DROIT

« Sans le dessin, je ne serais plus avocate »

« Sans le dessin, je ne serais plus avocate »
©Tiphaine Mary, « Le dessin est beaucoup plus rentable que la profession d'avocat »
Publié le 22/08/2025 à 10:12

SERIE (3/5). Le jour, Tiphaine Mary est avocate exerçant en droit de la famille. La nuit et sur ses pauses déjeuner, elle décline le dessin sous toutes ses formes : aquarelle, peinture à la bombe, bande dessinée, affiche, dessin et peinture sur photo, bois, céramique…  Sa robe et son crayon se sont toujours entremêlés : sans l’un, l’autre n’existerait pas. L’avocate-artiste a trouvé son équilibre entre les deux et jongle désormais aussi avec son mandat au Conseil de l’Ordre. 

Ils ne font pas que du droit !

Cet été, le JSS vous propose de partir à la rencontre de professionnels du droit dont le quotidien ne se résume pas qu’à la robe, à la rédaction d’actes ou au Code civil ! Artistes, sportifs ou musiciens… Découvrez une autre facette de ces passionnés à la double vie.

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Un lundi d’août à dix heures tapantes, Tiphaine Mary arrive dans son cabinet dans le 17ème arrondissement de Paris. De retour de vacances, elle pose un Dr Pepper à la cerise à côté de son ordinateur et jette un regard aux quelques colis en carton arrivés pendant ses congés qui s’entassent dans son bureau. Elle en attrape un : « Ça doit être le Super Mario », croit-elle deviner. Bingo ! Elle dépose la figurine d’une cinquantaine de centimètres qu’elle s’attellera bientôt à peindre, près de ses robes d’avocate.

Elle sort de son sac trois aimants destinés à enrichir sa collection de « beaux magnets », à laquelle contribuent ses proches et ses collègues. « C’est une vraie recherche, mais visiblement, tout le monde n’a pas compris le thème », lance Tiphaine Mary, un sourire en coin. Chaque été, elle revient au cabinet pendant le mois d’août, habituellement plutôt chargé en droit de la famille, son domaine d'exercice. Après un mois de juillet généralement calme, août est marqué par les changements de résidence dans les gardes alternées, souvent synonymes de passations mouvementées, parfois violentes, ou de référés « lorsque les parents ne s’entendent pas sur l’école où inscrire les enfants pour la rentrée ».

« Des collaborations un peu compliquées »

L’avocate de 35 ans, aux yeux bleus et courts cheveux blonds fait le tour de son bureau : ici encadrée, la première couverture de La semaine juridique pour laquelle elle a été rémunérée, là une statuette représentant la déesse de la justice appartenant à la consœur avec laquelle elle partage son bureau, cassée par mégarde par Tiphaine Mary. Elle l’a elle-même réparée façon kintsugi, une technique de réparation japonaise qui consiste à recoller les morceaux d’un objet avec de la laque et de la poudre d’or. Dans le bureau de la civiliste, s’expose un panorama de sa vaste palette artistique : aquarelle, peinture à la bombe, bande dessinée, dessin et peinture sur photo, bois ou céramique… Quelle que soit la technique, depuis le début, son art est étroitement entrelacé avec sa profession d’avocate. Pourtant, ni l’un ni l’autre ne se sont imposés comme une évidence.

Dans un premier temps, Tiphaine Mary voulait être commissaire de police. Alors qu’elle est à la fac de droit, elle développe une maladie auto-immune. Elle peine à tenir un stylo, n’a pas encore de traitement adapté et son rêve de commissaire s’éloigne. Pendant son master, elle rencontre « une avocate géniale » qui lui montre la voie. « Je voulais aider les gens. Je me suis rendu compte que je pouvais le faire en étant avocate. A partir de ce moment-là, il n’y avait plus que ça qui comptait », se rappelle Tiphaine Mary. Le barreau en poche, elle enchaîne trois collaborations de deux ans dans une petite structure, une moyenne et dans un cabinet d’affaires. Financièrement comme moralement, ses débuts sont particulièrement éprouvants.


