La Maison de l’Avocat d’Évry recevait, le 26
mars dernier, Francis Alföldi, docteur en sciences de l’éducation et
coordinateur de conférences familiales. Cette pratique ancestrale inspirée par
les Maoris commence doucement à émerger en France. Reposant sur la notion d’empowerment, elle a pour vertu principale d’exploiter
les capacités des familles en difficulté, afin d’éviter des décisions
administratives ou judiciaires plus radicales, notamment le placement d’un
enfant.
La conférence familiale ? Hélène Moutardier, bâtonnier de
l’Essonne, a découvert ce concept il y a un peu plus d’un an, lors d’une
présentation à la cour d’appel de Paris. « Nous avions commencé, dans
un autre registre, à développer les modes amiables, avec une idée
commune : remettre au centre les personnes, pour qu’elles soient actrices
de leur devenir. On décide de leur faire confiance, de se dire qu’elles sont
capables de trouver leur solution. Finalement, la conférence familiale, c’est
un peu la même idée ! ».
à l’occasion d’un colloque dédié
au sujet qui se déroulait le 26 mars
dernier à la Maison de l’Avocat d’Évry, le bâtonnier a parallèlement dressé le
constat que, de plus en plus souvent, le juge des enfants est saisi uniquement
en raison d’un conflit entre les parents – sentiment partagé par ses consœurs
et confrères avocats. « Nous avons des enfants placés car nous
n’arrivons pas à régler les différends entre leurs parents : ils en
souffrent et sont parfois coupés de l’un d’eux. Certes, le placement peut
permettre d’améliorer la situation, mais ne vaudrait-il pas mieux privilégier
d’autres solutions, éviter ce qui est un traumatisme pour un enfant et sa
famille en général ? ».
Francis Alföldi, docteur en sciences de l’éducation, est coordinateur
de conférences familiales. Le but de la démarche : réunir, autour d’une
personne ou d’une famille en difficulté, sa famille élargie, ses proches, son
entourage « habituel » (voisin, membre d’un club de sport ou
d’une association dont elle fait partie) et des professionnels ; activer
son « réseau de proximité », afin qu’elle trouve d’elle-même
une solution à un problème spécifique : maltraitance d’un enfant,
difficultés scolaires, violences conjugales, gestion d’une personne handicapée
ou vieillissante. « La famille est ainsi amenée à prendre sa propre
décision, mais pas en toute-puissance, a-t-il expliqué. Des
représentants des services judiciaires ou de protection de l’aide sociale à
l’enfance, mais aussi des spécialistes sont là pour l’aider à générer au
maximum ses potentialités en termes de prise de décision et de capacité ».
La conférence familiale est donc animée par un fort esprit d’empowerment,
que Francis Alföldi définit comme le fait de « s’emparer
personnellement et collectivement d’une part significative de la décision,
quelles que soient les difficultés rencontrées ». « L’empowerment,
c’est actif. C’est une question de désir, et ça se travaille. C’est exactement
cela, la conférence familiale. »
Aux origines : des réunions
communautaires chez les Maoris
Un processus qui n’a en réalité rien de nouveau, même si, actuellement,
la France en est à ses balbutiements. L’idée trouve ses origines en
Nouvelle-Zélande, chez les Maoris. Traditionnellement, ces derniers ont
toujours eu pour habitude, lorsqu’un problème surgit, de se réunir, cherchant
alors à le régler ensemble, et non pas à désigner un coupable. Lorsque la
colonisation européenne est arrivée avec son lot de violences, la culture
locale a été étouffée, et les réunions communautaires ont peu à peu disparu
pour céder la place, dans les années 70, à un phénomène inédit :
l’apparition d’une délinquance juvénile maorie. « Les autorités
publiques étaient désarçonnées, et ont eu l’idée de faire ressurgir les
pratiques ancestrales, en rencontrant et en discutant avec les responsables de
ces communautés. Des programmes ont alors été mis en place, et, rapidement, des
changements ont été constatés, avec une réduction considérable de la
délinquance ». De fait, en 1989, a été introduite, dans la loi
néo-zélandaise de protection de la jeunesse, l’obligation de réaliser une
conférence familiale avant d’envisager le placement d’un enfant.
« C’est à ce moment que certains états
se sont dit qu’ils pouvaient, eux aussi, suivre ce modèle ». Le
Family Group Conferencing a notamment émergé en Europe, dans les pays
anglo-saxons puis scandinaves, et se pratique aujourd’hui dans une quarantaine
de pays, selon Francis Alföldi. La France, elle, l’expérimente depuis peu. Le
docteur en sciences de l’éducation, qui tente de sensibiliser les Français
depuis bientôt une vingtaine d’années,
a constaté une certaine évolution des mentalités, une récente ouverture
d’esprit : après avoir essuyé plusieurs rejets au début des années 2000,
le concept commence tout doucement à se faire connaître et à séduire.
