DROIT

La proposition de loi pour la lutte contre le narcotrafic adoptée à l’unanimité par le Sénat

La proposition de loi pour la lutte contre le narcotrafic adoptée à l’unanimité par le Sénat
Publié le 05/02/2025 à 08:49

En séance publique, la chambre haute a profondément remanié le texte, qui a été envoyé à l’Assemblée nationale. Dossier « coffre », régime des nullités,… zoom sur les principales évolutions.

Le Sénat a adopté à l’unanimité – à un sénateur près, qui a voté contre mais admis une erreur de vote – mardi 4 février la proposition de loi pour la lutte contre le narcotrafic, après deux semaines de discussion. Le texte est issu de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.

Le texte renforce la lutte contre le narcotrafic et la criminalité instaurant un parquet national anti-criminalité organisée (PNACO). Il confie notamment au procureur national la poursuite des dirigeants impliqués dans le trafic de stupéfiants. La proposition de loi durcit également la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, en prévoyant la fermeture administrative de commerces liés au narcotrafic et l’accès élargi aux données pour les douanes. Elle expérimente le traitement automatisé des données transitant par les réseaux des opérateurs, améliore le statut des repentis et renforce la protection des forces de l’ordre.

Mais d’autres dispositions ont divisé la communauté judiciaire. La version initiale du texte, dans son article 16, prévoyait que, « lorsque la divulgation des informations relatives à la date, l’horaire ou le lieu de la mise en œuvre des techniques spéciales d’enquête […] est de nature soit à mettre en danger la sécurité d’agents infiltrés, de collaborateurs de justice, de témoins protégés […] ou de leurs proches, soit à porter une atteinte grave et irrémédiable à la possibilité de déployer à l’avenir les mêmes techniques, les procès-verbaux dressés par les officiers de police judiciaire et versés au dossier pénal […] ne font mention ni des caractéristiques du fonctionnement desdites techniques, ni des méthodes d’exécution de celles-ci, ni des modalités de leur installation et de leur retrait. » Les procès-verbaux doivent néanmoins indiquer les personnes visées par la technique spéciale d’enquête et la période de son déploiement ainsi que d’apprécier le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Un procès-verbal distinct qui n’est pas versé au dossier pénal contient ces informations.

Le dossier « coffre », « une faille béante » pour le SAF

Un dossier « coffre » – terme utilisé dans l’exposé initial des motifs – pour lequel certains syndicats d’avocats se sont opposés. « Le législateur créerait une nouvelle forme de procédure secrète, introduisant par là une faille béante dans le respect du principe du contradictoire et par suite dans le droit pourtant fondamental à se défendre, maillon essentiel d’une justice équitable et d’une société démocratique », s’étouffait le Syndicat des avocats de France dans un communiqué paru le 28 janvier dernier.

Une reformulation adoptée par la commission du Sénat limite cette inaccessibilité du dossier à la défense à certaines informations concernant les techniques spéciales d’enquête, et n’autorise à user de cette disposition que « lorsque l’emploi de la technique est nécessaire à la manifestation de la vérité ».

La sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie, dont le groupe était à l’origine opposé à l’article, a finalement approuvé cette nouvelle rédaction : « Cet article est sur une ligne de crête, en mettant en place une architecture assez sophistiquée qui permet de limiter l’autorisation, de la cadrer, de la faire contrôler par un juge du siège, d’en prévoir le contrôle a posteriori systématique », a-t-elle assuré en séance publique au Sénat. Mais la réécriture est visiblement insuffisante pour la communauté judiciaire : interrogée par Le Monde, la vice-bâtonnière de Paris Vanessa Bousardo a estimé ne pas avoir été entendue.

Le groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) a assuré veiller « à ce que ces techniques et dérogations soient bien utilisées contre le narcotrafic ». Les sénateurs démocrates, au même titre que les socialistes, comptent sur la navette parlementaire « pour parvenir à un dossier-coffre opérationnel, qui préserve les droits de la défense ».

Le régime des nullités dans le viseur de la rapporteure

L’article 20, qui, à l’origine, modifiait le régime des nullités en empêchant d’y recourir lorsque la méconnaissance d’une formalité « résulte d’une manœuvre ou d’une négligence de la personne mise en cause » (notamment par un embouteillement des greffes ou par l’envoi d’un courrier à une adresse correcte mais trop imprécise), a lui été profondément revu, en réponse aux réactions de certains avocats, mais aussi sénateurs. Le républicain Francis Szpiner a défendu le régime des nullités de procédure, qui « ne sont que l’appel au respect de la loi. Ce ne sont pas les avocats qui en sont responsables, mais le législateur ».

