À
quelques semaines de l’événement, les avocats du département peaufinent leur
feuille de route pour déployer une défense pénale efficace et dénoncent une « mise
sous le tapis » des « plus fragilisés ».
Avec l’arrivée
imminente des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, les avocats de
Seine-Saint-Denis sont sur le pied de guerre. 150 000 spectateurs sont attendus
chaque jour dans ce département qui héberge plusieurs sites de compétition et d’entraînements.
« On va accueillir de
très gros événements et les déplacements de populations vont être importants
donc nous savons que notre volume d’activité
sera largement supérieur à ce qu’on a
habituellement, et qui est déjà très conséquent », expose la bâtonnière
de Seine-Saint-Denis, Stéphanie Chabauty. Depuis la fin de l’année
2023, le barreau s’est « mis en ordre
de marche » et a notamment travaillé sur la « réorganisation » de la
défense pénale d’urgence sur ce
territoire qui concentre de nombreuses difficultés.
En décembre 2022, dans
une note d’alerte adressée à la cour d’appel de Paris et à son procureur, révélée par le
journal Le Monde, le président du tribunal de
Bobigny, Peimane Ghaleh-Marzban et le procureur de la République, Eric Mathais,
faisaient état des multiples problèmes auxquels est confrontée la deuxième
juridiction de France.
Les deux magistrats sollicitaient
par cette missive l’aide de la
Chancellerie pour faire face à l’afflux de
dossiers à traiter dans l’optique
des Jeux de Paris 2024, car le « tribunal de Bobigny n’a
pas les moyens de ses ambitions ». En novembre 2023, un rapport
parlementaire sur « l’évaluation de l’action de
l’État dans l’exercice
de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis », avait mis en lumière le
« fossé béant entre l’inflation
des dossiers et les effectifs alloués » au tribunal de Bobigny, et dénonçait
la dégradation de la justice dans le département.
Depuis, des moyens ont
été débloqués spécialement pour la période des Jeux : une troisième chambre de
comparution immédiate a commencé à siéger depuis avril dernier, le nombre de
postes de magistrats du parquet a été augmenté de 50%, la permanence des
avocats a été mobilisée…
32 avocats par jour pour
assurer la permanence pénale
Tandis que le tribunal
de Bobigny prévoit une augmentation de 30% de ses audiences pénales durant les
semaines olympiques, l’activité
des avocats du barreau se réorganise et se renforce, en particulier autour du
volet de la garde à vue et de la procédure de déferrement.
Des dispositifs
spécifiques ont été mis en place pour « veiller à ce qu’à l’occasion
de cet événement, tous les droits des personnes soient effectivement respectés
», explique Stéphanie Chabauty. Si habituellement, « une centaine de gardes
à vue par jour sont constatées en Seine-Saint-Denis, on nous annonce un
dédoublement » avec les JOP, souligne la bâtonnière.
Pour faire face à cette
augmentation du volume, 32 avocats par jour ont été mobilisés et se sont
répartis les tâches sur différents secteurs afin de pouvoir couvrir l’intégralité du département. « Les avocats sont
de permanence non-stop et sont informés qu’ils peuvent être appelés
également pendant la nuit pour se déplacer pour une audition ou une
confrontation », détaille encore la
bâtonnière.
Sur l’aspect
déferrement, l’équipe de coordination pénale, des avocats chargés de « chapeauter
» l’équipe de permanence de façon quotidienne au tribunal, a quant à elle, été doublée.
Ils sont désormais 16 et interviennent pour une mission d’un
an afin de « couvrir l’avant et l’après JOP ». Comme l’explique
Stéphanie Chabauty, « on sait très bien que l’intégralité des dossiers ou des infractions qui vont être
commises ne seront pas jugés en comparution immédiate, parce que bien
évidemment il n’y a pas assez de
places pour ça ».
Autre nouveauté : une
permanence spécifique dédiée aux victimes a été créée par le barreau en
partenariat avec le commissariat de l’Ile-Saint-Denis,
en vigueur du 15 juillet jusqu’au 15
septembre.
« On nettoie le
département, on cache la misère sous le tapis »
Ces mesures attestent de
la volonté des avocats du territoire, en première ligne pour constater la dégradation
de la justice dans le département, de « prendre part au combat toujours plus
nécessaire pour la défense des droits de chacun et surtout des plus fragilisés
», écrivent deux d’entre eux dans une
lettre du Syndicat des avocats de France publiée début juin.
