A l’origine de cette crise, des
désillusions fréquentes et des conditions de travail de moins en moins tolérées.
La Conférence des bâtonniers avait missionné fin 2022 un groupe de travail destiné
à sonder la profession et à formuler des pistes d’amélioration : son
rapport, présenté début octobre, soumet 28 préconisations afin de tendre vers une
plus grande attractivité et une meilleure répartition géographique des nouveaux
avocats.
Après les déserts médicaux et
les déserts judicaires, la France se voit maintenant confrontée à un « désert
de la collaboration » chez les avocats. C’est en effet un constat «
de crise » qui émane du rapport « Réflexion sur le
contrat de collaboration et l’implantation géographique des avocats »,
commandé par la Conférence des bâtonniers fin 2022 et présenté lors de son assemblée
générale du 6 octobre dernier.
« Il est de plus en plus
difficile de recruter des collaborateurs et la collaboration attire de moins en
moins les avocats », et ce aussi bien dans les petits cabinets et barreaux
que, désormais, dans les plus gros cabinets et barreaux de France - bien que
ces derniers rencontrent des difficultés moindres pour recruter -, peut-on
ainsi lire dans les premières lignes de ce document.
Instructif, celui-ci est plus
précisément le fruit de travaux menés par un groupe de travail composé de
membres du Bureau de la Conférence, de membres du Conseil national des
barreaux, des présidents de Conférences régionales ainsi que de bâtonniers ou
anciens bâtonniers, lesquels ont eu pour mission de recueillir les observations
de la profession (avocats collaborateurs, collaborants, bâtonniers, présidents
d’écoles, et principales organisations professionnelles impliquées) sur le
contrat de collaboration dans l’objectif d’améliorer son attractivité.
Une difficile conciliation
entre vie privée et professionnelle
Cette perte d’attrait pour le
contrat de collaboration s’expliquerait par une pluralité de causes générales (au
moins 25 !) aussi bien sociétales que directement liées à la profession.
Première raison identifiée
par le rapport : un décalage qui s’accentuerait progressivement entre
l’exercice jugé difficile du métier d’avocat et sa perception emplie de
fantasmes dans l’imaginaire collectif, le tout créant « une source de
désillusion », y est-il expliqué. De plus, les ressentis négatifs des
avocats collaborateurs sur leurs conditions d’exercice, souvent relayés en
interne, par le bouche-à-oreille ou par les réseaux sociaux, ne jouent pas en
faveur du contrat de collaboration, observe le groupe de travail.
Autre cause notable : « la
construction d’une carrière professionnelle n’est plus conçue dans notre
société comme une valorisation sociale », rapporte le groupe de
travail. La priorité semble désormais aller à la quête de sens au travail, la
profession en étant, aux yeux de certains, de plus en plus dépourvue, pour
devenir aujourd’hui beaucoup « trop technique ou marchande ».
Outre le sens, l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle est
également recherché par de nombreux avocats, comme dans bien d’autres domaines.
Ce critère était d’ailleurs arrivé en tête des réponses (72 % des suffrages) chez
les juristes en entreprise dans une enquête du 27 décembre 2022 cherchant à
savoir pourquoi ces derniers sont fidèles à leur entreprise.
Par ailleurs, sur un tout
autre terrain, l’aspect pécuniaire a également pour effet de repousser les
potentiels collaborateurs qui estiment la rémunération trop faible. Selon eux, la
rémunération est même le premier des quatre critères primordiaux dans le choix
d’une collaboration, suivi par l’organisation du travail, les spécificités
pratiquées et la capacité à se former et à apprendre liste le rapport.
Toujours sur la question de
la rémunération, les travaux mettent en évidence que les avocats se concentrent
davantage dans les métropoles, où ils traitent des contentieux « à
valeur ajoutée » et rémunérateurs, à la différence des contentieux de
proximité peu rémunérateurs des zones rurales. Ce qui explique les écarts
d’effectifs d’une ville à l’autre.
Une autre problématique de
recrutement tient aussi à la matière ou à l’activité de l’avocat collaborateur.
Le rapport pointe notamment que le manque de collaborateurs concerne surtout les
domaines immobilier, fiscal et social, matières « totalement oubliées »
dans la formation dispensée dans les écoles, selon les interrogés.
En outre, la collaboration
n’est plus un passage obligatoire, constate le groupe de travail. En effet,
environ 25 % d’élèves sortant de l’école n’intègrent pas la profession, la
CAPA permettant d’intégrer une entreprise. De plus, l’installation ne dépend
plus de la collaboration, qui avait auparavant une fonction de tremplin.
Des spécificités locales qui expliquent
en partie la pénurie
Et si tous les barreaux sont
confrontés à des difficultés à recruter des collaborateurs, des spécificités
locales peuvent également influer sur cette problématique.
À Marseille, où l’on dénombre
près de 2 500 avocats, le rapport indique que 25 % des collaborations
se passent mal, « dont 10 % très mal ». La ville est
également confrontée à une pénurie d’avocats dans certains domaines, en
particulier ceux ayant entre trois et six ans d’exercice pointe le rapport, d’autant
qu’aucun avocat ne vit que de la permanence dans la cité phocéenne, y est-il
indiqué.
C’est pourtant le constat
contraire qui est dressé en Haute-Saône, où « les jeunes vivent très
bien avec les permanences ». Toutefois, en une petite dizaine d’années,
le barreau a perdu de nombreux collaborateurs. Une pénurie qui, selon le
rapport, s’expliquerait par le manque d’attractivité de la région - bien qu’il
serait, selon les rapporteurs, plus simple de se constituer une clientèle dans
une petite ville comme Vesoul (15 000 habitants) plutôt qu’à Besançon (120 000)
-, mais également au fait que les avocats partis en retraite n’ont pas trouvé
de confrères ou consœurs à qui céder leur clientèle.
