L’idée
avancée par le ministre de la Justice, qui reprend une récente proposition de
loi, pourrait être une aubaine à saisir, alors que les prisons françaises n’ont
jamais été autant surpeuplées. Elle ne financerait toutefois que 0,6 % du budget
des prisons, et ne concernait qu’une faible proportion de détenus, avec le
risque de créer, pour ces derniers, « des situations de très grande
pauvreté ».
« Les détenus doivent contribuer aux frais d’incarcération. »
C’est la volonté du ministre de la Justice, Gérald Darmanin, qui a annoncé, le
28 avril sur TF1, sa ferme intention de rétablir une contribution qui n’avait
plus lieu d’être depuis 2003. « Aujourd’hui,
le fonctionnement de nos prisons coûte 10 millions d’euros par jour, quasiment
quatre milliards d’euros par an », a justifié le garde des Sceaux,
dont les propos ont été quasi-unanimement critiqués. Y compris par son
prédécesseur, Éric Dupond-Moretti, qui a qualifié cette mesure d’« hérésie » et dénoncé une « course démagogique ».
Interrogée par le JSS, la
contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Dominique
Simonnot s’est quant à elle dite « stupéfaite ».
« On va faire payer qui ?,
interroge-t-elle. Des gens qui sont
entassés à trois dans 6 mètres carrés ? Parce qu’une cellule a beau faire 9
mètres carrés, si on enlève l’emplacement du lit, du coin toilettes, c’est
encore plus petit. Des détenus qui doivent faire leurs besoins devant tout le
monde, dormant sur un matelas par terre, bouffés par les punaises de lits,
entourés de vermines et de cafards qui apportent de graves maladies ? »
Alors que les prisons
françaises n’ont jamais été autant surpeuplées, faire payer les premiers
concernés pourrait sembler être une aubaine à saisir. Au 1er mars 2025, la
population carcérale battait un nouveau record, avec près de 83 000 détenus
pour 62.358 places, soit un taux d’occupation de 133 %, qui dépassait même les
200 % dans 22 établissements ou quartiers pénitentiaires.
D’où ce paradoxe, soulevé par
Dominique Simonnot : « La France est
régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses
conditions de détention indignes, et on va demander aux détenus de payer pour
être hébergés dans ces conditions indignes ? », dénonce-t-elle.
L’Observatoire international des prisons (OIP) s’est également fendu d’un communiqué très critique, à propos d’une idée « aussi simple que brutale et
consternante ».
Une
idée loin d’être nouvelle
Dans les faits, une
participation des détenus à leurs frais d’incarcération avait déjà été mise en
place au début du XIXe siècle. L’idée était la suivante, explique Melchior
Simioni, chercheur à l’université de Strasbourg et spécialiste de l’économie
carcérale : « Les détenus étant à
l’époque obligés de travailler, un pourcentage de leur salaire allait servir à
payer une partie du fonctionnement de la prison. »
Ce dernier pouvait varier de
30 à 70 %, en fonction notamment de leur statut pénal - plus le détenu était
condamné à une lourde peine, plus la proportion était importante - mais aussi
de leur comportement en détention. «
C’était donc à la fois un moyen pour l’administration de se rémunérer sur le
travail des détenus, mais aussi un moyen d’introduire une sorte de mécanisme
disciplinaire », décrit le sociologue. Par souci d’équité, ce taux de
prélèvement a ensuite été harmonisé à 30 % de la rémunération nette à partir de
1975, sous la forme d'une somme forfaitaire calculée selon un coût mensuel de
45,73 euros pour 30 jours. Et c’est ce qui a prévalu jusqu’en 2003.
Mais point important, soulève
Melchior Simioni : « Cela ne concernait
que les détenus qui travaillaient pour le secteur privé ». En étaient
donc exclus ceux qui officiaient pour le service général, soit à l’entretien et
au fonctionnement de la prison (restauration, lingerie…). Le chercheur note, en
outre, que « progressivement, et
surtout à partir de la seconde guerre mondiale, moins de détenus travaillaient.
En 1987, une réforme a par ailleurs aboli le caractère obligatoire du travail
en détention, la quantité de travail n’étant pas suffisante ».
Une tendance qui s’est
confirmée avec les années, puisque seulement 25 à 30 % des détenus ont
aujourd’hui un travail. « Donc le
système, si on le rétablissait, ne s’appliquerait qu’à un quart des détenus, ce
qui pose bien sûr des problèmes d’équité très importants », met en
avant Melchior Simioni. D’autant plus que ceux officiant pour le service
général, qui représente à peu près la moitié du travail proposé aux détenus, ne
seraient pas prélevés, précise le sociologue. Résultat : « Seulement 10 à 15 % des détenus seraient taxés ».
«
Ça créerait de très grandes situations de pauvreté »
Outre le caractère
inéquitable d’une telle mesure, le rapport ayant conduit à sa suppression en
2003 pointait également son aspect précarisant. « Le montant de la rémunération a une importance essentielle pour le
détenu : elle lui permet en effet de “cantiner”, c'est-à-dire d'améliorer ses
conditions de détention par l'achat d'aliments, de cigarettes ou par la
location d'un poste de télévision », pouvait-on notamment y lire.
Sans compter l’autre
prélèvement qui consistait à provisionner 20% de la rémunération, la moitié
étant destinée à l'indemnisation des parties civiles, l'autre au pécule de
libération récupéré par le détenu à sa sortie de prison. « Au total, les prélèvements bruts peuvent atteindre jusqu'à 50 %
de la rémunération », notait le rapport - un nombre croissant de juges
de l'application des peines incitant les détenus à verser, pour l'indemnisation
des parties civiles davantage que les 10% obligatoires, « afin de donner des gages de réinsertion et de bonne conduite ».
