DROIT

Transfert de l’apostille aux notaires : « Cela réaffirme le rôle de la profession dans la signature publique »

Transfert de l’apostille aux notaires : « Cela réaffirme le rôle de la profession dans la signature publique »
Publié le 07/05/2025 à 14:46

INTERVIEW. Depuis le 1er mai, ce ne sont plus les cours d’appel mais 15 conseils régionaux de notaires qui délivrent les apostilles, graal pour certifier un document français à l’étranger. Une casquette supplémentaire « au service de la sécurité juridique », estiment le président du Conseil supérieur du notariat Bertrand Savouré et le président de la Chambre des notaires de Paris Pierre Tarrade. Tous deux reviennent également sur la genèse d’un « projet d’ampleur » : la création d’une plateforme unique dématérialisée, soutenue par une base de données en signatures publiques spécialement alimentée à cet effet.

JSS : Dans quelles situations les plus fréquentes peut-on être amené(e) à avoir besoin d’une apostille ?

Pierre Tarrade : Dans la plupart des cas, elle va servir à certifier à l’étranger un diplôme, un acte de naissance, une procuration, etc.

L’apostille, c’est en quelque sorte le bon de sortie d’une signature publique en dehors du territoire national. Elle a été mise en place par la Convention de La Haye, qui a instauré un système simplifié de légalisation. Ce dernier permet aux actes de circuler plus facilement, avec le visa de la cour d’appel, et dorénavant, celui du notariat. Cela dépend en fait des pays : certains réclament l’apostille, d’autres ne demandent rien du tout.

JSS : Quelle est la raison du transfert de compétence des parquets généraux des cours d’appel aux notaires ?

Bertrand Savouré : Cela va d’abord dans la continuité de l’idée de déjudiciarisation, car il s’agit d’une tâche très mobilisatrice pour les tribunaux. Et puis, les pouvoirs publics ont estimé - ce qui rejoignait d’ailleurs une demande du notariat - qu’il était logique que les notaires, déjà garants de l’authenticité et de la sécurité juridique, soient désormais en charge des apostilles.

JSS : 15 conseils régionaux et chambres interdépartementales de notaires sont désormais chargés de cette mission. De combien de temps ont-ils disposé pour se préparer ? Comment ce « chantier » s’est-il déroulé ?

Bertrand Savouré : La loi (celle de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, en son article 16, ndlr) a prévu le transfert de ces formalités aux notaires en 2019 déjà. Mais ensuite, il y a eu le Covid… On peut donc dire que l’on est véritablement sur la brèche depuis 2021.

Depuis, on a fabriqué l’outil : en effet, les notaires ont conçu, via le groupe ADSN (un des acteurs de la digitalisation du notariat, ndlr), une plateforme qui permet de demander la délivrance d’une apostille.

C’est un chantier qui est devenu de plus en plus important au fil du temps, et qui nous a beaucoup occupés, particulièrement la dernière année. On ne dirait pas comme ça, mais c’est réellement un projet d’ampleur, avec tout une technologie à mettre en œuvre. Construire une telle plateforme, cela prend du temps. Cette mise en place a demandé la mobilisation de 15 conseils régionaux, qui ont beaucoup travaillé avec les tribunaux.

En parallèle, il fallait que les services de l’Etat se mobilisent, car le système nécessite de comparer les signatures présentées par les personnes avec les signatures publiques existantes dans une base de données, qu’il a donc fallu alimenter. Avec le concours des communes, en grande partie, puisque ce sont souvent les maires ou les personnels de mairie qui certifient conformes les documents. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons demandé à deux reprises un décalage dans la mise en œuvre. Imaginez, 35 000 communes, le travail que cela représente !

Le 2 mai, l’outil était finalement opérationnel. Nous avons réussi à tenir le calendrier, et je suis fier que la profession ait pu se mobiliser et être au rendez-vous. Je suis d’autant plus satisfait qu’il s’agissait de relever un certain nombre de défis : à côté du challenge technologique, 15 points d’accueil ont été officiellement ouverts, avec du personnel spécifiquement formé et recruté.

Pierre Tarrade : Le conseil supérieur du notariat et l'ADSN ont conçu un produit pour les 15 centres, mais à la chambre de Paris, on s’attend à être la chambre de référence en termes de volume. Nous nous sommes donc attachés à organiser un parcours de l’usager, du document, qui est un peu plus « industriel » que dans les autres centres.

Même si la procédure est dématérialisée, nous avons trouvé des locaux pour notre nouveau service (le « CLAP », pour Centre de la légalisation et de l'apostille de Paris, ndlr) qui accueille pour l’instant 12 collaborateurs et une directrice, et nous nous apprêtons à faire de nouveaux recrutements.

JSS : Combien d’actes cela va-t-il représenter pour la profession ?  

Bertrand Savouré : On estime autour de 500 000 le nombre apostilles et de législations à délivrer chaque année.

Pierre Tarrade : A Paris, on sait que l’on va avoir à gérer une grosse moitié des volumes.

