Enorgueilli après une victoire sans appel, les
mains libres après la bascule du Sénat dans le giron républicain, c’est un
Donald Trump sans entrave qui va se déployer sur la scène internationale. Les
rapports de force à prévoir seront d'ordres commercial, technologique, et
évidemment militaire et géopolitique. Avec, à la clé, un grand nombre de tests
pour la relation transatlantique et la cohésion européenne. Comment imaginer la
politique étrangère de la deuxième ère Trump ? L’Europe peut-elle s’affirmer et
imposer un rapport de force ? Éléments de réponse avec les politistes
auditionnées le jour des résultats de l’élection américaine à la Commission des
affaires étrangères de l’Assemblée nationale.
Au
sommet de la Communauté politique européenne réunissant ce jeudi à Budapest une
cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement, il est forcément question de
la nouvelle donne américaine. Le retour aux affaires de Donald Trump à partir
du 20 janvier prochain, fait entrer le monde dans une nouvelle ère. En Europe,
en Asie, au Proche-Orient, le deuxième mandat du républicain à la Maison
Blanche aura des répercussions directes et fortes, sur la paix comme sur la
guerre. Et le come-back du très disruptif homme d’affaires devrait une nouvelle
fois placer les Européens devant leurs responsabilités stratégiques.
Premier
test : l’Ukraine, menacée par un possible désengagement américain, alors que
Washington est le principal appui militaire, humanitaire et économique de Kiev.
Depuis février 2022, Washington a versé 59,5 milliards de dollars à l’Ukraine.
Donald Trump ne cesse de répéter que ce conflit coûte trop cher aux Américains.
Au cours de sa campagne, le futur locataire de la Maison Blanche s’est vanté de
pouvoir le régler « en 24 heures ».
En sera-t-il capable?
Un deal pour l’Ukraine avec ou sans les
Européens ?
« Ce qu’on peut dire en tout cas, c’est que
Trump va très vite s’atteler à une résolution du conflit. Il veut la fin de la
guerre en Ukraine. La question pour les Européens est de savoir comment et avec
quels moyens », estime Alexandra de Hoop Scheffer, présidente du
German Marshall Fund, un think tank qui promeut la coopération Etats-Unis-UE. « Les Européens seront-ils intégrés dans
l'équation que les cercles politiques américains préparent au plus haut niveau
depuis un certain temps déjà ? ».
Quel
deal sur le bureau ovale de Trump ? Il est notamment question d’un plan pour la
paix élaboré par le colistier du milliardaire J.D. Vance, rappelle Célia Belin,
directrice du bureau parisien de l’European Council on Foreign Relations
(ECFR). Ce deal consisterait à reconnaître les gains territoriaux de la Russie,
en Crimée et dans le Donbass notamment ; et d’autre part, à garantir la
neutralité de l'Ukraine. Un principe au cœur des pourparlers entre Moscou et
Kiev, qui impliquerait notamment que l’Ukraine n’adhère pas à l’OTAN.
« Deux points sur lesquels les Européens ne
sont pas en accord et avec lesquels il faudra vivre, s’ils sont imposés à
l’Ukraine », juge la politiste, qui rappelle aussi que l’existence
même de l’OTAN, bouclier sécuritaire des Européens, est menacé. Parmi les
scénarios extrêmes mais plausibles, Donald Trump pourrait envisager de « réduire la participation américaine à l'OTAN
à une simple dissuasion nucléaire, retirer toutes les troupes d'Europe et les
repositionner en Asie ».
L’étau Chine-Etats-Unis
L’avenir
de la relation transatlantique se joue aussi sur un très gros dossier : celui
de l’économie, dans un contexte de guerre commerciale entre la Chine et les
Etats-Unis. Inflation Reduction Act, CHIPS Act, Infrastructure Act,... Ces
dernières années, l’administration américaine s’est dotée d’un arsenal
législatif très conséquent pour investir massivement dans la tech, les
infrastructures et l’industrie afin de soutenir son économie face à la Chine.