Si la conférence familiale est en phase-test, et que se pose encore la
question de son financement – bien que ce processus, estime Francis Alföldi,
soit beaucoup moins cher qu’un placement, si on prend cet exemple – ou encore
du statut du coordinateur – faut-il qu’il soit au service de l’État ou
privé ? – ses contours se dessinent progressivement. Ainsi, trois
organismes forment actuellement les coordinateurs, qui peuvent être, en l’état
actuel des choses, toute personne intéressée. « Une inscription à la
formation dans une Association des citoyens coordinateurs de conférences
familiales (CCCF) coûte 400 euros, qui
sont restitués au coordinateur lorsqu’il réalise sa première conférence. C’est
une formation de trois jours, lors de laquelle le futur coordinateur apprend à
explorer l’histoire personnelle d’une personne, d’une famille, pour vérifier
leurs motivations personnelles. La formation comprend aussi un jeu de rôle pour
visiter la dynamique de la conférence familiale », a
précisé Francis Alföldi. Et bien que la conférence familiale soit pour
l’instant relativement confidentielle en France, beaucoup de pourvoyeurs
potentiels peuvent orienter une personne en difficulté vers un
coordinateur : magistrat, travailleur social, militant d’association…
« Lorsque ce sera davantage développé, cela fonctionnera davantage par
le bouche à oreille, comme en Hollande par exemple », a assuré le
coordinateur, confiant.
De l’importance de la phase de
préparation
La conférence familiale suit en outre une structuration bien particulière,
en trois étapes-clés. Aussi celle-ci commence-t-elle par une phase de
préparation, qui peut durer plusieurs mois. Cette première étape est notamment
marquée par l’intervention d’un référent – une personne au contact de la
famille en difficulté et qui pense que cette dernière pourra mobiliser ses
capacités – qui lui propose d’avoir recours à la conférence. Le référent va en
outre aider la personne ou la famille à identifier le problème à régler.
« Sur une conférence que j’ai récemment coordonnée, il s’agissait d’un
monsieur en détresse car il vivait dans une caravane et était menacé de devoir
en partir, sans savoir où aller. La question de départ qu’il a identifiée avec
son référent était claire : comment je peux trouver un logement pour
recevoir ma fille ? »
Autre point important de cette étape : la première rencontre entre
le coordinateur et la personne ou la famille en difficulté ; des personnes
qui peuvent être réfractaires à ce principe de discussion commune mêlant
proches, connaissances et professionnels autour de leur propre problème.
« Les Français ont le réflexe de laver leur linge sale en famille, ils
ont donc des difficultés à s’ouvrir à la conférence familiale. Pourtant, il est
important que la personne invite très largement autour d’elle, pour éviter de
se retrouver avec un tout petit auditoire. Mais en tant que coordinateur, il
faut bien veiller à ne pas trop insister, et à laisser les choses se faire
naturellement ». C’est aussi à ce moment-là que le coordinateur doit
revenir sur le problème préalablement identifié, qui souvent aura changé entre
temps. « Je me souviens d’un père dont la question de départ,
identifiée auprès de son référent, était "comment parvenir à mieux
contrôler ma violence et à mieux exercer ma fonction parentale", et qui
m’a dit : "je veux que la mère de mon enfant nous laisse
tranquille et lâche l’affaire". Parfois, il y alors tout un travail à
engager pour que la question ne soit plus celle du parent mais celle de
l’enfant – lorsqu’un enfant est en cause –, sur lequel il faut se recentrer, a
insisté Francis Alföldi. En l’espèce, la question est donc devenue, à travers
le prisme de l’enfant : "comment est-ce que je peux davantage
voir ma mère et faire plus d’activités avec mon père ?" ».
Par ailleurs, toujours pendant la période de préparation de la
conférence, c’est à la personne concernée de contacter celles et ceux qui
assisteront à la conférence, afin de leur expliquer ce dont il retourne.
« Il ne faut pas oublier que pendant une conférence familiale, souvent,
vont se retrouver dans une même pièce pour faire un travail positif, collectif,
des gens qui se haïssent ! Cela nécessite d’être bien préparé »,
a assuré Francis Alföldi.
