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EMPREINTES D'HISTOIRE. La Recevresse d'Avioth a-t-elle été un tribunal prévôtal ?

EMPREINTES D'HISTOIRE. La Recevresse d'Avioth a-t-elle été un tribunal prévôtal ?
A gauche, la Recevresse, située devant la basilique d'Avioth (Meuse) (c) Étienne Madranges
Publié le 28/04/2024 à 07:00

Étienne Madranges nous avait emmenés la semaine dernière en Écosse chez Walter Scott. Il revient en France, dans la Meuse, dans le village méconnu d’Avioth. Méconnu ? Pas tant que cela car ce minuscule endroit est un lieu de pèlerinage ancestral et surtout, il abrite une curiosité ayant probablement eu une fonction judiciaire qui n’a pas encore livré tous ses secrets !

Le hameau d’Avioth a été « Aviot », le lieu où il y a de l’eau en patois lorrain. Elle y est la seule au monde. Car la Recevresse d’Avioth est unique. Il n’y a qu’une seule Recevresse et elle se trouve au nord du département de la Meuse, fière, gothique, protégeant depuis son érection au XVe siècle l’entrée de l’église Notre Dame construite aux XIIIe et XIVe siècles, une église promue basilique en 1993 par Jean-Paul II. Elle fut restaurée en 1844 par l’architecte Emile Boeswillwald qui refit l’année suivante en partie les décors de la Sainte Chapelle de Paris.

Le soleil, l’air, le vent, les embruns, occasionnellement la neige se glissent à travers ses pinacles ajourés. La pierre dentelée y révèle une beauté mystique. Parfois survolée par des pics cendrés, ces oiseaux qui se nichent dans les ripisylves de la Meuse, des faucons hobereaux, ou encore des tariers des prés et autres passereaux, on lui donna jadis le nom de Recevresse. Ce titre était alors simplement celui de la statue de la Vierge appelée à l’origine la Recepvresse, à laquelle on apportait des offrandes.

Un sanctuaire à répit

C’est la découverte au XIIe siècle d’une jolie statue en bois de tilleul d’une Vierge à l’Enfant qui fut le point de départ d’un pèlerinage et de la construction de l’église Notre Dame d’Avioth.

Cet édifice dédié à la Vierge fut rapidement considéré et utilisé comme « église à répit ». Les « sanctuaires à répit » étaient autrefois assez nombreux en France, sans doute plus de 270, essentiellement dans l’est du pays, et avaient une vocation bien définie. On y baptisait les enfants mort-nés. Les parents étaient au désespoir d’imaginer que l’âme de leur enfant mort-né, faute du premier sacrement chrétien, ne pût rejoindre le paradis et errât à perpétuité dans les limbes, ainsi exposé à la « peine du dam », châtiment divin éternel.

Aussi, en apportant le nourrisson sans vie, petit corps sans statut, dans un sanctuaire à répit, ils pouvaient acquérir la certitude que leur enfant pût vivre ou revivre quelques courts instants, juste le temps de recevoir le baptême*. Le corps était posé au pied de la Vierge, puis sur l’autel ; la Vierge était ensuite implorée par des prières. Le prêtre pouvait alors pratiquer la signation puis l’aspersion et enfin l’onction afin de baptiser l’enfant considéré comme brièvement ressuscité, ainsi purifié pour l’éternité.


Vitrail de 1888 dans l’église de Villembray (Oise), rare représentation d’un baptême d’enfant mort-né brièvement ressuscité en 1624 © Christelle Rousseau Mairie de Villembray

Un tribunal devenu Recevresse ?

La ville d’Avioth était au XIIIe siècle une « ville libre » bénéficiant d’une charte d’affranchissement, ayant un atelier monétaire, des élus et un tribunal échevinal, à une époque où les échevins, désignés par les bourgeois ou les grands feudataires, exerçaient la justice seigneuriale.

Les plus grands spécialistes du patrimoine du XIXe siècle ont été éblouis et étonnés par la Recevresse, édicule isolé construit devant l’église. Viollet-le-Duc y voyait une chapelle funéraire ou une lanterne des morts. Mais comment justifier la présence d’une chapelle funéraire en dehors des limites du cimetière ? Et comment imaginer la présence d’un fanal accroché au sommet de l’édicule ?

Prosper Mérimée y vit quant à lui un baptistère. Mais comment justifier la présence d’un baptistère à l’extérieur d’une église qui en compte un ?

Chapelle sépulcrale ? Lanterne des morts ? Baptistère ? Oratoire ? La notice officielle du ministère de la Culture la décrit comme un tribunal prévôtal. En réalité, le mystérieux monument aux ogives harmonieuses et à l’élégante parure a eu très probablement des fonctions multiples. Et parmi celles-ci, la fonction judiciaire à la fin du moyen âge semble être la plus probable, en raison notamment de l’emplacement choisi et du financement.

