INTERVIEW. Depuis le 1er
mai, ce ne sont plus les cours d’appel mais 15 conseils régionaux de
notaires qui délivrent les apostilles, graal pour certifier un document français
à l’étranger. Une casquette supplémentaire « au service de la sécurité
juridique », estiment le président du Conseil supérieur du notariat
Bertrand Savouré et le président de la Chambre des notaires de Paris Pierre Tarrade.
Tous deux reviennent également sur la genèse d’un « projet d’ampleur » :
la création d’une plateforme unique dématérialisée, soutenue par une base de
données en signatures publiques spécialement alimentée à cet effet.
JSS : Dans quelles
situations les plus fréquentes peut-on être amené(e) à avoir besoin d’une
apostille ?
Pierre Tarrade :
Dans la plupart des cas, elle va servir à certifier à l’étranger un diplôme, un
acte de naissance, une procuration, etc.
L’apostille, c’est en quelque
sorte le bon de sortie d’une signature publique en dehors du territoire
national. Elle a été mise en place par la Convention de La Haye, qui a instauré
un système simplifié de légalisation. Ce dernier permet aux actes de circuler
plus facilement, avec le visa de la cour d’appel, et dorénavant, celui du notariat. Cela
dépend en fait des pays : certains réclament l’apostille, d’autres ne demandent
rien du tout.
JSS : Quelle est la
raison du transfert de compétence des parquets généraux des cours d’appel aux
notaires ?
Bertrand Savouré :
Cela va d’abord dans la continuité de l’idée de déjudiciarisation, car il s’agit
d’une tâche très mobilisatrice pour les tribunaux. Et puis, les pouvoirs publics
ont estimé - ce qui rejoignait d’ailleurs une demande du notariat - qu’il était
logique que les notaires, déjà garants de l’authenticité et de la sécurité juridique,
soient désormais en charge des apostilles.
JSS : 15 conseils
régionaux et chambres interdépartementales de notaires sont désormais chargés
de cette mission. De combien de temps ont-ils disposé pour se préparer ?
Comment ce « chantier » s’est-il déroulé ?
Bertrand Savouré : La
loi (celle
de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, en son article 16,
ndlr) a prévu le transfert de ces formalités aux notaires en 2019 déjà. Mais
ensuite, il y a eu le Covid… On peut donc dire que l’on est véritablement sur
la brèche depuis 2021.
Depuis, on a fabriqué l’outil :
en effet, les notaires ont conçu, via le groupe ADSN (un des acteurs de la
digitalisation du notariat, ndlr), une plateforme qui permet de
demander la délivrance d’une apostille.
C’est un chantier qui est
devenu de plus en plus important au fil du temps, et qui nous a beaucoup
occupés, particulièrement la dernière année. On ne dirait pas comme ça, mais c’est
réellement un projet d’ampleur, avec tout une technologie à mettre en œuvre.
Construire une telle plateforme, cela prend du temps. Cette mise en place a demandé
la mobilisation de 15 conseils régionaux, qui ont beaucoup travaillé avec les tribunaux.
En parallèle, il fallait que
les services de l’Etat se mobilisent, car le système nécessite de comparer les
signatures présentées par les personnes avec les signatures publiques existantes
dans une base de données, qu’il a donc fallu alimenter. Avec le concours des
communes, en grande partie, puisque ce sont souvent les maires ou les personnels
de mairie qui certifient conformes les documents. C’est d’ailleurs pour cette
raison que nous avons demandé à deux reprises un décalage dans la mise en œuvre.
Imaginez, 35 000 communes, le travail que cela représente !
Le 2 mai, l’outil était finalement
opérationnel. Nous avons réussi à tenir le calendrier, et je suis fier que la profession
ait pu se mobiliser et être au rendez-vous. Je suis d’autant plus satisfait qu’il
s’agissait de relever un certain nombre de défis : à côté du challenge technologique,
15 points d’accueil ont été officiellement ouverts, avec du personnel spécifiquement
formé et recruté.
Pierre Tarrade : Le
conseil supérieur du notariat et l'ADSN ont conçu un produit pour les 15 centres,
mais à la chambre de Paris, on s’attend à être la chambre de référence en
termes de volume. Nous nous sommes donc attachés à organiser un parcours de l’usager,
du document, qui est un peu plus « industriel » que dans les autres
centres.
Même si la procédure est dématérialisée,
nous avons trouvé des locaux pour notre nouveau service (le « CLAP »,
pour Centre de la légalisation et de l'apostille de Paris, ndlr) qui accueille
pour l’instant 12 collaborateurs et une directrice, et nous nous apprêtons à faire
de nouveaux recrutements.
JSS : Combien d’actes cela
va-t-il représenter pour la profession ?
Bertrand Savouré :
On estime autour de 500 000 le nombre apostilles et de législations à délivrer
chaque année.
Pierre Tarrade : A Paris, on sait que l’on va avoir à gérer
une grosse moitié des volumes.
JSS : Que feront les
instances compétentes, concrètement ?
