SOCIÉTÉ

Élèves avocats : « Le seul statut protecteur aujourd’hui, c’est d’être chômeur »

Élèves avocats : « Le seul statut protecteur aujourd’hui, c’est d’être chômeur »
Le CNB cherche à dégager un consensus sur la forme statutaire de l'élève avocat
Publié le 17/07/2024 à 14:07

Très attendue par les premiers concernés, la réforme du statut des élèves avocats est devenue un enjeu de taille pour la nouvelle mandature du Conseil national des barreaux. Avant la fin de lannée, la commission formation professionnelle de lorganisation représentative de la profession doit se pencher sur l’écriture dun rapport afin de « lever certains verrous ».


MÀJ le 18/07/24 à 13h50 : ajout de précisions sur la position des élèves avocats

« Ni étudiants, ni travailleurs, ni avocats, ils ne disposent daucun statut ». Dans sa lettre dinformation publiée en mai, le Syndicat des avocats de France (SAF) est revenu sur « lurgence et la nécessité absolue » d’établir le régime de lapprentissage pour les élèves avocats, notamment en raison de la précarité financière que certains subissent au cours de leur formation.

« Notre première difficulté est quon est sans statut. Nous ne sommes pas considérés comme des étudiants et à ce titre-là, nous ne pouvons pas avoir accès aux bourses du Crous, au repas à 1 euro ou encore à la gratuité des frais dinscriptions », expose Mélanie Luce, 27 ans, élève avocate à lÉcole de formation des barreaux (EFB) et lune des co-auteures, avec Amine Ghenim, ancien bâtonnier de Seine-Saint-Denis, de la lettre diffusée par lorganisation syndicale.

Si un rapport du Conseil national des barreaux (CNB) sur lopportunité et la possibilité de conférer aux élèves avocats un statut dalternant a été adopté par lAssemblée générale du CNB en octobre 2023, plusieurs points concernant linstauration de ce statut dapprentissage restent aujourdhui à approfondir.

« Il y a au moins une base qui est acquise pour tout le monde, cest quon ne peut rester en l’état, se félicite tout de même Paule Aboudaram, présidente déléguée de la commission de la formation professionnelle du CNB. La profession ne peut pas faire l’économie de réfléchir au statut de l’élève avocat. » 

La recherche du consensus

La réforme du statut de l’élève avocat sinscrit dans une réflexion plus large autour de la professionnalisation de la formation initiale des avocats et des ouvertures apportées par la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui modifie le système de lapprentissage et de la formation professionnelle continue. En 2019, une étude de faisabilité commandée par le SAF sur le sujet est conduite par le professeur de luniversité de Nanterre, Cyril Wolmark. Cest sur cette base que lancienne mandature a débuté les travaux de réflexions sur la création dun véritable statut pour l’élève avocat.

Après le rapport de 2023, « lassemblée générale du CNB a donné mandat à la mandature suivante (2024-2026) de continuer à investiguer à la fois sur le contrat dapprentissage et/ou toute autre possibilité », résume Paule Aboudaram. Un groupe de travail de la commission formation professionnelle, que le CNB a dailleurs « voulu très ouvert », sest ainsi constitué dès janvier 2024. Il sest réuni « quatre fois » afin de « continuer les travaux qui avaient été initiés par la précédente mandature et sattacher à lever tous les verrous » contenus dans le premier rapport.

Parmi ceux-ci : la différence de rémunération pour les apprentis, notamment entre les plus et moins de 26 ans, la question de lapplication du code de travail pour lapprenti, le problème de lorganisation de lalternance pour les élèves avocats de loutre-mer, le partage du temps entre l’école et les cabinets ou encore le sujet des bourses (dun montant de 5000 euros) attribuées par le CNB aux élèves avocats…  Actuellement, pour la nouvelle mandature, la priorité est de « rechercher un consensus », avance Paule Aboudaram.  

