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EMPREINTES D'HISTOIRE. Comment Shakespeare, le barde anglais aux 39 pièces, aborde-t-il le thème de la résurrection ?

EMPREINTES D'HISTOIRE. Comment Shakespeare, le barde anglais aux 39 pièces, aborde-t-il le thème de la résurrection ?
Statue de William Shakespeare, place centrale de Stradford-upon,Avon. © Étienne Madranges
Publié le 31/03/2024 à 07:00

En traversant à pied Stratford-upon-Avon, en Angleterre, Etienne Madranges s’est arrêté devant la maison natale de William Shakespeare aux petits carreaux losangés que l’on ne peut désormais visiter qu’en passant par un monumental centre d’interprétation contemporain. Le blason du dramaturge orne la porte d’entrée. Sur ce blason, une lance. Pourquoi donc une lance ? En ce dimanche de Pâques, notre chroniqueur évoque par ailleurs la façon dont l’auteur britannique aborde métaphoriquement le thème de la résurrection.  

Il naît à Stratford-upon-Avon au cœur de l’Angleterre en 1564, année bissextile qui voit l’arrivée au monde de Galilée et le départ vers le paradis protestant de Calvin. Il naît peut-être un 23 avril (selon le calendrier julien). Il décédera en 1616, année bissextile… peut être le 23 avril, en période de fêtes pascales (toujours selon le calendrier julien), à la même date que l’Espagnol Miguel de Cervantès, mais pas le même jour.*

Maison de Shakespeare, Stratford-upon-Avon (Angleterre). © Étienne Madranges

Non sans droict

William Shakespeare se familiarise avec le droit et la procédure auprès de son père John qui exerce dans cette ville des fonctions tout à la fois exécutives et judiciaires pour être en effet échevin (alderman) puis bailli de la commune porteur d’une toge rouge, juge et président du greffe.

Ses armoiries sont des « armoiries parlantes ». Elles portent en effet une lance dont le nom anglais a un rapport direct avec les lettres de son patronyme. En anglais, la lance se dit « spear ». Comme dans Shake…spear..e !

Le blason à la lance dorée à l’entrée de la maison de Shakespeare. © Étienne Madranges

Sa devise, déposée en vieux français comme le veut la coutume au « College of Arms », le célèbre Collège des hérauts fondé en 1484 et siégeant à Londres, est « Non sans droict », « Not without right », « Pas sans droit ». Le poète élisabéthain aime à l’évidence le droit et la justice. Plusieurs de ses créations théâtrales s’en feront l’écho. On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement avec la devise de la monarchie britannique elle aussi en vieux français, « Dieu et mon droit », cri de guerre du roi Richard Cœur de Lion au XIIe siècle, devenu devise officielle de la Couronne au XVe siècle.

Des complotistes de tous horizons mais aussi des personnages très sérieux tels Orson Welles, Sigmund Freud, Charlie Chaplin ou encore Mark Twain pensent que le natif de Stratford-upon-Avon n’a pas pu, en particulier faute d’une éducation suffisante, rédiger toutes les pièces qu’il a signées et fait publier.

De nombreuses recherches universitaires et scientifiques, des études stylométriques ont démontré au contraire que Shakespeare était bien l’auteur des textes qui lui sont attribués. Une paternité incontestable !

Un auteur obnubilé par le droit et la justice

Il était le fils d’un juge. Certains historiens affirment qu’il a pu travailler dans sa jeunesse comme clerc de notaire ou encore comme greffier dans sa ville natale.

Plusieurs pièces de l’écrivain britannique utilisent les thèmes du droit et de la justice. Le droit se retrouve au centre des conflits de personnes, des éléments du pouvoir., accompagnant le refrain de la moralité. En voici quelques exemples :

Dans « Le marchand de Venise », on évoque un contrat, une dette (quasiment impossible à honorer), et la justice rendue par le chef de l’exécutif ayant un pouvoir judiciaire suprême. La dominante de la pièce est juridique.

Un jeune Vénitien a besoin de 3000 ducats. Il emprunte la somme à un ami lequel, momentanément dépourvu, se fait prêter cette somme par un usurier juif. Ce dernier lui impose un contrat sévère et cette redoutable obligation : « … venez avec moi chez un notaire me signer un simple billet, et pour nous divertir, nous stipulerons qu’en cas que vous ne me rendiez pas… la somme exprimée dans l’acte, vous serez condamné à me payer une livre juste de votre belle chair, coupée sur telle partie du corps qu’il me plaira choisir… ».

Faute de remboursement à la date prévue, l’usurier exige le respect du contrat et donc un morceau de chair de son débiteur. La médiation du doge et l’intervention d’un présumé juge (en réalité l’épouse du jeune Vénitien déguisée en homme de loi) donnent une fin honorable au conflit.

