Alors que 280 emplois sont
menacés, les salariés de l'équipementier, sous-traitant pour Stellantis, en
grève depuis la mi-avril, expriment leur profonde colère et espèrent toujours
pouvoir faire valoir leurs revendications.
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Devant les portes de l'usine
désertée d’Aulnay-sous-Bois de Magnetto Automotive France, ce 15 mai, un peu
plus d’une vingtaine de grévistes se sont une nouvelle fois réunis pour
exprimer leur opposition au placement en liquidation judiciaire de l’équipementier
automobile. Leur objectif est clair : préserver leur dignité et défendre leurs
droits.
Mais le chemin est encore
long. Malgré les tensions, l’heure est à la remobilisation des troupes, et
c’est Kamel Brahmi, secrétaire général de l'Union Départementale (UD) CGT 93,
qui s’en charge : « On vous fait la guerre ! Donc je vous
encourage, mes camarades, à vous remobiliser. Ce n’est pas la fin du film, loin
de là ! Et derrière votre bataille, il se joue quelque chose d’autre, pour
les travailleurs des usines automobile de ce pays. Ça va payer ! Je ne
sais pas si on sauvera l’usine, mais on sauvera votre dignité ».
La CGT s’investit pleinement dans la défense des droits des
employés de l’usine MA France et appelle ces derniers à la remobilisation @ JSS
Spécialisée dans
l'emboutissage de pièces essentielles de carrosseries pour les petits
utilitaires Peugeot, Citroën ou encore Renault, MA France, sous-traitante du
géant de l'automobile Stellantis, fournit près de 80 % de ses pièces au groupe
franco-italo-américain. Le constructeur a pourtant décidé qu'il était temps de
partir, optant pour une usine située en Turquie, avec, à la clef, bien sûr, des
coûts de production moins importants.
Cette décision n’est pas sans
conséquence : elle entraîne la fermeture de l'équipementier situé en Seine-Saint-Denis,
mettant en péril l’avenir et les emplois de ses 280 salariés, sans compter la
centaine d'intérimaires, tous déjà en grève depuis le 16 avril. Un mouvement considérable
qui avait d'ailleurs provoqué des interruptions dans la chaîne de production
chez Stellantis, avec l'arrêt de trois usines, celle de Poissy, Hordain et
Luton en Angleterre, selon un porte-parole du groupe automobile majoritairement
détenu par Exor.
Un redressement judiciaire
qui se transforme en liquidation surprise
À l’origine, il n’était pas
question d’une liquidation judiciaire mais bien d’un redressement judiciaire.
Une transition brutale qui a été perçue comme une trahison par les employés de
MA France, qui ne s’attendaient pas à un tel revirement de situation.
Hamid Kaamouchi, manager chez
MA France depuis 21 ans, est convaincu que la liquidation était prévue depuis
longtemps. « Tout convergeait vers cette issue. Nous recevions des menaces
de dépôt de bilan depuis quelque temps », explique-t-il, affirmant que les
premières alertes sont survenues il y a environ six mois, alors que MA France
était en négociation avec Stellantis pour revoir le prix des pièces livrées.
De l’avis d’Anne-Sophie Alsif
toutefois, cheffe économiste au sein du cabinet d’expertise comptable, d’audit
et de conseil BDO, contactée ultérieurement par le JSS, la délocalisation n’était
pas nécessairement un plan prémédité de Stellantis. En cause : de nombreux
risques associés tels que l'impact sur l'image de l'entreprise, la perte de
savoir-faire et les compétences variables de la main-d'œuvre dans les pays
tiers. La réalité reste que la concurrence intense avec les voitures
électriques chinoises pousse les constructeurs à chercher des solutions
économiques. Une solution miracle pour éviter les délocalisations n'existe pas,
souligne Anne-Sophie Alsif, c'est pourquoi les grands constructeurs optent maintenant
pour une gamme de produits hétérogène : délocalisant la production des
véhicules milieu et bas de gamme tout en conservant la production des produits
haut de gamme en Europe.
Reste que chez MA France, faute
d'accord avec Stellantis sur le prix des pièces livrées, la situation s'est
détériorée. La sous-traitante avait pourtant annoncé à ses employés l’existence
d’un contrat censé garantir le maintien de l’entreprise jusqu’en 2026, mais «
tout s’est accéléré », déplore Hamid Kaamouchi, qui a gravi les échelons au
sein de l'entreprise depuis son arrivée en tant que mécanicien.
Ironiquement, la liquidation
judiciaire de MA France – qui découle donc seulement de la délocalisation des activités
de Stellantis – intervient malgré des performances financières florissantes en
2023. La société a en effet annoncé un chiffre d’affaires « record » de
189,5 milliards d’euros et un bénéfice net de 18,6 milliards d’euros,
enregistrant ainsi une hausse de 11 % sur un an. Pour Hamid Kaamouchi, « le
gros bénéfice se fait sur le dos de leurs fournisseurs, qu’ils essorent et
qu’ils maltraitent. S’ils sous-traitent, c’est pour faire encore plus de profit
», accuse-t-il.