Dans le bureau actuel de la civiliste, derrière son fauteuil, trône une aquarelle qui la représente en train de pleurer. Initialement, elle avait fait deux variantes de cette peinture : une heureuse, et une triste. La version heureuse, elle l’a vendue à l’ancienne bâtonnière de Clermont-Ferrand. Tiphaine Mary a insisté pour garder la version triste, comme pour se rappeler. « J’ai eu des collaborations un peu compliquées », confie-t-elle. « Ça m'a permis de tomber suffisamment bas pour me remettre à dessiner. C'est à cette période-là que j'ai créé un avatar et que j’ai commencé à poster mes dessins de manière anonyme sur les réseaux sociaux, pour raconter cette collaboration et le métier d’avocat. »

Premier dessin

Sur son premier dessin posté en 2016, elle s’est représentée en robe d’avocate. Son ombre menaçante, elle aussi en robe, plane derrière elle. Elle le poste sur Twitter où le croquis rencontre un certain succès. Le dessin devient alors un moyen de rester dans la profession, de tenir. Celle qui vient « d'une famille où les parents ont beaucoup sacrifié pour leurs trois enfants et n'ont jamais eu la possibilité de faire les études qu'ils souhaitaient » « envie d'abandonner ». Isolée, pas bien payée et épuisée par ses horaires et ses relations professionnelles, Tiphaine Mary commence à se demander si elle n’est pas le problème, si elle est réellement faite pour ça. « Il y a eu des périodes tellement compliquées et oppressantes que sans le dessin, je ne serais plus avocate. »

Petit à petit, elle fait des rencontres à travers les réseaux sociaux et se retrouve invitée à des événements dans lesquels on trouve uniquement des juristes sous pseudonyme qui deviennent une sorte de « seconde famille ». Elle y fait la connaissance de Christophe Calvao (Maître Chaton sur les réseaux sociaux). En 2018, Christiane Féral-Schuhl, alors présidente du Conseil national des barreaux (CNB) lui propose de faire son « premier dessin rémunéré » : la carte de vœux du CNB. Depuis, Tiphaine Mary a fait d’autres cartes de vœux pour le Conseil, a dessiné pour Lexbase, La semaine juridique, Actu-Juridique.fr, Actus des Barreaux, le Conseil de l’Ordre, la revue de l’Union des jeunes avocats (UJA)… Récemment, elle a co-signé une bande dessinée avec Christiane Féral-Schuhl, Adelaïde : Lorsque l'intelligence artificielle casse les codes (Dalloz).

« Quand on est artiste, on n’est pas vraiment pris au sérieux »

Aujourd’hui, cela fait quatre ans que Tiphaine Mary a installé son cabinet d’avocat. « Ça se passe bien, c'était la meilleure décision », estime-t-elle sans non plus occulter les difficultés : l’absence de rémunération fixe, les charges importantes... Bien qu’elle ait été formée au pénal, elle s’épanouit pleinement en droit de la famille, matière dans laquelle elle trouve du sens : « Je trouve qu’on peut vraiment changer des vies, notamment celle des enfants. Quand on arrive à trouver des accords et à les faire sortir d'une situation de violence par exemple. »


Pendant longtemps, la civiliste a maintenu son anonymat en tant qu’artiste, sous le pseudo « Maître et Talons ». Notamment pour préserver sa crédibilité en tant qu’avocate. « Il y a l’idée que quand on est artiste, on n'est pas vraiment pris au sérieux. On peut être considéré comme quelqu’un d’un peu fragile, avec beaucoup d’émotions. Ce n’est pas la personnalité qu'on attendrait de quelqu'un qui est avocat, qui ne montre pas ses émotions, qui gère des trucs difficiles, qui doit être hyper organisé, respecter les délais… », explique celle qui pense que beaucoup d’avocats n’osent pas dire qu’ils ont une activité artistique en parallèle. Elle se souvient : « Au début, on me disait que si je postais un dessin triste, cela pourrait impacter l’image que mes clients ont de moi, qu’ils pourraient penser que je ne suis pas solide ou que je suis déprimée. » S’il lui arrive aujourd’hui de représenter des personnes qui sont d’abord venues à elle pour lui acheter une œuvre, elle continue de « filtrer » ce qu’elle poste en ligne pour conserver une forme de distance.

