Depuis le 4 juin, les détenus
français ne peuvent plus voter « par correspondance » pour les élections
locales. En cause : le déséquilibre que cela provoquerait dans les communes
d’attache des établissements pénitentiaires, selon les défenseurs du
texte.
C’est une proposition de loi
décriée qui a été adoptée définitivement par le parlement début juin. Initié
par la sénatrice Horizons de l’Essonne Laure Darcos, et soutenu par le
gouvernement, le texte met fin au « vote par correspondance » des détenus
pour les élections municipales, départementales, régionales et législatives.
Mise en place par le
gouvernement lui-même en 2019, à travers la loi de programmation et de réforme
pour la Justice, cette possibilité s’ajoutait aux votes par procuration et par
permission de sortir. Mais elle ne s’appliquera plus aux municipales de 2026.
Un vote qui avait permis « une
participation record »
De l’aveu du ministère de la
Justice lui-même, cette mesure représentait pourtant une réussite : « La
mobilisation pour le vote par correspondance s’illustre par un taux de
participation record », se félicitait-il dans
un communiqué suite aux élections européennes de 2019. En tout, 5184
personnes étaient admises à voter par correspondance et 4413 personnes ont
effectivement voté, soit un taux de participation pour le vote par
correspondance de 89,42 %. En comparaison, seuls 110 détenus ont voté cette
année-là par procuration (sur 149 demandes) et 45 permissions de sortir ont été
accordées (sur 82 demandes).
Pour l’élection
présidentielle de 2022, plus de 10 000 personnes détenues ont voté au premier
et au second tour. Soit une participation d’un peu plus de 20 %, contre à peine
2 % lors de la présidentielle de 2017. Une augmentation directement imputable à
l’instauration du vote par correspondance, sollicité par plus de 93 % des
votants privés de libertés pour cette élection, selon le
ministère de la Justice.
« C’est un choix assumé de
la part des pouvoirs publics de favoriser la citoyenneté en détention pour
encourager l’insertion et la réinsertion des personnes détenues en leur
permettant l’exercice de leurs droits et d’accomplir leurs devoirs »,
défendait même ce dernier. Jusqu’à l’analyse des scrutins locaux.
Une « distorsion
électorale » due à ces votes ?
Aux municipales de 2020, ce
système aurait conduit, selon Laure Darcos, à une « distorsion électorale ».
Le 4 juin, le député Les Républicains Patrick Hetzel, membre du groupe Droite
républicaine, avançait lors des débats à l’Assemblée nationale que « dans la
commune de Saint-Maur, dans l’Indre, l’établissement pénitentiaire local
représente à lui seul près de 9 % du corps électoral ; à Arles, cette
proportion est de plus de 6 % ; et, dans une demi-douzaine de communes
françaises, les détenus inscrits au titre de la prison représentent plus de 5 %
des électeurs ». « Cela n’est pas neutre quand on sait que, lors
des élections municipales, une poignée de voix peut suffire à faire basculer
une majorité », ajoutait-il.
C’est ce qui a motivé la
sénatrice Laure Darcos à revenir sur cette loi, dont elle pointe les « absurdités
». « Vous allez avoir des détenus de Fleury-Mérogis qui n’ont jamais mis les
pieds à Évry-Courcouronnes et qui vont y voter, jugeant de la politique locale
d’un maire. Or cela n’est pas anodin, cela représente 1200 voix en plus pour la
ville », selon elle, sans que nous n’ayons toutefois pu vérifier ce
chiffre. « Aux dernières législatives, ça représentait 500 voix »,
avance quant à elle Farida Amrani, députée LFI-NFP de la première
circonscription de l’Essonne et conseillère municipale à Évry-Courcouronnes,
sans que nous n’ayons pu, là non plus, en attester. Qu’à cela ne tienne : « Le
fait que cela ne se joue qu’à quelques voix à Evry est faux », d’après
la députée de gauche.
