JUSTICE

La fin du vote par correspondance des détenus au cœur d’enjeux électoraux locaux

La fin du vote par correspondance des détenus au cœur d’enjeux électoraux locaux
Publié le 30/06/2025 à 16:16

Depuis le 4 juin, les détenus français ne peuvent plus voter « par correspondance » pour les élections locales. En cause : le déséquilibre que cela provoquerait dans les communes d’attache des établissements pénitentiaires, selon les défenseurs du texte. 

C’est une proposition de loi décriée qui a été adoptée définitivement par le parlement début juin. Initié par la sénatrice Horizons de l’Essonne Laure Darcos, et soutenu par le gouvernement, le texte met fin au « vote par correspondance » des détenus pour les élections municipales, départementales, régionales et législatives.

Mise en place par le gouvernement lui-même en 2019, à travers la loi de programmation et de réforme pour la Justice, cette possibilité s’ajoutait aux votes par procuration et par permission de sortir. Mais elle ne s’appliquera plus aux municipales de 2026.

Un vote qui avait permis « une participation record » 

De l’aveu du ministère de la Justice lui-même, cette mesure représentait pourtant une réussite : « La mobilisation pour le vote par correspondance s’illustre par un taux de participation record », se félicitait-il dans un communiqué suite aux élections européennes de 2019. En tout, 5184 personnes étaient admises à voter par correspondance et 4413 personnes ont effectivement voté, soit un taux de participation pour le vote par correspondance de 89,42 %. En comparaison, seuls 110 détenus ont voté cette année-là par procuration (sur 149 demandes) et 45 permissions de sortir ont été accordées (sur 82 demandes). 

Pour l’élection présidentielle de 2022, plus de 10 000 personnes détenues ont voté au premier et au second tour. Soit une participation d’un peu plus de 20 %, contre à peine 2 % lors de la présidentielle de 2017. Une augmentation directement imputable à l’instauration du vote par correspondance, sollicité par plus de 93 % des votants privés de libertés pour cette élection, selon le ministère de la Justice.

« C’est un choix assumé de la part des pouvoirs publics de favoriser la citoyenneté en détention pour encourager l’insertion et la réinsertion des personnes détenues en leur permettant l’exercice de leurs droits et d’accomplir leurs devoirs », défendait même ce dernier. Jusqu’à l’analyse des scrutins locaux. 

Une « distorsion électorale » due à ces votes ?

Aux municipales de 2020, ce système aurait conduit, selon Laure Darcos, à une « distorsion électorale ». Le 4 juin, le député Les Républicains Patrick Hetzel, membre du groupe Droite républicaine, avançait lors des débats à l’Assemblée nationale que « dans la commune de Saint-Maur, dans l’Indre, l’établissement pénitentiaire local représente à lui seul près de 9 % du corps électoral ; à Arles, cette proportion est de plus de 6 % ; et, dans une demi-douzaine de communes françaises, les détenus inscrits au titre de la prison représentent plus de 5 % des électeurs ». « Cela n’est pas neutre quand on sait que, lors des élections municipales, une poignée de voix peut suffire à faire basculer une majorité », ajoutait-il. 

C’est ce qui a motivé la sénatrice Laure Darcos à revenir sur cette loi, dont elle pointe les « absurdités ». « Vous allez avoir des détenus de Fleury-Mérogis qui n’ont jamais mis les pieds à Évry-Courcouronnes et qui vont y voter, jugeant de la politique locale d’un maire. Or cela n’est pas anodin, cela représente 1200 voix en plus pour la ville », selon elle, sans que nous n’ayons toutefois pu vérifier ce chiffre. « Aux dernières législatives, ça représentait 500 voix », avance quant à elle Farida Amrani, députée LFI-NFP de la première circonscription de l’Essonne et conseillère municipale à Évry-Courcouronnes, sans que nous n’ayons pu, là non plus, en attester. Qu’à cela ne tienne : « Le fait que cela ne se joue qu’à quelques voix à Evry est faux », d’après la députée de gauche.