JSS : Que feront les instances compétentes, concrètement ?

Bertrand Savouré : Tous les centres ne fonctionnent pas de la même façon, mais chacun a créé des locaux d’accueil du public. La chaine de production est assez importante : il y a des agents qui reçoivent les clients au guichet, rentrent les données, traitent les dossiers pour leur aspect administratif ; après quoi, le notaire vient pour délivrer l’apostille.

« Nous sommes auprès des concitoyens dans leurs soucis du quotidien »

-      Pierre Tarrade, président de la Chambre des notaires de Paris

Tous les notaires ne sont pas compétents : le président du conseil régional délègue son pouvoir de signature à un certain nombre de notaires, qui varie. Là aussi, chaque chambre a son propre fonctionnement.

Pierre Tarrade : A la chambre départementale à Paris, nous avons désigné, au sein des 2 000 notaires parisiens, 100 notaires qui vont faire partie de cette mission de l’apostille et de la légalisation. Ils auront deux demi-journées par trimestre de présence au centre pour apposer des apostilles, et seront d’astreinte deux autres demi-journées en tant que suppléants.

JSS : Le nouveau système change-t-il quelque chose pour les usagers ?

Pierre Tarrade :  Si sur la méthode, nous sommes passés à l’ « e-apostille » à l’occasion du passage de relais aux notaires, sur le fond juridique, il n’y a pas de changement.

Bertrand Savouré : Il y a cependant des modifications s’agissant du coût : avant le 1er mai, l’apostille était gratuite, et la légalisation, délivrée par le ministère des affaires étrangères, était quant à elle payante. Là, l’ensemble du dispositif a été refondu : il y a une redevance que le client paie selon un forfait (10€ HT par acte jusqu’à trois actes (ou 20€ dans un délai de 24h), 5€ HT par acte à partir du quatrième acte (ou 10€ dans un délai de 24h), voir arrêté du 10 avril 2025, ndlr), ce qui sert au notariat à payer les services. Les notaires qui délivrent les apostilles le font en revanche gratuitement.

JSS : Quelle opportunité cette nouvelle mission représente-t-elle pour les notaires ?

Bertrand Savouré : Il y a une forme d’évidence dans le fait d’assurer l’efficacité d’un acte qui doit être produit sur sol étranger. Cela nous semble tout à fait normal que cette mission revienne au notariat. On s’en félicite.

Pierre Tarrade : Les notaires désignés à la Chambre ont été réunis la semaine dernière en vue de l’ouverture du CLAP, je les ai trouvés enthousiastes et mobilisés. Ils ont compris l’intérêt de la démarche : toujours plus affirmer le rôle du notaire « dans la cité ». C’est une mission de service public qui vient compléter nos missions traditionnelles, en réaffirmant le rôle du notaire dans la signature publique, dans la continuité naturelle de ce que nous sommes.

En termes de visibilité, cela confirme simplement que nous sommes auprès des concitoyens dans leurs soucis du quotidien : ceux qui veulent voyager, s’installer, faire affaire à l’étranger, et parfois aussi, malheureusement, qui ont besoin de faire réaliser un transport de corps.

JSS : Les nouveaux centres sont-ils clairement identifiés ?

Bertrand Savouré : Le CSN a beaucoup communiqué sur cette question, mis en place des informations à destination du grand public, et puis les cours d’appel ont prévenu qu’à partir du 1er mai, le processus changeait. Ce qui a permis que le changement se fasse de façon assez fluide et simple, je crois.

Pierre Tarrade : Nous avons pris soin de relayer les informations du CSN. Les « habitués », notamment les professionnels - les sociétés qui rendent le service de l’apostille à leurs clients - sont, en particulier, parfaitement au courant.

Sur les réseaux, la profession a bien communiqué ces dernières semaines. Sur le terrain, 150 personnes étaient présentes lundi 5 mai, premier « vrai » jour d’ouverture après le pont, dans les locaux du CLAP. J’ai l’impression que cela montre que le public a trouvé la porte !

JSS : A Paris, justement, quels sont les enjeux relatifs au nouveau CLAP ?

Pierre Tarrade : Il va s’agir de relever le défi ! On se retrouve avec une nouvelle mission, une nouvelle technologie, des exigences en termes de contrôle renforcé. Cela fait plusieurs mois qu’on anticipe, mais on n’arrive pas toujours à tout anticiper, il faut qu’on réussisse la période de rodage. Il nous faut maintenant trouver notre rythme de croisière, et parvenir à la meilleure satisfaction du public et des pouvoirs publics qui nous ont confié cette mission.

JSS : Une date est-elle d’ores et déjà fixée pour un premier bilan ?

Bertrand Savouré : Nous avons en effet prévu des rendez-vous à intervalles réguliers : en juin, en juillet et à la fin de l’année. Ce sera l’occasion d’un partage d’expérience entre les différents conseils régionaux. On verra ce qui fonctionne bien, ou ce qu’il faut ajuster.

 

Propos recueillis par Bérengère Margaritelli

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