« J’ai 50 ans, mais
qu’est-ce que je vais devenir ? »
Loin d’être passée inaperçue,
la situation a amené plusieurs ministres à s’exprimer dans les médias. Mais
alors que les salariés de l’entreprise attendaient des mesures fortes, le
ministre de l’Economie Bruno Le Maire, invité sur BFM TV, s’est borné à souligner que les grands
donneurs d'ordre comme Renault et Stellantis devaient veiller à leurs
sous-traitants durant cette période de transition rapide et compétitive,
notamment face à la Chine. Le ministre de l’Industrie Roland Lescure, de son
côté, a exprimé l'espoir que Stellantis soutienne ses salariés durant cette
période difficile. Un soutien que les employés semblent attendre encore.
En particulier, aucun plan
social n’a été mis en place pour les travailleurs, l’entreprise italienne n’ayant
plus de fonds. Pour contrer la grève, une proposition de reprise d’activité avait
été proposé aux salariés, incluant une enveloppe de départ qui n’était « pas
garantie car signée ni par Stellantis, ni réellement par la maison-mère qui
nous avait lâchés », précise Hamid Kaamouchi. Le salarié ajoute également
que « trop de clauses et de modalités intenables étaient présentes »,
notamment une clause qui interdisait une possible reprise de la grève alors que ce droit est
pleinement reconnu dans la Constitution.
Cette situation inquiète tout
particulièrement les employés les plus âgés, qui se soucient de leur avenir.
Salah, l’un d’entre eux, s’insurge : « Moi, j’ai 50
ans, mais qu’est-ce que je vais devenir maintenant ? À cet âge, c’est
beaucoup plus difficile de retrouver du travail ».
Délocaliser pour faire face à
la concurrence chinoise
Invité sur France 2 jeudi 16
mai, Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, a
nié en bloc les accusations selon lesquelles Stellantis serait derrière le
naufrage de MA France : « L’entreprise est propriété d’un groupe
italien qui a considéré qu’elle n’était pas viable. Les
fabrications [de MA France] seront réalisées dans des usines
de Stellantis en France. On ne délocalise pas du tout. » Une déclaration
qui ajoute de l’huile sur le feu, car pour Adel, militant CGT MA France et
employé depuis 2003, la suite pourrait être encore pire : « C’est
clair que les prochaines usines qui fermeront seront celle de Poissy et
celle d’Hordain. »
Malheureusement, Stellantis
n'est pas la seule entreprise à recourir à ce genre de pratique, confirme
Anne-Sophie Alsif. Selon l’économiste, « ce phénomène ancien, qui provient
notamment de l’élargissement de l’Union européenne, entraîne la délocalisation
des usines dans d’autres pays ». Elle note qu'il est devenu impossible de
rivaliser avec la Chine « en termes de coût de la main-d'œuvre pour les
produits milieu et bas de gamme », qu'elle identifie d’ailleurs comme « le
principal défi à surmonter » pour les entreprises européennes.
L'économiste Anne-Sophie Alsif argumente qu’une délocalisation « est loin d’être la seule résultante d’une quête
de profit » / @ JSS
Quant à une potentielle perte
du « savoir-faire français » due aux nombreuses délocalisations,
souvent dénoncée par les salariés de MA France, Anne-Sophie Alsif relativise :
« Effectivement, on perd du savoir-faire, mais étant donné que c’est du
savoir-faire qui crée moins de valeur ajoutée, ce n’est pas si grave. »
Elle rappelle aussi que Stellantis, comme toute entreprise, a pour objectif
principal de « faire du profit », en précisant que les pertes subies
durant la pandémie de COVID-19 doivent encore être compensées. Ainsi, un
chiffre d'affaires élevé ne garantit pas l'absence de difficultés financières,
bien au contraire. Un contexte particulier qui pourrait aussi expliquer pourquoi une
entreprise opterait pour une délocalisation.
En attendant, chaque jour, les
salariés de MA France se rassemblent devant leur « future ancienne »
usine dans une tentative désespérée de « sauver leur dignité ». Néanmoins,
une petite lueur d'espoir se dessine à l'horizon, car lors d'une réunion avec
le cabinet du ministre délégué à l'industrie, Roland Lescure, Kamel Brahmi a
annoncé, le 16 mai, la nomination prochaine d’un médiateur. Objectif de cette
médiation : « accompagner au mieux les salariés et de trouver une
solution constructive avec toutes les parties prenantes ». Cette démarche
pourrait ainsi marquer un premier pas vers la résolution des conflits et
potentiellement offrir aux salariés de MA France une issue plus honorable.
Romain
Tardino