Aujourd’hui, le niveau de vie
médian en détention serait d’environ 200 euros par mois, selon Melchior
Simioni. Une somme dont les détenus ont en effet besoin, confirme-t-il : « Contrairement à ce qu’affirme Gérald
Darmanin, la prison n’est pas totalement gratuite pour les détenus ».
Ceux-ci font face à des coûts incompressibles, tels que la location d’un
réfrigérateur (7,50€ par mois selon l’OIP), d’une télévision (14,15€ par mois),
les communications téléphoniques, l’achat de produits d’hygiène ou de nourriture
pour compléter les deux repas médiocres qui leur sont proposés chaque jour. « Pour vivre à peu près dignement, il
faut 150 à 200 euros. Donc si on touche à ce revenu moyen, ça créerait de très
grandes situations de pauvreté, et de grandes inégalités entre détenus »,
prévient le sociologue.
Pour Melchior Simioni, « l’absurdité » d’une telle
proposition illustre la « méconnaissance
complète de la situation économique des prisonniers » de la part de
l’exécutif. Dans son communiqué, l’OIP lançait d’ailleurs : « Faut-il rappeler que plus de la moitié des
personnes détenues sont sans emploi avant leur entrée en prison, près d’un
tiers d’entre elles sont confrontées à une situation d’hébergement précaire et
8 % se déclarent sans domicile. C’est souvent cette précarité qui les a
précipités en prison ; une personne sans domicile fixe ayant huit fois plus de
risque d’être condamnée à de la prison ferme que tout à chacun. »
L’organisation rappelait également que le travail en prison n’est rémunéré
qu’entre 25 et 45 % du Smic.
Une proposition jugée « symbolique et démagogique »
Face aux critiques, le
ministère de la Justice a précisé que cette mesure exclurait les détenus en
détention provisoire ainsi que les « indigents »,
soit les détenus en situation de grande pauvreté. « Donc cela restreint d’autant l’assiette de prélèvement, puisqu’on
considère qu’il y a environ 20 % des détenus qui ont moins de 50 euros par mois
pour vivre », commente Melchior Simioni. En conséquence, cette
proposition ne s’appliquerait qu’à environ 35 000 détenus, soit « un nombre très réduit, pour des bénéfices
modiques ».
Alors que Gérald Darmanin a
annoncé que la somme récoltée servirait à l’amélioration des conditions de
travail des agents pénitentiaires, actuellement victimes d’attaques un peu
partout en France, Melchior Simioni a fait le calcul : « Aujourd’hui, on estime que la totalité de la rémunération des
détenus équivaut à 84 millions d’euros par an, donc si on en prélève 30 %, cela
fait environ 25 millions, ce qui correspond à seulement 0,6 % du budget de
l’administration pénitentiaire ». Ce qui lui permet de conclure : « Donc même si on introduit ce prélèvement,
cela ne financerait quasiment rien du budget des prisons. C’est en ce sens une
proposition symbolique, et complètement démagogique ».
Cela n’empêche pas certains
politiques de soutenir un tel projet. A l’image de l’ancien président des
Républicains et désormais allié du Rassemblement national, Éric Ciotti, qui
déposait en 2015 une proposition de loi en ce sens, sans pour
autant donner de précisions sur son application. Coïncidence ? Le 11 mars
dernier, le député Liot des Vosges, Christophe Naegelen, déposait également une proposition de loi visant « à instaurer une contribution forfaitaire
et obligatoire des détenus condamnés et incarcérés ».
Celle-ci prévoit que « le montant de cette contribution est fixé
par décret en Conseil d’État, et doit être adapté et échelonné aux situations
financières de chaque détenu condamné et incarcéré en établissement
pénitentiaire, pour atteindre 25 % maximum du coût moyen d’incarcération
journalier ». Mais également que « toute
personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui est
proposée par le chef d’établissement et le directeur du service pénitentiaire
d’insertion et de probation ». Une obligation difficilement tenable,
alors que de nombreux détenus sont sur liste d’attente pour obtenir un travail.
A défaut, cette somme
pourrait être prélevée « sur les
ressources financières ou le patrimoine de leurs descendants ou
ascendants », précise la proposition de loi. Une alternative qui
risque d’aggraver encore un peu plus la paupérisation des détenus, mais aussi
de leurs proches, déjà fortement impactés financièrement, comme l’ont montré
plusieurs rapports.
« La
prison participe ainsi à l’appauvrissement non seulement des personnes
incarcérées mais aussi de leur entourage »,
notait par exemple en 2017 l’Uframa, Fédération nationale des
associations d'accueil des familles de personnes détenues. Elle ajoutait que « L’incarcération aggrave les
difficultés financières de ces foyers, suite à la perte du salaire de la
personne détenue, au coût que représente les transports pour se rendre au
parloir, à l’envoi de subsides aux proches détenus ».
Sans compter les aides
financières versées par certains - un tiers des détenus recevant des mandats de
leurs proches, selon le Secours Catholique et Emmaüs. De quoi
conforter la réaction de l’OIP qui, dans l’attente de précisions sur
l’application de telles mesures, affirmait dans son communiqué que, « de toute évidence, ces nouveaux
percepteurs ont déjà mérité le prix de l’indignité ».
Rozenn
Le Carboulec