Événement majeur pour les avocats et tous
les acteurs de la justice, la cérémonie solennelle de rentrée du barreau de
Paris se déroulait en fin de semaine dernière au théâtre du Châtelet.
L’occasion d’un état des lieux de la justice française par ceux qui en
constituent le cœur nucléaire.
« Vous,
les avocats, aux côtés des magistrats, êtes les gardiens de notre état de
droit. Vous êtes plus de 30 000 à Paris et, chacune et chacun d'entre
vous, êtes les gardiens de notre idéal de justice. Vous êtes des pièces
centrales de notre démocratie. »
Comme l’année dernière, la maire de Paris, Anne Hidalgo, ouvrait le bal de la
cérémonie solennelle de rentrée du barreau de Paris et de la Conférence, le 24
novembre 2023. L’occasion pour l’élue de réaffirmer son soutien au premier
barreau de France.
Le moment, aussi, de remercier les tuniques noires pour leur
importance dans le rayonnement de la capitale française : « vous
permettez à Paris, à travers le rayonnement de ce barreau parisien, d'être une
capitale internationale du droit. En témoigne encore, bien sûr, cette
conférence annuelle internationale des barreaux qui a choisi Paris fin
octobre. »
L’opportunité, enfin, de
souligner le rôle « vital »
de la justice, garante de la stabilité de l’état de droit, citant la
condamnation du président brésilien Lula en 2017 finalement annulée par la Cour
suprême quatre ans plus tard, ou les dérives du gouvernement polonais
condamnées par la Cour de justice de l'Union européenne en 2021.
Hervé Temime au cœur de l’éloge
Un an après le vibrant
hommage rendu par Charles Héran à l’avocat et ancien résistant Roland Weyl,
c’est à Jean-Baptiste Riolacci que revenait la tradition de prononcer l'éloge
funèbre d'une figure majeure du barreau parisien face au théâtre du Châtelet.
Le premier secrétaire de la Conférence des avocats au barreau de Paris a
d’abord salué la mémoire de ses illustres collèges décédés il y a
peu : « Pierre Haïk, Georges Kiejman, Hervé Temime,
Jean-Pierre Versini-Campinchi. Avant eux, Jean-Louis Pelletier et Olivier Cousi
; avant encore Jean-Denis Bredin, Jean-Yves Moyart. An an avant Gisèle Halimi,
et puis Bernard Lagarde, Étienne Tarride : tant d'autres avant eux
endeuillèrent un barreau marqué par leurs mots et l'écho qu'ils faisaient sur
les murs du monde. Jamais autant en si peu de temps. »
C’est ensuite
en direction du ténor disparu en début d’année à l’âge de 65 ans, que le
faisceau d’éloges s’est concentré. Lui, qui souhaitait ouvrir une antenne de
son cabinet à New York. Lui, qui projetait d’écrire une série traitant des
avocats. Lui, mentor jamais avare en conseils pour ses jeunes associés. « Ce
qui manque le plus, ce n'est pas le temps passé avec les disparus, mais le
futur qu'il aurait été possible d'avoir avec eux plutôt que les instants passés
et les moments à venir qui ne viendront jamais », insistait le jeune
pénaliste. Des au revoir à la hauteur de ce qu’Hervé Temime représentait pour
ce barreau.
Un devoir de mémoire
« Je persiste et je signe. Il y eut
en octobre 1961 un massacre commis par des forces de l'ordre sous les ordres de
Maurice Papon. » En une phrase et 27 mots ce le 20 mai 1998, Jean-Luc Einaudi amorçait dans une tribune publiée dans
Le Monde
l’une des grandes pages de la justice française au XXe siècle,
pourtant souvent reléguée au second plan. Un quart de siècle plus tard, le
jeune pénaliste Seydi Ba, deuxième secrétaire de la Conférence, s’est chargé de
revenir sur l’un de ces procès qui a fait l’Histoire.
Il raconte l’autre procès
Papon, celui qui l’opposa en 1999 à un historien qui n’avait que trop bien fait
son travail. « Bien qu'il s'agisse de diffamation, il ne
sera pas question pour le tribunal présidé par Jean-Yves Monfort d'examiner la
vérité ou non des propos de Jean-Luc Einaudi. Dès lors, la condamnation est
très probable », prévient Seydi Ba.
C’était
sans compter sur le témoignage inédit d’Einaudi à la barre. Pendant près de
deux heures, il relate les massacres de ce 17 octobre où plusieurs dizaines
voire centaines d’Algériens furent jetés à la Seine, et où 12 000 autres furent
arrêtés pour avoir manifesté à l’appel du FLN. Puis il conclut : « Monsieur
Papon, vous me méprisez, vous avez voulu me faire taire. Mais moi, monsieur
Papon, j'ai envie de vous dire merci. Merci, car en me faisant ce procès, vous
avez permis que l'histoire avance. »
Seydi Ba d’ajouter : « Les lois, les tribunaux, les
juges participent à garnir les pages du grand livre de l’histoire. »
Sans conteste. Car non seulement le tribunal annonça la relaxe de Jean-Luc
Einaudi mais il reconnut aussi la réalité de ce massacre exhumé par
l’historien. Ce 27 mars 1999, la justice écrivit l’histoire de France. Ce 24
novembre 2023, Seydi Ba soulignait ce passage, pour ne jamais plus l’oublier.
Récompenser
l’indispensable
Ce fut alors au tour du maître de
cérémonie de prendre la main, afin de procéder à la traditionnelle remise des
prix à tous les secrétaires de la Conférence de la promotion 2023.
