Deux berlines de haute gamme ont été saisies dans le
cadre d'une affaire de travail dissimulé dans le secteur du BTP. Elles ont été
remises lundi à l’administration pénitentiaire pour sécuriser les transports de
détenus. Une première en France depuis la loi de juin 2024.
C’est
une première en France. Les clés de deux grosses berlines ont été remises à l'administration pénitentiaire, lundi 17 mars à Marseille, des mains de Nicolas
Bessone, procureur de la République de Marseille, et de Vanessa Perrée,
directrice générale de l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis
et confisqués (Agrasc).
Depuis
la loi du 24 juin 2024, il est en effet possible de réaffecter des biens saisis
et confisqués à l’administration pénitentiaire, dans le cadre d'affaires
criminelles ou financières. Avant
cette loi, la réaffectation de biens n’était possible qu’à destination de
certaines administrations comme les forces de l'ordre (police, gendarmerie).
Par «
mesure de sécurité », les deux berlines étaient dissimulées par des bâches.
« Il s’agit de voitures qui valent plusieurs dizaines de milliers d’euros,
de grandes marques et de forte cylindrée », a précisé Nicolas Bessone.
« Le
geste est symboliquement très fort, notamment au regard des relations de
proximité que nous entretenons avec l’administration pénitentiaire », a commenté le procureur de Marseille. « Cela veut
dire que nous sommes tous dans la même barque, motivés et engagés, pour lutter
contre le crime organisé. »
« C’est
également un message aux délinquants car une des politiques prioritaires du
parquet de Marseille est la lutte contre le blanchiment et la récupération des
avoirs criminels », a-t-il ajouté.
Les véhicules seront utilisés à des « fins
opérationnelles »
Toujours
par mesure de sécurité, aucune information précise n’a été donnée sur
l’utilisation ultérieure des deux berlines par l’administration pénitentiaire. « Nous
avons besoin de véhicules sécurisés et de forte cylindrée pour accomplir nos
missions », a toutefois déclaré Thierry Alves,
directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille.
« L'administration
pénitentiaire accomplit plus de 2 millions de kilomètres par an sur l’ensemble
du territoire français. Et au moment de recevoir ces deux véhicules, mon
objectif est de permettre à l’ensemble des agents de la pénitentiaire d’assurer
leurs missions dans les meilleures conditions », a-t-il continué. Les
berlines pourraient ainsi servir à sécuriser les transferts de détenus.
Le drame
d’Incarville, où deux agents de la pénitentiaire ont été tués en mai 2024, est «
dans toutes [les] têtes ». « Cela ne doit plus jamais se reproduire », a
insisté Thierry Alves. Les
véhicules ont été saisis par la section économique et financière du parquet de
Marseille, dans le cadre d’une affaire de travail dissimulé d’envergure
impliquant une personne du secteur du BTP.
Nicolas
Bessone a indiqué que cette fraude, liée au travail dissimulé, avait généré
plusieurs centaines de milliers d'euros. « Nous avons saisi une partie
du patrimoine de la personne en question à hauteur des gains issus de sa
fraude, y compris les deux véhicules. »
Toutefois,
la personne impliquée reste présumée innocente. « Les véhicules seront
rendus si elle est innocentée, avec une petite somme compensatoire pour la
décote », a expliqué le procureur. « C’est
pour cela que l’affectation de biens avant condamnation est toujours un pari
sur l’avenir », a-t-il précisé.
Néanmoins,
avant d’affecter des biens, le parquet et l'Agrasc prennent leurs dispositions
pour éviter de se retrouver dans ce genre de situations. « Nous travaillons
ensemble pour analyser les charges pesant sur la personne et la vraisemblance
d’une condamnation ou d’une confiscation définitive. »
La
question ne se pose pas après une condamnation puisque les biens ne sont plus
simplement saisis (mesure provisoire) mais confisqués, c’est-à-dire qu’ils
tombent définitivement dans le patrimoine de l’État.
« Faire des économies »
Outre le
message envoyé aux délinquants et criminels, la réaffectation de biens doit
permettre à l’État de faire des économies, a affirmé Vanessa Perrée, directrice
générale de l'Agrasc.
« L’idée
est de permettre l’utilisation de moyens puissants qui ne seraient pas
nécessairement achetables par l’État, tout en évitant par exemple qu’un
véhicule dépérisse pendant plusieurs années dans un garage pour finalement ne
valoir plus rien », a-t-elle déclaré.
D’autres
affections de biens à l’administration pénitentiaire sont en cours ailleurs en
France. « Notre agence travaille actuellement avec d’autres parquets et
juridictions pour continuer ce cercle vertueux et attribuer notamment des
véhicules à l’administration pénitentiaire. » C’est un
magistrat qui décide d’autoriser l’affectation d’un bien saisi ou confisqué,
après une remontée et une identification des besoins par l’Agrasc.
« Nous
regardons les demandes qui nous sont faites, mais aussi les besoins respectifs
des différents services (pénitentiaires, judiciaires, etc.) pour pouvoir ou non
leur affecter », a détaillé Vanessa
Perrée. « Nous avons par exemple des demandes pour obtenir des véhicules ou
des meubles. »
En 2024,
le montant des saisies en France a été de 1,3 milliard d’euros et celui des
confiscations de 245 millions. En 2023, il y a eu 1,4 milliard d'euros de
saisies et 175 millions d'euros de confiscations.
Le
procureur de Marseille a précisé que la juridiction marseillaise réalise une «
grosse partie du chiffre d’affaires de l’Agrasc ». « Nous avons confisqué
l’année dernière pour une valeur de plus de 40 millions d’euros, sans compter
les saisies », a-t-il précisé.
Le
tribunal de Marseille serait ainsi entièrement financé grâce aux confiscations.
« Si on ajoute le montant des confiscations aux 10 millions d’euros
d’amendes recouvrées par la DGFIP, on peut dire que le tribunal de Marseille
est totalement autofinancé, puisque nous coûtons 50 millions au budget de
l’État pour les charges de fonctionnement et de personnels », a déclaré
Nicolas Bessone.
Sylvain Labaune