Certains commentateurs ont vu dans cette pièce qui met en scène un usurier juif détestable un texte judéophobe. A l’inverse, on y trouve à l’acte III dans la bouche du prêteur israélite cette tirade éloquente : « Un Juif n'a-t-il pas des yeux ? Un Juif n'a-t-il pas des mains, des organes, des dimensions, des sens, de l'affection, de la passion ; nourri avec la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé aux mêmes maladies, soigné de la même façon, dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été que les Chrétiens ? ».

Dans « Mesure pour mesure » (« Il en est que le péché élève et d'autres que la vertu fait chuter ») un duc remet de l’ordre dans une société corrompue en s’éloignant momentanément du pouvoir qu’il confie à un personnage déloyal faisant preuve de duplicité. La justice, la corruption, la punition, la recherche de la pureté, le pardon, la rédemption sont au cœur de l’intrigue.

Cette pièce écrite en 1604 est une « pièce à thèse », ce que les Britanniques appellent « une pièce à problèmes » (« problem plays »), mêlant plusieurs genres et styles, le tragique comme le comique, abordant la plupart des contradictions humaines.

Dans « Le roi Lear », la justice est omniprésente. Une décision royale injuste a des conséquences tragiques dès lors que le roi divise son royaume de façon immorale au profit de ses filles. Justice personnelle mais aussi familiale, sociale mais aussi divine y sont au programme.

Dans « Hamlet », la justice divine se juxtapose à la justice humaine. La vengeance et la loi du talion alimentent une forme de justice rétributive, et la corruption du système judiciaire permet toutes formes de manipulations.

Dans « Othello », un chef de guerre maure respecté, ancien esclave affranchi, tue son épouse soupçonnée à tort d’adultère, laquelle n’a à l’évidence pas droit à un procès équitable. Jalousie, manipulation et vengeance dominent avec ces questions : quelle peut être la légitimité de la vengeance ? comment une justice manipulée peut-elle aboutir à une tragédie ?

Dans « Macbeth », on est en présence du meurtre d’un roi par celui qui veut s’emparer du trône, suivi des tourments de la culpabilité ; la quête insensée du pouvoir se poursuit grâce à la perversion de la justice.

Shakespeare semble souvent torturé ou en tout cas intrigué par les questions de moralité et d’immoralité, de légitimité et d’illégitimité, de discrimination, de justice personnelle et de vengeance divine. Ses pièces sont l’occasion pour lui d’explorer la nature de la loi et la définition ainsi que le champ de la justice, directement ou de façon métaphorique voire catachrétique, panachant concepts moraux et arguments apodictiques.

Un procès sans fin contre un parent indélicat 

Shakespeare passe une bonne partie de son temps dans des procès. Son père John est un réfractaire, c’est-à-dire un catholique n’allant pas assister aux services anglicans. Chambellan de la Guilde de la Sainte Croix, fondée au XIIIe siècle, il doit, sur ordre royal, détruire ou cacher tous les décors de la chapelle de la Guilde, monument médiéval important dans la vie de la cité à Stratford-upon-Avon. Ces décors représentent le Jugement dernier et des scènes de l’au-delà. La reine Elisabeth 1ère a en effet ordonné par un édit de 1563 le retrait de tous les signes de superstition et d’idolâtrie des lieux de culte. Fort heureusement, John Shakespeare se contente d’apposer un badigeon, ce qui permettra la conservation des fresques et leur découverte ultérieure (elles sont actuellement toujours visibles, voir image).

 
Chapelle de la Guilde, Stratford-upon-Avon (Angleterre). © Étienne Madranges

Il doit se séparer d’une partie de ses biens pour ne pas être saisi et spolié par d’éventuelles confiscations. Il est amené à hypothéquer une vaste propriété au profit d’Edmund Lambert, beau-frère de son épouse. Celui-ci, malhonnête, ne respectera jamais le contrat et conservera indûment la propriété. William Shakespeare hérite du litige paternel et tente d’obtenir gain de cause en assignant le fils d’Edmund, John Lambert, devant la Cour de la chancellerie, une juridiction royale qui utilise autant les notions d’équité que de justice. Car le Chancelier, gardien de la conscience du Roi (Keeper of the King’s Conscience) et les juges peuvent s’éloigner du common law et statuer en conscience selon l’équité.

Les magistrats lui donnent cependant tort. William Shakespeare est même accusé de harcèlement judiciaire**.

Privé d’une partie de son héritage par la famille d’Edmund Lambert, le génial auteur n’aura d’autre réaction que d’introduire un certain Edmund, malhonnête et manipulateur, dans « Le roi Lear ». Il introduira par ailleurs dans « Hamlet » Fortinbras, voleur de terres au préjudice d’Hamlet et de son père (acte 1 scène 1) : « …aujourd’hui, le jeune Fortinbras… n’a d’autre but… que de nous reprendre, par la force et la violence, ses fameuses terres, ainsi perdues par son père ».

Résurrections ?

