POLITIQUE

America First, Europe Last ? Les Européens face à la réélection de Donald Trump

America First, Europe Last ? Les Européens face à la réélection de Donald Trump
Publié le 07/11/2024 à 18:29

Enorgueilli après une victoire sans appel, les mains libres après la bascule du Sénat dans le giron républicain, c’est un Donald Trump sans entrave qui va se déployer sur la scène internationale. Les rapports de force à prévoir seront d'ordres commercial, technologique, et évidemment militaire et géopolitique. Avec, à la clé, un grand nombre de tests pour la relation transatlantique et la cohésion européenne. Comment imaginer la politique étrangère de la deuxième ère Trump ? L’Europe peut-elle s’affirmer et imposer un rapport de force ? Éléments de réponse avec les politistes auditionnées le jour des résultats de l’élection américaine à la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Au sommet de la Communauté politique européenne réunissant ce jeudi à Budapest une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement, il est forcément question de la nouvelle donne américaine. Le retour aux affaires de Donald Trump à partir du 20 janvier prochain, fait entrer le monde dans une nouvelle ère. En Europe, en Asie, au Proche-Orient, le deuxième mandat du républicain à la Maison Blanche aura des répercussions directes et fortes, sur la paix comme sur la guerre. Et le come-back du très disruptif homme d’affaires devrait une nouvelle fois placer les Européens devant leurs responsabilités stratégiques.

Premier test : l’Ukraine, menacée par un possible désengagement américain, alors que Washington est le principal appui militaire, humanitaire et économique de Kiev. Depuis février 2022, Washington a versé 59,5 milliards de dollars à l’Ukraine. Donald Trump ne cesse de répéter que ce conflit coûte trop cher aux Américains. Au cours de sa campagne, le futur locataire de la Maison Blanche s’est vanté de pouvoir le régler « en 24 heures ». En sera-t-il capable?

Un deal pour l’Ukraine avec ou sans les Européens ?

« Ce qu’on peut dire en tout cas, c’est que Trump va très vite s’atteler à une résolution du conflit. Il veut la fin de la guerre en Ukraine. La question pour les Européens est de savoir comment et avec quels moyens », estime Alexandra de Hoop Scheffer, présidente du German Marshall Fund, un think tank qui promeut la coopération Etats-Unis-UE. « Les Européens seront-ils intégrés dans l'équation que les cercles politiques américains préparent au plus haut niveau depuis un certain temps déjà ? ».

Quel deal sur le bureau ovale de Trump ? Il est notamment question d’un plan pour la paix élaboré par le colistier du milliardaire J.D. Vance, rappelle Célia Belin, directrice du bureau parisien de l’European Council on Foreign Relations (ECFR). Ce deal consisterait à reconnaître les gains territoriaux de la Russie, en Crimée et dans le Donbass notamment ; et d’autre part, à garantir la neutralité de l'Ukraine. Un principe au cœur des pourparlers entre Moscou et Kiev, qui impliquerait notamment que l’Ukraine n’adhère pas à l’OTAN.

« Deux points sur lesquels les Européens ne sont pas en accord et avec lesquels il faudra vivre, s’ils sont imposés à l’Ukraine », juge la politiste, qui rappelle aussi que l’existence même de l’OTAN, bouclier sécuritaire des Européens, est menacé. Parmi les scénarios extrêmes mais plausibles, Donald Trump pourrait envisager de « réduire la participation américaine à l'OTAN à une simple dissuasion nucléaire, retirer toutes les troupes d'Europe et les repositionner en Asie ».

L’étau Chine-Etats-Unis

L’avenir de la relation transatlantique se joue aussi sur un très gros dossier : celui de l’économie, dans un contexte de guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. Inflation Reduction Act, CHIPS Act, Infrastructure Act,... Ces dernières années, l’administration américaine s’est dotée d’un arsenal législatif très conséquent pour investir massivement dans la tech, les infrastructures et l’industrie afin de soutenir son économie face à la Chine.