Quant au Val-d’Oise, le
problème de recrutement de collaborateurs est notamment lié à la charge de
travail, puisque 59 % des collaborateurs travaillent entre 35 et 50 heures
par semaine. De plus, 14,3 % ne disposent d’aucune couverture :
mutuelle, prévoyance ou retraite complémentaire, est-il listé.
Enfin, à Roanne, les
collaborateurs acceptent un contrat de collaboration à condition que
l’équilibre vie privée et vie professionnelle soit respecté, ce qui s’explique
notamment par le fait que la région attire davantage des personnes avec un
rythme de vie de famille plutôt que des profils plus jeunes et célibataires
« préférant la vie à la grande ville ».
Promouvoir la collaboration
libérale dès l’école
Pour pallier ces difficultés
à recruter des collaborateurs au sein des petits comme des plus grands cabinets
et barreaux, le groupe de travail missionné par la Conférence des bâtonniers a
formulé 28 préconisations destinées à rendre à la collaboration ses lettres de
noblesse.
Dans un premier temps, pour
le groupe de travail, l’attractivité de la collaboration doit s’effectuer dès
les bancs de l’école, comme en témoignent leurs premières recommandations :
il faut « promouvoir le lien entre le monde éducatif et le monde
professionnel (entre l’université, les écoles d’avocats, les barreaux et les
cabinets d’avocats) pour rendre la collaboration libérale/salariée attractive »,
mais aussi poursuivre la promotion de la professionnalisation des élèves
avocats en développant l’alternance (préconisation 3). Le groupe de travail suggère
également que soient multipliés les stages étudiants « dans le cadre
d’une convention signée entre l’université et un avocat afin de découvrir le
travail en cabinet » et ainsi éviter toute désillusion.
La formation est également très
fortement recommandée, aussi bien pour les étudiants que pour les avocats,
« beaucoup de personnes auditées s’[étant] plaintes du manque de
formation ». À ce titre, il est préconisé de « mieux former
les jeunes avocats au marché de demain » (préconisation 4), de « renforcer
dans les écoles les formations professionnalisantes notamment sur la gestion de
cabinet et sur la facturation : créer une formation qualifiante en “gestion
approfondie de cabinet” susceptible de satisfaire une opérabilité immédiate du
collaborateur » (8), mais aussi de mettre en place une formation
pratique renouvelable l’année suivante pour les avocats dès leur arrivée au
barreau, « sur les différentes obligations professionnelles »
(9).
Il est également suggéré
d’« instituer une période durant laquelle le jeune avocat n’ayant pas
de collaboration bénéficierait obligatoirement de l’accompagnement d’un
confrère plus expérimenté lui permettant de compléter sa formation pratique
dans le cadre d’une convention ad hoc supervisée par l’Ordre » (11).
Donner plus de souplesse au
collaborateur
Pour améliorer l’attractivité
de la collaboration dans les petites comme les plus grandes villes, les
conditions de travail et la visibilité des barreaux doivent nécessairement être
revues, indique également le rapport.
Le rapport préconise notamment
de « prendre en considération la préservation de l’autonomie des jeunes
confrères qui souhaitent gérer leur temps de travail et leur organisation
professionnelle (flexibilité, mobilité, agilité) » (17), ainsi que leur
bien-être, en leur permettant d’« aménager [leurs] conditions de
travail (télétravail, coworking, NFOT émergentes, méthodes ROWE…) »
(18). Il est également proposé de garantir le droit à la déconnexion, de faire
de la collaboration à temps partiel un contrat gagnant/gagnant à l’heure où le
collaborateur est « arithmétiquement moins » payé, et d’inciter
les collaborateurs à fixer une rémunération minimale.
Et parce que « certains
collaborateurs ont le sentiment de ne pas être entendus dans leurs
demande », le groupe de travail préconise de les faire bénéficier d’un
entretien au minimum annuel avec le collaborant « pour pouvoir discuter
de la collaboration et prévenir éventuellement les difficultés
rencontrées » (14). Un moyen, selon le groupe de travail, « de
faire un point des attentes réciproques », notamment.
Et si la sixième
préconisation indique qu’il faut « vanter les mérites et les qualités
des barreaux pour mieux attirer les futurs collaborateurs à y venir : quelle
que soit la taille du barreau, tous disposant d’un atout que les futurs jeunes
avocats peuvent, malgré eux, ignorer », il faut aussi faciliter les
recrutements. Pour cela, le groupe de travail recommande de « créer un
outil numérique (plateforme) centralisant les offres et les demandes de
collaboration, permettant d’optimiser les sources et les besoins de
recrutement » (7) et de « favoriser la visibilité et
l’existence numérique du cabinet du collaborant comme celle du collaborateur à
l’instar de celles des Ordres », « le plan de carrière pour un
élève avocat [étant], à défaut de visibilité sans doute aussi, parfois méconnu »
précise le rapport.
Autant de recommandations
pour faciliter et compléter le parcours des élèves et redonner l’envie aux
avocats de se tourner vers le contrat de collaboration libérale. Contrat qui,
selon le groupe chargé de cette mission, « constitue toujours une
opportunité non seulement pour les collaborateurs eux-mêmes, comme pour les
collaborants, mais aussi un gage de qualité pour la formation des futures
générations d’avocats permettant d’acquérir ce que l’on appelle “l’expérience”
».
Allison
Vaslin