expatrié, bafoué, insulté, renié, calomnié, et qu’il résume en lui toutes les formes de la défaite et de la faiblesse ; alors il est tout puissant. Il est indomptable ayant en lui la droiture. [...] N’avoir plus rien à soi ; n’avoir plus rien sur soi, c’est la meilleure condition du combat (5) ». 

Mais Victor Hugo après avoir affirmé ses convictions d’homme profondément attaché à l’État de droit, fustige dans un verbe acéré le régime liberticide mis en place par Louis-Napoléon Bonaparte à la faveur du coup d’État du 2 décembre 1851.

La dénonciation implacable du système orchestré par le pouvoir

Avec des formules cinglantes l’auteur de « Ce que c’est que l’exil » dénonce l’opportunisme et la servilité des trois grands corps que sont la magistrature, l’armée et le clergé qui ont contribué au succès du coup d’État du 2 décembre et à l’avènement du second empire :

« Vous voyez bien que les juges qui l’avaient mis en accusation lui prêtent serment ! Vous voyez bien que les prêtres, les soldats, les généraux sont avec lui ! (6) ».

Il est vrai qu’à l’époque les magistrats en prêtant serment de fidélité à Napoléon III ont expressément manifesté leur allégeance à celui-ci, quand bien même le Prince-Président avait accédé au pouvoir au moyen d’un coup de force factieux. Victor Hugo n’a eu de cesse de stigmatiser férocement avec sa plume la culture de soumission de la magistrature à l’égard de l’auteur du coup d’État du 2 décembre.


Napoléon III, 1857. (Gallica, BNF)

Il a la sereine conviction qu’il n’est pas d’État de droit sans une magistrature authentiquement indépendante. Selon lui les libertés fondamentales ne peuvent s’épanouir et perdurer que lorsque des juges indépendants en sont les garants sourcilleux et volontaristes. 

Victor Hugo évoque aussi toutes les stratégies utilisées par celui qu’il a appelé Napoléon le Petit pour mettre à mal ses libertés et le piéger grâce à ses agents secrets. Il fustige les atteintes portées par le nouveau maître du pouvoir au secret de sa correspondance : « N’écrivez pas à vos amis de France ; il est permis d’ouvrir vos lettres ; la Cour de cassation y consent (7) ».

Il dénonce l’espionnage permanent dont il fait l’objet et les stratagèmes perfides utilisés par la police et les agents des services secrets de l’empereur pour le discréditer : « défiez-vous de vos relations de proscrit, elles aboutissent à des choses obscures (8). [...] Un inconnu très mystérieux viens vous parler bas à l’oreille ; il vous déclare que, si vous le voulez, il se charge d’assassiner l’empereur ; c’est Bonaparte qui vous offre de tuer Bonaparte [...] vous payez les dettes d’auberge de cet exilé, c’est un agent ; vous payez le voyage de cet exilé c’est un sbire (9) ». 

Victor Hugo souligne que le nouveau maître du pouvoir ne recule devant rien – y compris en recourant à la corruption – pour mettre à mal les proscrits : « Les despotes dans leur guerre aux proscrits ont deux auxiliaires ; premièrement l’envie, deuxièmement la corruption (10) ».

Il montre aussi que sa liberté d’expression et de création artistique sont malmenées dans le but de tarir considérablement ses ressources financières car l’empereur tant en France qu’à l’étranger (il n’hésitera pas à faire pression sur des États étrangers) grâce à la connivence de souverains de pays tiers, utilise tous les procédés possibles et imaginables pour faire en sorte que le grand écrivain soit privé de ses droits d’auteur. Victor Hugo indique, parlant de lui à la troisième personne comme pour donner plus de force et d’objectivité à son propos, non sans recourir parfois à une ironie grinçante : « Le marché français était fermé à ses publications. Ses premiers éditeurs belges imprimèrent tous ses livres sans lui rendre aucun compte, entre autres les deux volumes des Œuvres oratoires. Napoléon-le-Petit fit seule exception. [...] Le produit total de toutes les éditions des Châtiments a été pendant dix-huit ans confisqué par les éditeurs étrangers. [...] Ce que l’hospitalité anglaise avait de complet, c’était sa tendresse pour les livres des exilés. Elle réimprimait ces livres et les publiait et les vendait avec l’empressement le plus cordial au bénéfice des éditeurs anglais. L’hospitalité pour le livre allait jusqu’à oublier l’auteur. Le devoir d’un livre est de laisser mourir de faim l’auteur [...]   Le théâtre anglais n’était pas moins hospitalier pour les pièces françaises que la librairie anglaise pour le livre français. Aucun droit d’auteur n’a jamais été payé pour Ruy Blas, joué plus de deux cent fois en Angleterre (11) ».

Dans son bref et dense ouvrage Ce que c’est que l’exil, Victor Hugo rend compte avec humanité de la condition de proscrit et des convictions qui l’animent à la faveur de son exil. Il y affirme, en ardent républicain, l’importance de la primauté du droit et plus particulièrement son attachement à l’État de droit ainsi qu’aux libertés qui lui sont consubstantielles. Les juges doivent, selon lui, en demeurer les garants naturels. Victor Hugo fustige aussi, avec force, Louis-Napoléon Bonaparte qui a mis à bas les institutions de la deuxième République suite à un coup d’État sanglant. Il montre que le Prince-Président, devenu empereur à la suite de ce coup de force factieux, n’a eu de cesse de le surveiller, de tout faire pour le discréditer, pour museler sa parole libre et exigeante, et pour l’empêcher de vivre de son écriture libre et clairvoyante.

Cet essai inclassable est en réalité un plaidoyer pour le droit et les libertés. Il demeure par sa rigueur et la qualité de ses réflexions, d’une vive actualité et d’une profonde et précieuse humanité.   

Yves Benhamou
Président de chambre à la cour d’appel de Douai
Historien

1/ Voir sur le déroulement et l’illégalité manifeste du coup d’État du 2 décembre la biographie de l’historien britannique W. Smith, Napoléon III, Nouveau monde éditions, 2007, p. 168.
2/ V. Hugo, Ce que c’est que l’exil, coll. Folio Sagesses, éd. Gallimard, 2025, 91 pages.
3/ V. Hugo, Ce que c’est que l’exil, op. cit, p 35.
4/ V. Hugo, Ce que c’est que l’exil, op. cit, pp. 35-36.
5/ V. Hugo, Ce que c’est que l’exil, op. cit, pp. 79-80.
6/ V. Hugo, Ce que c’est que l’exil, op. cit, p 46.
7/ V. Hugo, Ce que c’est que l’exil, op. cit, p. 42.
8/ V. Hugo, Ce que c’est que l’exil, op. cit, p. 42.
9/ V. Hugo, Ce que c’est que l’exil, op. cit, p. 43.
10/ V. Hugo, Ce que c’est que l’exil, op. cit, p. 52.
11/ V. Hugo, Ce que c’est que l’exil, op. cit, pp. 75-76.

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