DROIT

Avocats : la collaboration libérale a du plomb dans l’aile

Avocats : la collaboration libérale a du plomb dans l’aile
Publié le 29/11/2023 à 15:54

A l’origine de cette crise, des désillusions fréquentes et des conditions de travail de moins en moins tolérées. La Conférence des bâtonniers avait missionné fin 2022 un groupe de travail destiné à sonder la profession et à formuler des pistes d’amélioration : son rapport, présenté début octobre, soumet 28 préconisations afin de tendre vers une plus grande attractivité et une meilleure répartition géographique des nouveaux avocats.

Après les déserts médicaux et les déserts judicaires, la France se voit maintenant confrontée à un « désert de la collaboration » chez les avocats. C’est en effet un constat «  de crise » qui émane du rapport « Réflexion sur le contrat de collaboration et l’implantation géographique des avocats », commandé par la Conférence des bâtonniers fin 2022 et présenté lors de son assemblée générale du 6 octobre dernier.

« Il est de plus en plus difficile de recruter des collaborateurs et la collaboration attire de moins en moins les avocats », et ce aussi bien dans les petits cabinets et barreaux que, désormais, dans les plus gros cabinets et barreaux de France - bien que ces derniers rencontrent des difficultés moindres pour recruter -, peut-on ainsi lire dans les premières lignes de ce document.

Instructif, celui-ci est plus précisément le fruit de travaux menés par un groupe de travail composé de membres du Bureau de la Conférence, de membres du Conseil national des barreaux, des présidents de Conférences régionales ainsi que de bâtonniers ou anciens bâtonniers, lesquels ont eu pour mission de recueillir les observations de la profession (avocats collaborateurs, collaborants, bâtonniers, présidents d’écoles, et principales organisations professionnelles impliquées) sur le contrat de collaboration dans l’objectif d’améliorer son attractivité.

Une difficile conciliation entre vie privée et professionnelle

Cette perte d’attrait pour le contrat de collaboration s’expliquerait par une pluralité de causes générales (au moins 25 !) aussi bien sociétales que directement liées à la profession.

Première raison identifiée par le rapport : un décalage qui s’accentuerait progressivement entre l’exercice jugé difficile du métier d’avocat et sa perception emplie de fantasmes dans l’imaginaire collectif, le tout créant « une source de désillusion », y est-il expliqué. De plus, les ressentis négatifs des avocats collaborateurs sur leurs conditions d’exercice, souvent relayés en interne, par le bouche-à-oreille ou par les réseaux sociaux, ne jouent pas en faveur du contrat de collaboration, observe le groupe de travail.

Autre cause notable : « la construction d’une carrière professionnelle n’est plus conçue dans notre société comme une valorisation sociale », rapporte le groupe de travail. La priorité semble désormais aller à la quête de sens au travail, la profession en étant, aux yeux de certains, de plus en plus dépourvue, pour devenir aujourd’hui beaucoup « trop technique ou marchande ». Outre le sens, l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle est également recherché par de nombreux avocats, comme dans bien d’autres domaines. Ce critère était d’ailleurs arrivé en tête des réponses (72 % des suffrages) chez les juristes en entreprise dans une enquête du 27 décembre 2022 cherchant à savoir pourquoi ces derniers sont fidèles à leur entreprise.

Par ailleurs, sur un tout autre terrain, l’aspect pécuniaire a également pour effet de repousser les potentiels collaborateurs qui estiment la rémunération trop faible. Selon eux, la rémunération est même le premier des quatre critères primordiaux dans le choix d’une collaboration, suivi par l’organisation du travail, les spécificités pratiquées et la capacité à se former et à apprendre liste le rapport.

Toujours sur la question de la rémunération, les travaux mettent en évidence que les avocats se concentrent davantage dans les métropoles, où ils traitent des contentieux « à valeur ajoutée » et rémunérateurs, à la différence des contentieux de proximité peu rémunérateurs des zones rurales. Ce qui explique les écarts d’effectifs d’une ville à l’autre.

Une autre problématique de recrutement tient aussi à la matière ou à l’activité de l’avocat collaborateur. Le rapport pointe notamment que le manque de collaborateurs concerne surtout les domaines immobilier, fiscal et social, matières « totalement oubliées » dans la formation dispensée dans les écoles, selon les interrogés.

En outre, la collaboration n’est plus un passage obligatoire, constate le groupe de travail. En effet, environ 25 % d’élèves sortant de l’école n’intègrent pas la profession, la CAPA permettant d’intégrer une entreprise. De plus, l’installation ne dépend plus de la collaboration, qui avait auparavant une fonction de tremplin.

Des spécificités locales qui expliquent en partie la pénurie

Et si tous les barreaux sont confrontés à des difficultés à recruter des collaborateurs, des spécificités locales peuvent également influer sur cette problématique.

À Marseille, où l’on dénombre près de 2 500 avocats, le rapport indique que 25 % des collaborations se passent mal, « dont 10 % très mal ». La ville est également confrontée à une pénurie d’avocats dans certains domaines, en particulier ceux ayant entre trois et six ans d’exercice pointe le rapport, d’autant qu’aucun avocat ne vit que de la permanence dans la cité phocéenne, y est-il indiqué.