Le texte dénonce la « politique
pénale répressive » actionnée par « le législateur » avec l’adoption de la loi relative aux Jeux olympiques et
paralympiques. Les auteurs critiquent le caractère «
sécuritaire » de cette législation, qui consisterait à instaurer « une
mise à l’écart de ce que l’on ne
peut, ne veut plus voir dans l’espace
public ».
Avocate depuis 2006 à
Bobigny, Virginie Marques explique que les « frémissements des JOP » ont
commencé à se faire sentir il y a deux ou trois ans. « Cela a commencé avec
des procédures qu’on ne voyait plus, raconte-t-elle.
On a par exemple des personnes en situation de grande précarité qu’on ne voyait pas forcément
déférées au tribunal et qui du jour au lendemain deviennent persona non grata.
On les retrouve ici en comparution immédiate. »
L’avocate
évoque aussi le cas des vendeurs à la sauvette, « des gens qui en réalité ne
commettent pas de violences aux personnes » et contre qui le parquet
requiert aujourd’hui « des peines d’emprisonnement extrêmement sévères » ou des « interdictions
de paraître dans des secteurs » pendant de longues périodes.
Dans le contexte du plan
Zéro délinquance, lancé en novembre 2022 par le ministère de l’Intérieur,
la Seine-Saint-Denis a fait l’objet de 2
000 opérations de police qui ont conduit à 400 gardes à vue entre janvier et
octobre 2023, selon la lettre du SAF.
Pour Virginie Marques,
le but de ces opérations est de « cacher la misère sous le tapis ».
« Excusez-moi du terme mais on nettoie le département, poursuit l’avocate. Qu’est-ce qui
dérange ? La misère, la précarité, les situations de ces habitants dont on se
désintéresse le reste du temps mais qui là, en raison des JOP, sont l’attention exclusive des pouvoirs publics. »
Cette réalité-là passe
mal aux yeux des avocats au contact quotidien de la population
séquano-dionysienne. « Les jeunes de notre département vont être complètement
impactés par ces JO mais ne pourront pas y accéder. Ils n’auront pas accès aux billets trop chers, ils vont être
harcelés. Ce qui devait être une fête ne va pas l’être », estime l’avocate. Contactée,
la préfecture de Seine-Saint-Denis n'a pas donné suite à nos sollicitations.
Former
les avocats du barreau, défendre le droit des étrangers
Selon les journées, ce
sont entre 15 et 30 personnes qui sont déférées au tribunal de Bobigny. Parmi
les dossiers concernés par ces procédures figurent de plus en plus souvent ceux
ayant trait aux mineurs et aux étrangers. « Sur les étrangers, on se rend
compte aujourd’hui qu’il
y a des directives qui sont données aux policiers, d’interpeller
des gens alors même que certaines situations ne justifient pas un déferrement
devant le tribunal », alerte Virginie Marques.
L’avocate constate que
des personnes relâchées par les juges sont « tous les jours » maintenues
au tribunal par des policiers pour leur faire signer une obligation de quitter
le territoire français (OQTF) « et on les emmène directement au CRA
[centre de rétention administrative, ndlr] ». Ce qui, pour Virginie
Marques témoigne d’une « alliance entre les pouvoirs publics, la
préfecture et les services judiciaires » pour faire partir des
individus jugés « indésirables ».
A l’occasion de la
préparation des Jeux olympiques, la permanence OQTF, qui existait déjà dans le
département, a par conséquent été renforcée par le barreau de Seine-Saint-Denis.
Les avocats du groupe de défense pénale ont désormais pour consigne de
transmettre à une commission dédiée toutes les informations concernant les OQTF
qui ont été notifiées au moment de la garde à vue, ou au moment du déferrement
de personnes en situation irrégulière.
Dans l’objectif
de « défendre au mieux » les habitants du territoire et ceux qui y
gravitent, des avocats du tribunal de Bobigny ont également pu bénéficier d’une formation musclée sur les contrôles d’identité,
les nullités
de procédure, les interpellations, les OQTF et le déferrement des
mineurs.
Autant de problématiques déjà connues du barreau, mais qui « avec
les JOP vont se poser de manière accrue », prévient la bâtonnière Stéphanie
Chabauty, qui « s’inquiète » également des résultats des
élections législatives de dimanche. « On sera d’autant plus vigilants
en fonction des résultats qui seront annoncés. »
Yslande Bossé