Initiée
par la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises,
dite loi PACTE, et plus précisément par son article 176, la société à mission
est un nouveau modèle de société, dotée d’une raison d’être, motivée par
d’autres considérations que la seule recherche de profits. En réalité,
l’émergence des sociétés à mission s’inscrit dans un contexte antérieur et bien
plus large, tendant à repenser le modèle économique même des sociétés, déjà
initié quelques années auparavant avec la loi sur l’économie sociale et
solidaire (1), dont l’article premier pose les bases de cette nouvelle
économie, se définissant comme un « mode d’entreprendre et de développement
économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine ».
Ce
mode d’entreprendre nécessite que le but poursuivi par l’entreprise soit autre
que le seul partage des bénéfices. Par ailleurs, la gouvernance au sein de la
société doit être démocratique, transparente, et la gestion doit être «
conforme aux principes suivants : a) les bénéfices sont majoritairement
consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de
l’entreprise ; b) Les réserves obligatoires constituées, impartageables, ne
peuvent pas être distribuées (…) ».
Zoom
sur la raison d’être
En
2016, d'après une enquête de l'Ifop, 60 % des Français pensaient qu’une entreprise était plus utile que
l’État, et 51 % des français estimaient que « son rôle est d’abord d’être
utile à la société dans son ensemble, avant ses clients (34 %), ses
collaborateurs (12 %) ou ses actionnaires (3 %) ». C’est dire le
nouveau rôle souhaité pour l’entreprise. Avec les sociétés à mission, un cap
est encore franchi puisque désormais, bénéfices et intérêt collectif devront se
concilier. Et la grande spécificité de l’entreprise à mission, c’est sa fameuse
raison d’être. Mais de quoi s’agit-il concrètement ?
Aux
termes de l’article 1835 du Code civil, les statuts de l’entreprise « (…)
peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se
dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la
réalisation de son activité ». Aussi ces sociétés évoluent-elles au gré
d’objectifs sociaux et/ou environnementaux, inscrits dans leurs statuts.
Elles
répondent à une volonté affirmée de faire évoluer le modèle des sociétés
commerciales, afin de le faire coïncider avec les évolutions et les impératifs
de la société civile. En d’autres termes, il s’agit d’inscrire les sociétés
commerciales dans leur temps et de faire évoluer les mentalités. Alors tout
naturellement, la transition n’est pas aisée.
Malgré
tout, la France compte aujourd’hui 889 sociétés à mission recensées par
l’Observatoire des sociétés à mission, qui est la plateforme de référence des
sociétés à mission en France.
Les
889 sociétés seront prochainement rejointes par d’autres sociétés dites « en
chemin ». Si le modèle a donc déjà séduit de nombreux chefs d’entreprises, la
formule reste encore récente, et certains tâtonnent encore en pratique quant
aux obligations concrètes que recouvre la société à mission et quant aux
modalités de contrôle des engagements, rappelons-le, inscrits dans les statuts
de l’entreprise, ce qui n’est évidemment pas sans incidence.
Il
ressort de la lettre de l’article L. 210-10 du Code de commerce qu’« une
société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission »
lorsque plusieurs conditions cumulatives sont remplies. Tout d’abord, les
statuts doivent comporter une raison d’être qui témoigne de la volonté de
l’entreprise de s’inscrire dans un autre but que celui d’uniquement faire du
profit, une réelle mission dont les modalités de suivi sont prévues dans les
statuts. Ensuite, et en déclinaison de cette raison d’être, les statuts
précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux, dont
l’exécution est vérifiée par un organisme tiers indépendant.
Pour
autant, cela n’a pas vocation à faire de toutes les sociétés des sociétés à
mission. Avant même le vote de la loi PACTE, dans un avis consultatif en date
du 19 juin 2018, le Conseil d’État a bien relevé que l’inscription d’ « une
raison d’être » dans les statuts d’une entreprise constitue une simple
faculté, mais qu’en revanche, il doit être considéré que pour les entreprises
qui auront fait ce choix, l’inscription dans les statuts obligera à s’y
conformer. En d’autres termes, toutes les entreprises ne sont pas obligées
d’inscrire dans leurs statuts une raison d’être (et de devenir une société à
mission), mais a contrario, l’inscription d’une raison d’être au sein des
statuts oblige l’entreprise à la respecter, et à conduire son activité de
manière conforme à cette raison d’être.
De
nécessaires contrôles
Évidemment,
de telles prescriptions sans contrôles n’auraient pas de sens. En premier lieu,
au sein de l’entreprise, il est établi un comité de mission distinct des
organes sociaux, chargé de suivre le respect de la mission découlant des
statuts. Ce comité comportant au moins un salarié présente annuellement un
rapport. Précisons toutefois que si la société emploie moins de 50 salariés
permanents, alors un référent de mission peut se substituer au comité de
mission. En deuxième lieu, la vérification des sociétés à mission, effectuée
tous les deux ans, est notamment encadrée par un décret du 2 janvier 2020 (2) et
par l’article R. 210-21 du Code de commerce. Ce contrôle est un réel audit,
effectué par un organisme tiers indépendant, qui se fait communiquer toutes pièces
utiles à son contrôle et qui, se déplaçant sur site, peut être amené à
auditionner les salariés ou certains membres de l’entreprise.
Que
se passe-t-il alors si le contrôle opéré par l’OTI révèle que l’entreprise n’a
pas atteint ses objectifs ? Naturellement, des observations quant à cette
carence seront consignées par l’OTI avec, probablement, une clause de revoyure.
Mais gardons à l’esprit que l’engagement étant inscrit dans les statuts, il
oblige l’entreprise qui l’a pris. Partant, une procédure peut être engagée
auprès du président du tribunal de commerce territorialement compétent, pour
demander le retrait de la qualité de société à mission. Il pourra alors
ordonner au représentant légal de la société de supprimer la mention « société
à mission » de tous les actes, documents ou supports de l’entreprise, afin de
ne plus communiquer de façon trompeuse sur des engagements qu’elle n’honore
pas.
Un
engagement partagé
C’est
donc une vraie responsabilité d’être une société à mission, mais c’est aussi
donner un sens à son activité. Et il faut bien évidemment insister sur le fait
que devenir ou être une société à mission doit être un engagement partagé par
tous au sein de l’entreprise, chacun ayant vocation à enrichir la mission et à
le mettre en œuvre au quotidien.
La
société à mission n’est pas, en soi, l’avenir des sociétés, dans le sens où il
existera toujours des sociétés commerciales dont le seul et unique but sera la
recherche de profit, mais en tout cas, il est certain que la société à mission
est une société d’avenir, résolument ancrée dans son époque et tournée vers les
autres.
Madeleine Babès
Avocate,
Cabinet Huglo Lepage Avocats
1) Loi n° 2014-856 du 31
juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire.
2) Décret n° 2020-1 du 2
janvier 2020 relatif aux sociétés à mission.