C’est pourtant le constat contraire qui est dressé en Haute-Saône, où « les jeunes vivent très bien avec les permanences ». Toutefois, en une petite dizaine d’années, le barreau a perdu de nombreux collaborateurs. Une pénurie qui, selon le rapport, s’expliquerait par le manque d’attractivité de la région - bien qu’il serait, selon les rapporteurs, plus simple de se constituer une clientèle dans une petite ville comme Vesoul (15 000 habitants) plutôt qu’à Besançon (120 000) -, mais également au fait que les avocats partis en retraite n’ont pas trouvé de confrères ou consœurs à qui céder leur clientèle.

Quant au Val-d’Oise, le problème de recrutement de collaborateurs est notamment lié à la charge de travail, puisque 59 % des collaborateurs travaillent entre 35 et 50 heures par semaine. De plus, 14,3 % ne disposent d’aucune couverture : mutuelle, prévoyance ou retraite complémentaire, est-il listé.

Enfin, à Roanne, les collaborateurs acceptent un contrat de collaboration à condition que l’équilibre vie privée et vie professionnelle soit respecté, ce qui s’explique notamment par le fait que la région attire davantage des personnes avec un rythme de vie de famille plutôt que des profils plus jeunes et célibataires « préférant la vie à la grande ville ».

Promouvoir la collaboration libérale dès l’école

Pour pallier ces difficultés à recruter des collaborateurs au sein des petits comme des plus grands cabinets et barreaux, le groupe de travail missionné par la Conférence des bâtonniers a formulé 28 préconisations destinées à rendre à la collaboration ses lettres de noblesse.

Dans un premier temps, pour le groupe de travail, l’attractivité de la collaboration doit s’effectuer dès les bancs de l’école, comme en témoignent leurs premières recommandations : il faut « promouvoir le lien entre le monde éducatif et le monde professionnel (entre l’université, les écoles d’avocats, les barreaux et les cabinets d’avocats) pour rendre la collaboration libérale/salariée attractive », mais aussi poursuivre la promotion de la professionnalisation des élèves avocats en développant l’alternance (préconisation 3). Le groupe de travail suggère également que soient multipliés les stages étudiants « dans le cadre d’une convention signée entre l’université et un avocat afin de découvrir le travail en cabinet » et ainsi éviter toute désillusion.

La formation est également très fortement recommandée, aussi bien pour les étudiants que pour les avocats, « beaucoup de personnes auditées s’[étant] plaintes du manque de formation ». À ce titre, il est préconisé de « mieux former les jeunes avocats au marché de demain » (préconisation 4), de « renforcer dans les écoles les formations professionnalisantes notamment sur la gestion de cabinet et sur la facturation : créer une formation qualifiante en “gestion approfondie de cabinet” susceptible de satisfaire une opérabilité immédiate du collaborateur » (8), mais aussi de mettre en place une formation pratique renouvelable l’année suivante pour les avocats dès leur arrivée au barreau, « sur les différentes obligations professionnelles » (9).

Il est également suggéré d’« instituer une période durant laquelle le jeune avocat n’ayant pas de collaboration bénéficierait obligatoirement de l’accompagnement d’un confrère plus expérimenté lui permettant de compléter sa formation pratique dans le cadre d’une convention ad hoc supervisée par l’Ordre » (11).

Donner plus de souplesse au collaborateur

Pour améliorer l’attractivité de la collaboration dans les petites comme les plus grandes villes, les conditions de travail et la visibilité des barreaux doivent nécessairement être revues, indique également le rapport.

Le rapport préconise notamment de « prendre en considération la préservation de l’autonomie des jeunes confrères qui souhaitent gérer leur temps de travail et leur organisation professionnelle (flexibilité, mobilité, agilité) » (17), ainsi que leur bien-être, en leur permettant d’« aménager [leurs] conditions de travail (télétravail, coworking, NFOT émergentes, méthodes ROWE…) » (18). Il est également proposé de garantir le droit à la déconnexion, de faire de la collaboration à temps partiel un contrat gagnant/gagnant à l’heure où le collaborateur est « arithmétiquement moins » payé, et d’inciter les collaborateurs à fixer une rémunération minimale.

Et parce que « certains collaborateurs ont le sentiment de ne pas être entendus dans leurs demande », le groupe de travail préconise de les faire bénéficier d’un entretien au minimum annuel avec le collaborant « pour pouvoir discuter de la collaboration et prévenir éventuellement les difficultés rencontrées » (14). Un moyen, selon le groupe de travail, « de faire un point des attentes réciproques », notamment.

Et si la sixième préconisation indique qu’il faut « vanter les mérites et les qualités des barreaux pour mieux attirer les futurs collaborateurs à y venir : quelle que soit la taille du barreau, tous disposant d’un atout que les futurs jeunes avocats peuvent, malgré eux, ignorer », il faut aussi faciliter les recrutements. Pour cela, le groupe de travail recommande de « créer un outil numérique (plateforme) centralisant les offres et les demandes de collaboration, permettant d’optimiser les sources et les besoins de recrutement » (7) et de « favoriser la visibilité et l’existence numérique du cabinet du collaborant comme celle du collaborateur à l’instar de celles des Ordres », « le plan de carrière pour un élève avocat [étant], à défaut de visibilité sans doute aussi, parfois méconnu » précise le rapport.

Autant de recommandations pour faciliter et compléter le parcours des élèves et redonner l’envie aux avocats de se tourner vers le contrat de collaboration libérale. Contrat qui, selon le groupe chargé de cette mission, « constitue toujours une opportunité non seulement pour les collaborateurs eux-mêmes, comme pour les collaborants, mais aussi un gage de qualité pour la formation des futures générations d’avocats permettant d’acquérir ce que l’on appelle “l’expérience” ».

Allison Vaslin

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