Pour
Alexandra de Hoop Scheffer, Donald Trump incarne une continuité dans la
politique américaine de la dernière décennie : celle du « America First »
(« l’Amérique d’abord ») et du « China First » (« La
Chine d’abord »). L’Europe ? Éventuellement ! Des tendances qui vont être
accentuées sous l’ère Trump, estime l’experte. « L'Europe est de plus en plus perçue par Washington comme une variable
d'ajustement sur ces deux premiers volets, l'Amérique d'abord et la Chine
d'abord. »
Dans
ce duel de géants économiques, « l’Europe
doit se décider », estime Alexandra de Hoop Scheffer. « Est-ce que les Européens veulent continuer à
être des spectateurs, voire parfois un dommage collatéral de cette compétition
entre les États-Unis et la Chine ? Nos entreprises subissent tous les jours les
conséquences de cette compétition. Elles sont en train de relocaliser en grande
partie leur site de production et leur chaîne d'approvisionnement aux
États-Unis, devenus très attractifs, puisqu'elles sont de plus en plus
confrontées au choix Chine-États-Unis. L’enjeu pour les Européens est de
s’armer et de s'affirmer pour affronter cette réalité géopolitique ».
Serrer les rangs
D’autant
plus que l'Amérique va continuer à déployer son outil de pression privilégié :
les taxes douanières. Jusqu’à 60 % pour ceux venant de Chine voire 200 % pour
certains types de biens, mais aussi entre 10 et 20 % pour l’ensemble des
produits entrant aux États-Unis, notamment européens. « Tout cela présage d'un nationalisme
américain très fort qui s'imposera à l'Europe. Il faut que l’UE propose une
réponse unie, collective, évite absolument de plonger dans le
transactionnalisme ou la bilatéralisation des échanges qui ne font que
l'affaiblir et trouve au contraire le moyen d'imposer un certain nombre de
lignes rouges à ce président américain », assène la politiste Célia
Belin.
Même
son de cloche chez la présidente du German Marshall Fund. Avec une note
d’optimisme : si l’experte reconnaît que les Européens « sont de moins en moins pris en compte dans
le calcul politique américain », elle voit aussi une « vraie opportunité » dans l’élection
américaine : une « synchronisation
entre une nouvelle administration américaine et nouvelle Commission européenne
pour essayer de façonner un agenda commun », la nouvelle équipe
exécutive européenne étant actuellement en cours de formation. Une coopération
n’est pas impossible, même avec une administration Trump. Lors du premier
mandat de l'homme d’affaires, il est apparu tout à fait possible d’avancer sur
un certain nombre de dossiers.
Mais
l’experte prévient : « Il faut que
l'impulsion, que les initiatives viennent d'ici, viennent de la France,
viennent de l'Europe parce qu'elles ne viendront pas de Washington !” Il ne
faut pas désespérer de l'Union européenne, ajoute-t-elle : « En 2016 et en 2022, les Européens sont
parvenus à mettre en route un train de sanctions contre la Russie et à
développer des mécanismes inédits d’aide militaire à l’Ukraine. »
Vers une négation de la question palestinienne
?
Reste
une question internationale brûlante : Gaza. Sur le conflit
israëlo-palestinien, il faut s’attendre à un soutien sans la moindre nuance à
Israël, juge la politiste Célia Belin qui rappelle que le premier mandat de
Donald Trump a été marqué par une politique très nette en faveur d’Israël. Sous
l’ère Trump I, les États-Unis ont transféré leur ambassade de Tel-Aviv à
Jérusalem, reconnu la souveraineté israélienne sur le Golan, et signé les
accords d'Abraham qui prévoient la normalisation des rapports diplomatiques
entre Israël et les Émirats arabes unis d'une part, et Israël et le Bahreïn
d'autre part.
« Donald Trump rêve de poursuivre les accords
d'Abraham, mais pour cela, il faut pouvoir trouver une forme d'issue à la
guerre à Gaza, pas seulement un apaisement », estime la cadre de
l’European Council on Foreign Relations (ECFR). Parmi les proches conseillers
de Donald Trump, l’avenir de Gaza s’envisage sous un jour particulièrement
sombre : « Si expulsion de
population, il doit y avoir, alors il y aura. Les sphères d’influence du
trumpisme envisagent de développer Gaza avec de l'argent, sans droits
politiques spécifiques pour les Palestiniens, voire en niant d’une certaine
façon la question palestinienne. »
Delphine
Schiltz