Au moyen âge, jusqu’à la construction d’auditoires pour les magistrats ou pour les seigneurs locaux en charge de la basse, moyenne et haute justice, la justice était souvent rendue en plein air devant les églises, en particulier sur le parvis, appelé par la suite « parvis judiciaire ». On en trouve encore des exemples en Espagne, tandis qu’en France les survivances sont rares.

L’un des derniers exemples en France se trouve à Poitiers (Vienne) devant l’église Sainte Radegonde, dédiée à la reine des Francs, épouse du fils de Clovis, Clotaire 1er. L’illustration ci-après montre le parvis de Sainte Radegonde où siégeait le juge poitevin entouré de ses collaborateurs.


Le parvis de l’église Sainte Radegonde à Poitiers (Vienne) ; on remarque la place qu’occupait le juge par la surélévation du mur afin de le distinguer et de rendre sa place plus solennelle (flèche noire) © Étienne Madranges

La destination de la Recevresse est simple à définir ! Située devant l’église, elle permettait à un juge de s’asseoir dans un lieu solennel au décor flamboyant. Et surtout, elle a pu être construite grâce à un don en 1412 du gouverneur de Montmédy, Gilles IV de Rodemack, qui était par ailleurs prévôt. Elle fut donc bien un mini-auditoire, un tribunal prévôtal.

Par la suite, les prisonniers graciés ou évadés, les détenus échappés des prisons ottomanes accrochèrent des menottes et des chaînes au-dessus de la statue de la Vierge lotharingienne hébergée par la Recevresse.

Qu’un froid glacial la caresse ou bien qu’elle subisse la sécheresse… il semble à peu près établi que la Recevresse reçut par la suite des offrandes avec délicatesse, notamment au profit des ouvriers pleins d’adresse chargés de l’entretien de l’église, mais aussi des dons en nature ou en espèces, offerts par des pécheurs ou pécheresses venus confesser leurs maladresses.

Les chiens de la fidélité

Dans la basilique d’Avioth, un gisant présente une autre curiosité locale. Cette curiosité est un effet d’optique. On y trouve un sarcophage en pierre, tombeau abritant depuis le début du XVe siècle Catherine de Breux, une femme appartenant à une famille de collateurs, ces personnages qui avaient le droit de conférer des bénéfices. Une épouse sans aucun doute connue pour sa fidélité.

Car son gisant symbolise la fidélité !


Le sarcophage de Catherine de Breux à Avioth (Meuse) : les pieds sont en réalité… des chiens de la fidélité © Étienne Madranges

Lorsque l’on regarde le gisant depuis la tête, on voit deux pieds chaussés. Et lorsqu’on regarde à l’autre bout, on s’aperçoit que les deux pieds sont en réalité deux chiens. Le chien est le symbole classique de la fidélité et on le trouve souvent figurant, sur leur tombeau, aux côtés de reines, de princesses, de duchesses.

On le trouve également sur le célèbre Retable du Parlement, en réalité une Crucifixion, afin d’affirmer la fidélité du Parlement au roi, ou encore sur le « Monument à Malesherbes » érigé dans la salle des Pas perdus du Palais de la Cité à Paris, afin de bien montrer sous forme allégorique la fidélité au roi Louis XVI de Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes qui paya d’ailleurs de sa vie cette fidélité ayant amené ce grand magistrat à sortir de sa retraite afin de défendre le monarque et d’être, avec François Denis Tronchet et Raymond de Sèze, l’un de ses trois avocats.


La Crucifixion du Parlement (au Louvre depuis 1904) avec le chien de la fidélité du Parlement au roi © RMN/Louvre, et le monument à Malesherbes (XIXe siècle) dans la Salle des Pas Perdus du Palais de la Cité à Paris, avec le chien symbolisant la fidélité du grand magistrat au roi © Étienne Madranges

La Recevresse d’Avioth ? Octogonale, flamboyante et délicate, dressée vers le ciel meusien, elle inspira des poètes et suscita la curiosité des historiens. Elle fut lieu de justice seigneuriale puis, proche de l’église dédiée à Notre Dame « des causes désespérées », elle reçut en oblation linges, cires, torches, céréales. Elle accueillit des fidèles en attente de guérison ou en recherche d’apaisement. Elle persiste à enchanter les pèlerins, rassurés d’y trouver une paisible et rassurante source de grâce.

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 221

* concernant le baptême d’un enfant mort-né à Lagny-sur-Marne après un miracle opéré par Jeanne d’Arc, voir notre 72ème chronique dans le JSS n° 2 du 9 janvier 2019


Les 10 empreintes d’histoire précédentes :


• La Recevresse d'Avioth a-t-elle été un tribunal prévôtal ? ;

 Quel avocat portant le kilt, baronnet adepte du tartan, fut le père du romantisme écossais ?  ;

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• Pourquoi Jules Verne se trouve-t-il devant le tribunal correctionnel en 1896  ? ;

• Comment Shakespeare, le barde anglais aux 39 pièces, aborde-t-il le thème de la résurrection ? ;

• Il avait conçu les écluses du canal de Panama, pourquoi Gustave Eiffel est-il incarcéré à la Conciergerie en 1893 ? ;

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