Trouver l’équilibre

Le lien entre son art et l’avocature n’a pas toujours été simple à gérer. « Pendant longtemps, je me suis dit que j'avais réussi dans l’avocature que parce que je dessinais, et réussi dans le dessin parce que je parlais de l’avocature ». Aujourd’hui, elle a fini par s’émanciper en réalisant également des œuvres qui n’ont plus rien à voir avec la justice. Et « ça marche plutôt bien » : l’avocate a récemment participé avec succès à sa première vente aux enchères caritative sur les Champs-Elysées aux côtés d’Orlinski et de Banksy entre autres. Qu’il soit en lien avec la justice ou non, l’art de Tiphaine Mary est « geek » : Super Mario, Le Seigneur des anneaux, les super héros Marvel, Harry Potter ou encore Playmobil sont aussi bien des supports que des sources d’inspiration. « J’adore tout ce qui est pop culture. J'aime beaucoup le cinéma aussi, les comics, les dessins animés… », liste l’avocate qui a aussi une patte très street art.

Avec cette double activité, il faut aussi trouver un équilibre dans le quotidien. Elle arrive en général au cabinet à neuf heures, dessine pendant une trentaine de minutes sur sa pause déjeuner et redessine le soir ou fait ses peintures à la bombe dans un endroit à l’air libre. 

Le Conseil de l’Ordre, « inconcevable »

Sa double activité lui permet en fait le meilleur des deux mondes : choisir ses dossiers au cabinet et choisir les œuvres qu’elle veut faire. Dans l’un comme dans l’autre, ses revenus sont irréguliers, dépendent largement des périodes et finissent par s’équilibrer. « Le dessin est beaucoup plus rentable que la profession d'avocat », explique pourtant Tiphaine Mary. Aujourd’hui, elle gagne davantage avec ses honoraires compte tenu du temps qu’elle y consacre, mais si elle répartissait son temps de façon égale entre ses deux activités, elle aurait des revenus plus importants. Pour autant, pas question de changer cette organisation pour celle qui veut conserver « le sentiment d'être utile ».

Très impliquée au sein de l’UJA depuis un certain temps et toujours membre de sa commission permanente, Tiphaine Mary a été élue au Conseil de l’Ordre sous sa bannière en décembre dernier. Elle consacre deux à trois jours de travail bénévole par semaine à sa mission ordinale. « Ça fait trois vies maintenant ! », s’exclame l’avocate. Si elle a pendant un temps considéré qu’être élue au Conseil de l’Ordre était « inconcevable », Tiphaine Mary a réalisé qu’avec son parcours « pas linéaire », ses éprouvantes collaborations dans des structures de différentes tailles et son quotidien aujourd’hui, elle a finalement aperçu de nombreux aspects du métier. Son élection l’a conduite à considérer que le Conseil n’est pas aussi élitiste que l’on pourrait croire. « On a l’idée que c’est un sérail fermé, avec uniquement des gens qui viennent de familles d’avocats parisiens ». Fille de deux « employés d’assurance en région », Tiphaine Mary veut croire qu’elle « est la preuve que non ».

Il y a deux ou trois ans, Tiphaine Mary a collaboré avec une marque bien connue des avocats : l’Artisan Costumier. Elle a dessiné une doublure en soie sur laquelle on peut voir son avatar sur un beau fond bleu. « Aujourd’hui il y a des élèves avocats qui la portent », explique la civiliste avec l’air de ne toujours pas y croire. Une chose est certaine, la robe n’est plus une ombre menaçante qui plane derrière Tiphaine Mary.

Marion Durand

 

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