« La seule chose vraie que
Laure Darcos a dite, c’est que le vote des détenus va à LFI, donc on voit bien
que cette proposition de loi s’inscrit dans un cadre électoraliste. Ils se
rendent compte que ça ne va pas dans leur sens donc ils retirent un droit
», accuse-t-elle. Dépouillés place Vendôme en 2022, les votes des personnes
détenues avaient en effet pour la première fois été rendus publics, les plaçant
comme « une population à part », regrette l’Observatoire
international des prisons (OIP) auprès du JSS.
Résultat : ces dernières
plaçaient Jean-Luc Mélenchon largement en tête au premier tour, avec 45,78 %,
loin devant Marine Le Pen (20,28 %) et Emmanuel Macron (18,63 %) - ce dernier
ayant toutefois recueilli 65,3 % des suffrages exprimés au second tour.
Un « déséquilibre »
dans la campagne électorale
Deuxième absurdité dénoncée
par Laure Darcos, qui ne cache pas l’intérêt électoral d’une telle proposition
de loi : « Seuls les parlementaires ont le droit de rentrer et visiter les
centres pénitentiaires, et certains le font plus que d'autres, comme La France
insoumise qui fait régulièrement campagne en prison », selon elle.
Conséquence : « Il y a un déséquilibre de ce côté-là aussi, puisqu’un maire
sortant ou un autre candidat n’a pas le droit d’entrer en prison »,
regrette la sénatrice.
Un compromis, d’ailleurs
inclus dans la proposition initiale de Laure Darcos, aurait consisté à
autoriser ce vote par correspondance dans la ville de domiciliation des détenus
avant incarcération. Mais alors que des « couacs »
avaient déjà été observés en 2022 par l’OIP avec la première méthode, la
sénatrice aurait été alertée sur la lourde logistique d’une telle mesure.
« J’ai eu de très vives
remontées de la part des administrations pénitentiaires sur le fait que cela
allait être très compliqué à organiser. Alors qu’il y a de plus en plus de
détenus et de moins en moins de personnel dans toutes les prisons de France, je
ne voulais pas les accabler de démarches supplémentaires »,
affirme-t-elle au JSS.
Aujourd’hui satisfaite de
l’adoption de son texte, Laure Darcos dit « ne pas comprendre l’émoi qu’il a
suscité ». Outre les accusations de « mobile purement politicien »,
la proposition de loi a vivement été critiquée par les associations de défense
des droits des personnes détenues. En premier lieu par l’OIP, qui regrette que
« les personnes détenues n’aient de nouveau que deux possibilités pour voter
: par procuration ou en obtenant une permission de sortir pour se rendre aux
urnes ».
« Une opération complexe
dans les deux cas », met en avant l’organisation. Dans le détail : « Pour
voter par procuration, il faut trouver un mandataire et lui transmettre son
choix de vote de manière confidentielle alors que les courriers peuvent être
lus et les communications téléphoniques écoutées ». Argument qui ne semble
pas convaincre Laure Darcos : « Que les détenus n’arrivent pas à trouver
quelqu’un dans leur ville de domiciliation pour voter par procuration à leur
place, je trouve ça absolument insensé », répond l’élue.
Dans le deuxième cas, « toutes
les personnes détenues ne sont pas éligibles à la permission de sortir, à
commencer par celles en détention provisoire, soit 26,5 % de la population
carcérale au 1er février 2025 », d’après l’OIP. « Surtout,
les permissions de sortir sont très rarement accordées », et leur taux
« tend, depuis 2022, à décroître », insiste l’observatoire. Alors
que le pourcentage de votants en prison était déjà minime en 2019, à seulement
8 %, l’OIP dénonce « un recul dramatique dans l’exercice du droit de vote »
engendré par ce texte.
Le 18 juin 2025, le
Conseil constitutionnel a été saisi de la proposition de loi par plus de
soixante députés du groupe La France insoumise. En autres griefs, ces derniers
estiment que cela porte atteinte à l’article 3 de la Constitution dont découle
le principe d’égalité au suffrage, ainsi qu’à l’article 6 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen actant que la loi « doit être la même pour
tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » et que tous les
citoyens sont « égaux à ses yeux ». Tandis que la décision du
Conseil constitutionnel n’est pas encore tombée, la campagne pour les
prochaines élections municipales semble, elle, avoir déjà bien commencé.
Rozenn
le Carboulec