« La seule chose vraie que Laure Darcos a dite, c’est que le vote des détenus va à LFI, donc on voit bien que cette proposition de loi s’inscrit dans un cadre électoraliste. Ils se rendent compte que ça ne va pas dans leur sens donc ils retirent un droit », accuse-t-elle. Dépouillés place Vendôme en 2022, les votes des personnes détenues avaient en effet pour la première fois été rendus publics, les plaçant comme « une population à part », regrette l’Observatoire international des prisons (OIP) auprès du JSS.

Résultat : ces dernières plaçaient Jean-Luc Mélenchon largement en tête au premier tour, avec 45,78 %, loin devant Marine Le Pen (20,28 %) et Emmanuel Macron (18,63 %) - ce dernier ayant toutefois recueilli 65,3 % des suffrages exprimés au second tour. 

Un « déséquilibre » dans la campagne électorale

Deuxième absurdité dénoncée par Laure Darcos, qui ne cache pas l’intérêt électoral d’une telle proposition de loi : « Seuls les parlementaires ont le droit de rentrer et visiter les centres pénitentiaires, et certains le font plus que d'autres, comme La France insoumise qui fait régulièrement campagne en prison », selon elle. Conséquence : « Il y a un déséquilibre de ce côté-là aussi, puisqu’un maire sortant ou un autre candidat n’a pas le droit d’entrer en prison », regrette la sénatrice. 

Un compromis, d’ailleurs inclus dans la proposition initiale de Laure Darcos, aurait consisté à autoriser ce vote par correspondance dans la ville de domiciliation des détenus avant incarcération. Mais alors que des « couacs » avaient déjà été observés en 2022 par l’OIP avec la première méthode, la sénatrice aurait été alertée sur la lourde logistique d’une telle mesure.

« J’ai eu de très vives remontées de la part des administrations pénitentiaires sur le fait que cela allait être très compliqué à organiser. Alors qu’il y a de plus en plus de détenus et de moins en moins de personnel dans toutes les prisons de France, je ne voulais pas les accabler de démarches supplémentaires », affirme-t-elle au JSS.

Aujourd’hui satisfaite de l’adoption de son texte, Laure Darcos dit « ne pas comprendre l’émoi qu’il a suscité ». Outre les accusations de « mobile purement politicien », la proposition de loi a vivement été critiquée par les associations de défense des droits des personnes détenues. En premier lieu par l’OIP, qui regrette que « les personnes détenues n’aient de nouveau que deux possibilités pour voter : par procuration ou en obtenant une permission de sortir pour se rendre aux urnes ».

« Une opération complexe dans les deux cas », met en avant l’organisation. Dans le détail : « Pour voter par procuration, il faut trouver un mandataire et lui transmettre son choix de vote de manière confidentielle alors que les courriers peuvent être lus et les communications téléphoniques écoutées ». Argument qui ne semble pas convaincre Laure Darcos : « Que les détenus n’arrivent pas à trouver quelqu’un dans leur ville de domiciliation pour voter par procuration à leur place, je trouve ça absolument insensé », répond l’élue. 

Dans le deuxième cas, « toutes les personnes détenues ne sont pas éligibles à la permission de sortir, à commencer par celles en détention provisoire, soit 26,5 % de la population carcérale au 1er février 2025 », d’après l’OIP. « Surtout, les permissions de sortir sont très rarement accordées », et leur taux « tend, depuis 2022, à décroître », insiste l’observatoire. Alors que le pourcentage de votants en prison était déjà minime en 2019, à seulement 8 %, l’OIP dénonce « un recul dramatique dans l’exercice du droit de vote » engendré par ce texte.

Le 18 juin 2025, le Conseil constitutionnel a été saisi de la proposition de loi par plus de soixante députés du groupe La France insoumise. En autres griefs, ces derniers estiment que cela porte atteinte à l’article 3 de la Constitution dont découle le principe d’égalité au suffrage, ainsi qu’à l’article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen actant que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » et que tous les citoyens sont « égaux à ses yeux ». Tandis que la décision du Conseil constitutionnel n’est pas encore tombée, la campagne pour les prochaines élections municipales semble, elle, avoir déjà bien commencé.

Rozenn le Carboulec


0 commentaire
Poster