Bertrand Savouré :
Tous les centres ne fonctionnent pas de la même façon, mais chacun a créé des locaux
d’accueil du public. La chaine de production est assez importante : il y a des
agents qui reçoivent les clients au guichet, rentrent les données, traitent les
dossiers pour leur aspect administratif ; après quoi, le notaire vient
pour délivrer l’apostille.
« Nous sommes auprès des
concitoyens dans leurs soucis du quotidien »
-
Pierre Tarrade, président de la Chambre des
notaires de Paris
Tous les notaires ne sont pas
compétents : le président du conseil régional délègue son pouvoir de
signature à un certain nombre de notaires, qui varie. Là aussi, chaque chambre
a son propre fonctionnement.
Pierre Tarrade :
A la chambre départementale à Paris, nous avons désigné, au sein des 2 000
notaires parisiens, 100 notaires qui vont faire partie de cette mission de l’apostille
et de la légalisation. Ils auront deux demi-journées par trimestre de présence
au centre pour apposer des apostilles, et seront d’astreinte deux autres demi-journées
en tant que suppléants.
JSS : Le nouveau système
change-t-il quelque chose pour les usagers ?
Pierre Tarrade : Si sur la méthode, nous
sommes passés à l’ « e-apostille » à l’occasion du passage de
relais aux notaires, sur le fond juridique, il n’y a pas de changement.
Bertrand Savouré :
Il y a cependant des modifications s’agissant du coût : avant le 1er
mai, l’apostille était gratuite, et la légalisation, délivrée par le ministère
des affaires étrangères, était quant à elle payante. Là, l’ensemble du dispositif
a été refondu : il y a une redevance que le client paie selon un forfait (10€
HT par acte jusqu’à trois actes (ou 20€ dans un délai de 24h), 5€ HT par acte à
partir du quatrième acte (ou 10€ dans un délai de 24h), voir arrêté du 10
avril 2025, ndlr), ce qui sert au notariat à payer les services. Les notaires
qui délivrent les apostilles le font en revanche gratuitement.
JSS : Quelle opportunité
cette nouvelle mission représente-t-elle pour les notaires ?
Bertrand Savouré :
Il y a une forme d’évidence dans le fait d’assurer l’efficacité d’un acte
qui doit être produit sur sol étranger. Cela nous semble tout à fait normal que
cette mission revienne au notariat. On s’en félicite.
Pierre Tarrade :
Les notaires désignés à la Chambre ont été réunis la semaine dernière en vue de
l’ouverture du CLAP, je les ai trouvés enthousiastes et mobilisés. Ils ont
compris l’intérêt de la démarche : toujours plus affirmer le rôle du
notaire « dans la cité ». C’est une mission de service public qui
vient compléter nos missions traditionnelles, en réaffirmant le rôle du notaire
dans la signature publique, dans la continuité naturelle de ce que nous sommes.
En termes de visibilité, cela
confirme simplement que nous sommes auprès des concitoyens dans leurs soucis du
quotidien : ceux qui veulent voyager, s’installer, faire affaire à l’étranger,
et parfois aussi, malheureusement, qui ont besoin de faire réaliser un transport
de corps.
JSS : Les nouveaux centres
sont-ils clairement identifiés ?
Bertrand Savouré : Le
CSN a beaucoup communiqué sur cette question, mis en place des informations à
destination du grand public, et puis les cours d’appel ont prévenu qu’à partir
du 1er mai, le processus changeait. Ce qui a permis que le changement se fasse
de façon assez fluide et simple, je crois.
Pierre Tarrade :
Nous avons pris soin de relayer les informations du CSN. Les « habitués »,
notamment les professionnels - les sociétés qui rendent le service de l’apostille
à leurs clients - sont, en particulier, parfaitement au courant.
Sur les réseaux, la
profession a bien communiqué ces dernières semaines. Sur le terrain, 150
personnes étaient présentes lundi 5 mai, premier « vrai » jour d’ouverture
après le pont, dans les locaux du CLAP. J’ai l’impression que cela montre que
le public a trouvé la porte !
JSS : A Paris,
justement, quels sont les enjeux relatifs au nouveau CLAP ?
Pierre Tarrade :
Il va s’agir de relever le défi ! On se retrouve avec une nouvelle
mission, une nouvelle technologie, des exigences en termes de contrôle
renforcé. Cela fait plusieurs mois qu’on anticipe, mais on n’arrive pas toujours
à tout anticiper, il faut qu’on réussisse la période de rodage. Il nous faut
maintenant trouver notre rythme de croisière, et parvenir à la meilleure satisfaction
du public et des pouvoirs publics qui nous ont confié cette mission.
JSS : Une date est-elle d’ores
et déjà fixée pour un premier bilan ?
Bertrand Savouré : Nous
avons en effet prévu des rendez-vous à intervalles réguliers : en juin, en
juillet et à la fin de l’année. Ce sera l’occasion d’un partage d’expérience entre
les différents conseils régionaux. On verra ce qui fonctionne bien, ou ce qu’il
faut ajuster.
Propos
recueillis par Bérengère Margaritelli