Pour Alexandra de Hoop Scheffer, Donald Trump incarne une continuité dans la politique américaine de la dernière décennie : celle du « America First » (« l’Amérique d’abord ») et du « China First » (« La Chine d’abord »). L’Europe ? Éventuellement ! Des tendances qui vont être accentuées sous l’ère Trump, estime l’experte. « L'Europe est de plus en plus perçue par Washington comme une variable d'ajustement sur ces deux premiers volets, l'Amérique d'abord et la Chine d'abord. »

Dans ce duel de géants économiques, « l’Europe doit se décider », estime Alexandra de Hoop Scheffer. « Est-ce que les Européens veulent continuer à être des spectateurs, voire parfois un dommage collatéral de cette compétition entre les États-Unis et la Chine ? Nos entreprises subissent tous les jours les conséquences de cette compétition. Elles sont en train de relocaliser en grande partie leur site de production et leur chaîne d'approvisionnement aux États-Unis, devenus très attractifs, puisqu'elles sont de plus en plus confrontées au choix Chine-États-Unis. L’enjeu pour les Européens est de s’armer et de s'affirmer pour affronter cette réalité géopolitique ».

Serrer les rangs

D’autant plus que l'Amérique va continuer à déployer son outil de pression privilégié : les taxes douanières. Jusqu’à 60 % pour ceux venant de Chine voire 200 % pour certains types de biens, mais aussi entre 10 et 20 % pour l’ensemble des produits entrant aux États-Unis, notamment européens. « Tout cela présage d'un nationalisme américain très fort qui s'imposera à l'Europe. Il faut que l’UE propose une réponse unie, collective, évite absolument de plonger dans le transactionnalisme ou la bilatéralisation des échanges qui ne font que l'affaiblir et trouve au contraire le moyen d'imposer un certain nombre de lignes rouges à ce président américain », assène la politiste Célia Belin.

Même son de cloche chez la présidente du German Marshall Fund. Avec une note d’optimisme : si l’experte reconnaît que les Européens « sont de moins en moins pris en compte dans le calcul politique américain », elle voit aussi une « vraie opportunité » dans l’élection américaine : une « synchronisation entre une nouvelle administration américaine et nouvelle Commission européenne pour essayer de façonner un agenda commun », la nouvelle équipe exécutive européenne étant actuellement en cours de formation. Une coopération n’est pas impossible, même avec une administration Trump. Lors du premier mandat de l'homme d’affaires, il est apparu tout à fait possible d’avancer sur un certain nombre de dossiers.

Mais l’experte prévient : « Il faut que l'impulsion, que les initiatives viennent d'ici, viennent de la France, viennent de l'Europe parce qu'elles ne viendront pas de Washington !” Il ne faut pas désespérer de l'Union européenne, ajoute-t-elle : « En 2016 et en 2022, les Européens sont parvenus à mettre en route un train de sanctions contre la Russie et à développer des mécanismes inédits d’aide militaire à l’Ukraine. »

Vers une négation de la question palestinienne ?

Reste une question internationale brûlante : Gaza. Sur le conflit israëlo-palestinien, il faut s’attendre à un soutien sans la moindre nuance à Israël, juge la politiste Célia Belin qui rappelle que le premier mandat de Donald Trump a été marqué par une politique très nette en faveur d’Israël. Sous l’ère Trump I, les États-Unis ont transféré leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, reconnu la souveraineté israélienne sur le Golan, et signé les accords d'Abraham qui prévoient la normalisation des rapports diplomatiques entre Israël et les Émirats arabes unis d'une part, et Israël et le Bahreïn d'autre part.

« Donald Trump rêve de poursuivre les accords d'Abraham, mais pour cela, il faut pouvoir trouver une forme d'issue à la guerre à Gaza, pas seulement un apaisement », estime la cadre de l’European Council on Foreign Relations (ECFR). Parmi les proches conseillers de Donald Trump, l’avenir de Gaza s’envisage sous un jour particulièrement sombre : « Si expulsion de population, il doit y avoir, alors il y aura. Les sphères d’influence du trumpisme envisagent de développer Gaza avec de l'argent, sans droits politiques spécifiques pour les Palestiniens, voire en niant d’une certaine façon la question palestinienne. »

Delphine Schiltz

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