L’ombre de la précarité

Statut étudiant, statut spécifique à l’élève avocat ou statut d'apprentissage ? Les trois propositions font partie des pistes qui ont été étudiées par le CNB avec lappréciation et les observations dautres acteurs, à savoir les membres de la Conférence des bâtonniers, les barreaux, les écoles, les cabinets daffaires ou encore les syndicats.

Pour le SAF, qui milite depuis des années en « faveur dun véritable statut dalternant pour les élèves », le statut de lapprentissage « présenterait de nombreux avantages pour les élèves avocats, les cabinets daccueil, les écoles davocat et la profession en général », est-il précisé dans sa lettre de mai dernier.

Alors quils rencontrent de nombreuses difficultés administratives au cours de leur formation, en particulier auprès des organismes publics délivrant des prestations sociales, avec lapprentissage, les élèves-avocats auraient accès à un statut « protecteur » donnant accès à des « droits sociaux », explique l’élève avocate Mélanie Luce. Ce qui est loin d’être le cas aujourdhui.

Celle qui sest engagée au SAF afin dagir sur la situation des élèves avocats évoque le cas de plusieurs dentre eux, à qui la Caisse dallocations familiales (Caf) a demandé le remboursement dindus de prime dactivité versée pendant un stage de formation car ils ny avaient pas le droit. Et sur cette question, le Conseil dÉtat a tranché. Dans un arrêt rendu le 29 décembre 2023, la haute juridiction a en effet considéré que l’élève avocat qui effectue un stage au cours de sa formation initiale est soumis au code de l’éducation nationale en vertu de son statut de stagiaire, et ne peut donc avoir accès à la prime dactivité.

Plus récemment, les élèves-avocats ont également appris quils nont pas le droit de bénéficier du revenu de solidarité active (RSA), malgré des discussions amorcées à ce sujet entre le CNB et la Caf. Or, défend Mélanie Luce, « beaucoup d’élèves avocats vivaient grâce au RSA ». Labsence de statut rend leur situation « vraiment compliquée », déplore la jeune femme, qui fait ce constat amer : « Le seul statut protecteur quand on est élève avocat aujourdhui, cest le fait d’être chômeur. » 

Un nouveau rapport avant la fin 2024 

À lheure actuelle, la profession finance à hauteur de 11,1 millions d’euros la formation professionnelle des élèves-avocats. La part de lÉtat, quant à elle, « représente 9% », indique Paule Aboudaram. Ce à quoi s’ajoute le financement apporté par les droits dinscriptions à lexamen dentrée au Centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA), qui sont de 1875 euros par élève.

Avec le régime de lapprentissage, la profession pourrait bénéficier dapports non négligeables de financements publics. Cela permettrait d'obtenir « des primes de lOPCO, à la fois pour des écoles qui deviendraient des CFA et aussi des aides pour les cabinets qui accueilleraient ». 

En juin dernier, consultés par le CNB, les représentants des élèves avocats auraient fait savoir que si lapprentissage nest pas la « solution idéale », il reste une des pistes possibles, selon Paule Aboudaram. Pourtant pour Victor Audubert, représentant des élèves avocats de l'EFB, « la seule solution à court et moyen terme, c'est l'apprentissage et il y a urgence ».

« Les élèves militent pour ça mais sans dogme, poursuit Paule Aboudaram. Ce quils veulent cest un statut et à mon sens cest légitime. On voit bien quavec la professionnalisation des écoles, les élèves-avocats prennent une place un peu plus importante dans les cabinets, donc il est normal quon sattache à leurs statuts. »

Dès cet été, la commission formation professionnelle du CNB va organiser des réunions et fera des propositions, à la suite de quoi elle rédigera avant la fin de lannée un rapport sur cette réforme dimportance. De son côté, Mélanie Luce estime qu’il « serait vraiment dommage que la profession passe à côté de la période ».

« On a un enjeu qui est très important, cest celui de la précarité actuelle des élèves avocats mais aussi de limage, de la manière dont on veut façonner cette profession pour lavenir, assène l’avocate en formation. L’alternance, l’apprentissage, c’est simplement nous permettre de nous concentrer sur nos études pour qu’on soit de bons collaborateurs. »

Yslande Bossé

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