Puis le 8e secrétaire de la Conférence Ambroise
Vienet-Legué a remis la médaille de la Conférence à Arnaud Leclercq, clerc
d'huissier audiencier au tribunal judiciaire de Paris. Celui qui s’échine à
trouver un interprète en urgence ou à faire apparaître quelques minutes
d’entretien entre un prévenu et son conseil. « Mais
dans ce travail de l'ombre, on ne peut que constater un sincère respect du
justiciable. Arnaud Leclerc je vous le dis, vous êtes finalement tout ce que la
justice française mérite. » En somme, un indispensable
rouage officiant dans l’ombre du
tribunal.

Arnaud Leclercq, Ambroise Vienet-Legué
D’avocats et de
terreurs
« Aussi loin
que je me souvienne, la justice ne m'est jamais apparue comme une calme pesée
d’âmes faite par des juges assis et sacrés. Son symbole, pour moi, n'a jamais
été la balance du marchand, mais la sagaie du guerrier. La vie, pour moi, c'est
chaque jour la rencontre de milliardaires et de mendiants, de saints et d'assassins, de militants et de flics, de juges et de gardiens de prison, de
journalistes et de poseurs de bombes. » Si Vincent Nioré,
vice-Bâtonnier du Barreau de Paris, reprend ici les mots de Jacques Vergès
pour introduire son propos, c’est peut-être parce que les mots de
« l'Avocat de la terreur » n’ont pas pris beaucoup de rides en quatre
décennies.
Déjà dans Beauté du Crime, il était
question d’épuration ethnique dans le Haut-Karabakh, région soudainement
revenue en tête de l’actualité à la fin de l’été, désormais reléguée derrière
un autre conflit qui n’en finit pas. « Alors, bien
sûr, seul le droit peut nous sortir de la violence. Mais attention aux
violences commises au nom du droit », alerte Vincent Nioré,
comme une transition avant de faire référence aux violences policières.
En
filigrane, l’idée que la justice reste fragile, peut-être même en danger si
l’on en croit de récentes tentatives de réformes « liberticides »
et les 34 avocats perquisitionnés à ce jour en 2023, un record sur les 15
dernières années.
À l’heure où le mandat du duo qu’il formait avec la
bâtonnière Julie Couturier arrive à son terme, Vincent Nioré se veut pourtant
optimiste. L’optimisme d’un homme qui croit avant tout en ceux qui font la
justice, pilier de l’état de droit.
Un mandat face à la violence
C’est vers cet homme
justement, avocat au barreau de Paris depuis 1983, que les « mots
d’amour » de la bâtonnière Julie Couturier se sont alors se diriger,
trois ans jour pour jour après leur élection. Quelques semaines avant leur
entrée en fonction, la tribune des 3 000 magistrats, « racontaient,
justement, que le droit et la justice étaient en train de perdre du terrain
faute de moyens et de volonté politique », assure la bâtonnière.
Une
poignée de jours plus tard, l’invasion de l’Ukraine entérinait le retour de la
guerre sur le sol européen et préfigurait la résurgence de tensions en France
et l’embrasement de conflits à l’échelle internationale, du Haut-Karabakh au
Proche-Orient, en passant par le Yémen, le Soudan et même
jusqu’en Iran suite à l’assassinat de la jeune Mahsa Amini. « La violence et ces douleurs auront scandé notre mandat. Et à
l'heure du bilan de l'inventaire, des questions me tournent sans cesse dans la
tête. Avons-nous fait ce qu'il fallait ? Avons-nous
fait ce qu'il était juste de faire ?
Avons-nous fait assez ? »
Aux
questionnements de Julie Couturier répondent ses nombreux déplacements de
Bruxelles à Varsovie, en passant par le Corridor de Latchine. Autant de voyages
qui ont renforcé la place du barreau de Paris en France et dans le monde.
Alors, à l’heure de passer le flambeau à Pierre Hoffman, la bâtonnière en
exercice se fend d’un dernier conseil à l’assistance. « Oui, bien sûr, nous avons fait cela, mais cela n'est rien. Non,
cela n'est rien si nous n'utilisons pas dans la période que nous traversons
cette tribune pour envoyer un message de résistance. Alors, soyons militants. » À l’heure où le monde
et les démocraties tanguent, les valeurs de la France s’avèrent tout sauf
anodines, et l’œuvre de ses avocats passés et présents y est pour beaucoup.
Un engagement inédit
Le mot de la fin, comme il est de coutume,
est revenu au garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, empêché d’assister au début de
la cérémonie par un déplacement à Dijon. Un propos conclusif,
dans lequel le ministre de la Justice a tenu à consacrer cet événement majeur.
« À mes yeux, le barreau de Paris, c'est plus de
32 000 avocats qui exercent chaque jour leur métier au service de la
justice du pays et des justiciables.
C’est le plus grand barreau de France. Il est donc assez
représentatif des enjeux auxquels les avocats sont confrontés. »
Le garde des Sceaux a ensuite développé ses desseins pour le ministère
qu’il occupe, à commencer par la loi d'orientation et de programmation,
promulguée depuis quelques jours ; par le recrutement de greffiers, de
magistrats ; par l'engagement vers la transformation numérique ; et par une nette hausse du
budget de son ministère. Éric Dupond-Moretti ambitionne de « mettre fin à 30 ans d'abandon humain, budgétaire et politique
pour la justice de notre pays. » Ainsi s'est achevée la cérémonie de rentrée du barreau de Paris.
Maël
Jeanthon