 « À aucun moment les avocats n’ont été accusés d’être complices des narcotrafiquants », a assuré Muriel Jourda, corapporteure de la proposition de loi, qui s’est tout de même permise d’affirmer que « le rôle d’un avocat est de défendre son client, et les clients sont rarement innocents, sinon nous n’aurions pas besoin d’avocat ».

Les notions de manœuvre et de négligence ont été supprimées de l’article. À la place, des modifications ont été validées afin de limiter les erreurs pouvant aboutir à une demande de nullité. Pour les crimes en lien avec la criminalité organisée, la déclaration de désignation d’un avocat « chef de file » ne pourra plus s’effectuer par une lettre recommandée avec accusé de réception. Si l'une des parties ou le témoin assisté estime qu'une nullité a été commise, la copie au juge d'instruction de la saisie de la chambre de l'instruction par requête motivée est désormais obligatoire sous peine de nullité.

D’autres dispositions introduites en séance pourraient faire grincer des dents. C’est le cas notamment de l’extension, comme toujours pour l’instant à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2028, de l’utilisation de capteurs de données transitant par les réseaux des opérateurs, aussi appelés « boites noires », pour la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Ce dispositif était à l’origine destiné uniquement à la prévention du terrorisme. Depuis la loi du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, il était également possible de recourir à ce dispositif expérimental en cas d’intérêts liés à l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire, la défense nationale, la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de l’ingérence étrangère.

Les messageries cryptées contraintes d’ajouter des « portes dérobées »

Le groupe socialiste, écologiste et républicain (SER) a pour sa part regretté l’introduction, en séance publique, d’un amendement de sénateurs de droite et du centre relatif aux messageries cryptées. Celui-ci impose aux plateformes de « mettre en œuvre les mesures techniques nécessaires afin de permettre aux services de renseignement d’accéder au contenu intelligible des correspondances et données qui y transitent », explique l’objet de l’amendement. Cet accès serait limité aux seules données ayant fait l’objet d’une autorisation spécifique, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Une amende de 1,5 million d’euros pour les personnes physiques et jusqu’à 2% du chiffre d’affaires mondial annuel hors taxes pour les personnes morales est prévue pour ceux qui refuseraient de s’y plier.

Pour assurer le respect de ces exigences de coopération, il est proposé de renforcer les sanctions pénales applicables aux personnes physiques et morales qui refuseraient de s’acquitter de leurs obligations : une amende encourue de 1,5 million d’euros pour les personnes physiques commettant ces infractions de manière habituelle et une amende pouvant atteindre jusqu’à 2% du chiffre d’affaires mondial annuel hors taxes, pour les personnes morales se trouvant dans la même situation.

Une disposition qui aurait dû nécessiter un texte distinct à la suite d’une étude d’impact, selon le socialiste Jérôme Durain, pour qui « un dispositif à ce point intrusif méritait un débat approfondi ».

Des messageries concernées sont par ailleurs vent debout contre ce projet. L’entreprise suisse Proton s’est émue d’une proposition de loi « mettant en danger des millions de citoyens et entreprises en France » en introduisant des « portes dérobées » dans les applications. « Il est impossible de créer une porte dérobée qui ne laisserait entrer que les acteurs autorisés à le faire », a-t-elle plaidé, tout en appelant la France à « montrer l’exemple et défendre la vie privée, la sécurité et le chiffrement de bout en bout ».

Pas de volet préventif

Certains pans du narcotrafic brillent au contraire par leur absence. Les groupes communiste, écologiste et démocrate ont regretté que les actions de prévention n’aient pas été intégrées au texte. « On m'a rétorqué que ce n'était ni le lieu ni le moment. Alors, quand ? », s’est étonnée Marie-Laure Phinera-Horth, sénatrice du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI, où siègent des membres de Renaissance), qui a également regretté que le texte ne parle pas des « petites mains », « ce phénomène qui frappe les territoires ultramarins ».

Même remarque du groupe RDSE, qui a rappelé que « le narcotrafic structure l'espace social ». La sénatrice Sophie Briante Guillemont a appelé à « ne pas se contenter d'un volet répressif. Il faudra aussi plus de République ». Le membre du groupe communiste Jérémy Bacchi a de son côté plaidé pour intégrer des mesures de protection des dockers, douaniers, agents pénitentiaires, avocats, magistrats, policiers et gendarmes contre la corruption.

Le gouvernement ayant engagé la procédure accélérée pour ce texte, une seule lecture sera nécessaire à l’Assemblée nationale.

Alexis Duvauchelle

 

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