Shakespeare, se référant à des moments forts du calendrier, évoque parfois Pâques ou la période pascale.

Ainsi, dans « Hamlet » (acte I scène 3), Laërte conseille à sa sœur Ophélie la prudence devant les éventuelles avances amoureuses du prince : « … Et quand tu t'en iras dansant à Pâques Comme une naïade en couronne fleurie, Quand tous les jeunes gens te feront fête, Crois-moi, chère, ne sois pas si légère, Avec un baiser vous perdez votre honneur ».

Il n’aborde pas toujours le thème de la résurrection de façon directe. Mais dans ses pièces, il insère les éléments propres à inspirer le renouveau et la renaissance.

Dans « Hamlet », on assite à une résurrection éphémère du roi Hamlet tué par son propre frère, roi qui réapparaît pour demander à son fils Hamlet prince de Danemark de le venger. Le jeune Hamlet reçoit la visite du spectre de son père (scène 5 de l’acte 1) : « Je suis l'esprit de ton père, condamné pour un certain temps à errer la nuit, et, le jour, à jeûner dans une prison de flammes, jusqu'à ce que le feu m'ait purgé des crimes noirs commis aux jours de ma vie mortelle ») et reçoit pour mission de mettre en œuvre cette vengeance.

Dans « La tempête », Prospero, duc de Milan déchu, devient un puissant sorcier dans un monde magique où l’on imagine la présence de sylphes, de génies, de monstres, de farfadets, de harpies (alors que l’on a des fées dans « Le songe d’une nuit d’été ») puis finit par renoncer à la magie dans une renaissance qui tient du merveilleux afin de retrouver son duché.

Dans « Le conte d’hiver » (The Winter's Tale), la reine Hermione, injustement accusée d’adultère et s’étant laissé mourir en première partie de la pièce en forme de tragédie, ressuscite tout à coup après avoir été statufiée à la fin de la pièce devenue comédie afin de mettre la mort en échec.

Dans « Le roi Lear », la violente tempête qui secoue la scène 2 de l’acte III (Lear : « Soufflez, vents, jusqu’à ce que vos joues en crèvent. Ouragans, cataractes, versez vos torrents jusqu’à ce que vous ayez inondé nos clochers, noyé leurs coqs ! ») est l’élément purificateur qui présage la renaissance morale et spirituelle des personnages (Lear : « Forfaits soigneusement enveloppés, déchirez le voile qui vous cache et demandez grâce à ces voix terribles qui vous appellent »).

Shakespeare est omniprésent dans sa ville natale. À droite la statue du bouffon de la pièce « Comme il vous plaira » (« As you like it ») accompagnée de la phrase O Noble Fool ! O Worthy fool ! (Ô noble insensé ! Imbécile digne de ce nom !). © Étienne Madranges

Shakespeare ? Un poète, un écrivain à l’imagination débordante qui a su créer des répliques de légende, évoquer savamment la morale et le droit, mettre en scène des princes, des esclaves et des fées, dénoncer l’injustice et favoriser la foi en la justice, développer le concept de résurrection morale, privilégier la purification, la rédemption et la miséricorde.

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 217

* concernant cette particularité liée au calendrier julien appliqué en Angleterre et au calendrier grégorien utilisé en Espagne, voir notre 83ème chronique dans le JSS 27 du 6 avril 2019
** on pourra à ce sujet se reporter à l’excellent article de François Ost, Shakespeare La comédie de la loi, sur cairn.info

 

Les 10 empreintes d’histoire précédentes :

 

Comment Shakespeare, le barde anglais aux 39 pièces, aborde-t-il le thème de la résurrection ? ;

• Il avait conçu les écluses du canal de Panama, pourquoi Gustave Eiffel est-il incarcéré à la Conciergerie en 1893 ? ;

• Pourquoi l'archevêque de Paris et le premier président de la Cour de cassation par intérim ont-ils été fusillés le même jour ? ;

Quel archichancelier "court-sur-pattes" ne fut jamais à court d'idées ? ;

• Pourquoi le Taj Mahal, monument de l'amour éternel, menacé par le chironomus calligraphus, est-il au cœur de procès à répétition ? ;

• Quel peintre lombard impulsif et ténébriste, sauvé de la prison par un ambassadeur de France, a fait d'une prostituée une vierge ? ;

Quel écrivain, prix Nobel de littérature, est représenté la plupart du temps entouré de papillons jaunes ? ;

• Quel rapport y a-t-il entre la montre bisontine la plus chère du monde et le puits initiatique de Sintra ? ;

• Par quel caprice d'avocat, l'architecte catalan Gaudi a-t-il commencé sa carrière sous le règne d'un ancien élève du collège Stanislas ? ;

Quel grand architecte de prisons et d'une école pour les juges, né dans une abbaye en pierre près d'une chaire extérieure, est inhumé à l'intérieur d'une église en béton ? ;

 

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