Enfin, l’un des moments fondamentaux est celui de l’entretien entre le
coordinateur et l’enfant, durant lequel, a indiqué Francis Alföldi, il faut
être particulièrement à l’écoute de ce dernier. « Je l’invite à
discuter sur ses envies, ou à les écrire, voire à les dessiner, quand il
n’arrive pas à les formuler oralement. Et quand un enfant ne veut pas venir à
la conférence familiale, je lui dis qu’il peut écrire une lettre, qui y sera
lue. L’impact peut être encore plus fort ! ». Le coordinateur a
notamment fait référence à une conférence familiale qui concernait deux enfants
« terrifiés par leur père violent ». Lorsque Francis Alföldi
les rencontre, l’aîné des enfants lui dit qu’il refuse de participer :
c’est au-dessus de ses forces. Mais il accepte d’écrire une lettre, qui aura
alors une intensité énorme et sera déterminante dans le déroulement de la
conférence familiale et ses effets. Francis Alföldi a en outre précisé que lors
de cet entretien avec l’enfant, si celui-ci accepte d’être présent à la
conférence, il faut impérativement s’assurer qu’il soit d’accord pour que son
problème soit évoqué. Le coordinateur a ainsi cité pour exemple le cas d’une
jeune fille de seize ans atteinte d’une obésité pathologique grave et qui
refusait catégoriquement que soit évoqué son problème de poids. « Nous
avons respecté son souhait, et nous n’avons pas invité de spécialiste sur
l’obésité. En revanche, elle a accepté que sa psychiatre vienne. Cette
psychiatre, au cours de la conférence, en est venue très naturellement à parler
de cette obésité : mais cela a été bien accueilli par la jeune fille, car
ça ne lui avait pas été imposé ».

Aboutir à un plan d’action
Francis Alföldi est également revenu sur la deuxième étape du
processus : la conférence proprement dite. Cette dernière, qui dure
environ une demi-journée, est découpée en plusieurs temps. Lors d’un temps
appelé « partage d’informations », le coordinateur commence
ainsi par énoncer les « règles du jeu », soit les règles de
politesse et d’écoute mutuelle qui animent la conférence, et auxquelles les
participants doivent adhérer en donnant clairement leur accord.
Le coordinateur a par ailleurs souligné la richesse des interventions
des spécialistes invités, qui font alors office de pourvoyeurs d’informations
primordiaux. Francis Alföldi s’est remémoré un médecin qui avait joué un rôle
déterminant vis-à-vis d’un enfant qui souffrait d’encoprésie et qui avait
besoin d’être déculpabilisé. Son père avait également réalisé pendant la
conférence qu’il n’avait pas eu les réactions appropriées.
Autre spécificité du temps de partage d’informations : le
coordinateur et les spécialistes invités n’ont pas à proposer de solution, mais
uniquement à éclairer une situation. « Parfois, c’est plus fort que
soi… On a envie d’aider, de donner des pistes. Mais notre rôle est de
faciliter. La solution doit être envisagée pendant le temps familial privé,
là-dessus, nous n’avons pas notre mot à dire ». Toujours dans cet
esprit d’empowerment, en somme.
L’empowerment trouve justement son point culminant dans le « temps familial »,
ce temps qui suit le partage d’informations lors de la conférence. « Ici,
il y a un changement de posture par rapport à ce qu’on peut voir
habituellement : ce ne sont pas les professionnels qui restent pour
délibérer pendant que la famille attend à la porte, mais bien la famille qui
reste pour se mettre d’accord et trouver une solution, et les professionnels
qui sortent », a indiqué Francis Alföldi. La famille doit alors
élaborer un plan d’action à mettre en œuvre pour régler le problème dont il est
question. Une fois élaboré, ce plan est ensuite discuté : les
professionnels reviennent ; sont alors examinées les questions « qui
fait quoi et quand ? », et des tâches concrètes sont assignées
par et à chacun des membres de la famille, avant la signature symbolique du
plan. « C’est important de féliciter la famille lorsque le plan est
validé, car c’est un véritable parcours de bravoure pour elles ! »,
a appuyé Francis Alföldi. C’est pour cela que les familles ne sont pas laissées
dans la nature, mais font l’objet d’un suivi, et plus précisément d’une réunion
de suivi, qui a généralement lieu trois à six mois après la conférence.
« L’adaptation des
instruments à la singularité des réalités évaluées »
Où en est-on
aujourd’hui ? Francis Alföldi a trouvé une terre féconde où la conférence
familiale semble prendre : l’Ardèche, terreau de plusieurs
expérimentations à succès. « Si la collectivité territoriale confirme
son intérêt, nous lancerons un programme pilote. Là, il est question de faire
une formation de quinze coordinateurs et de réaliser vingt conférences
familiales. Si cela a lieu, je me ferai le porte-parole de ce projet-là »,
a indiqué le coordinateur.
Reste encore
à essaimer, et à identifier des acteurs réceptifs.
Or, Hélène Moutardier l’a regretté : lors des rares colloques
consacrés à la conférence familiale, la plupart des avocats reculent devant les
difficultés liées à sa mise en place, d’autant que ce processus n’est prévu par
aucun texte. « Je vous propose de laisser de côté ce que dit le Code.
On a pu expérimenter en civil un processus collaboratif non codifié : nous
le pratiquons et cela fonctionne. Ouvrons nos esprits ! », a
préconisé le bâtonnier, rejointe Samuel Greverie. Le directeur de la prévention
et de la protection de l’enfance au conseil départemental de l’Essonne s’est dit
lui aussi très favorable aux innovations « en matière de compréhension
de ce qui fait famille, de ce qui fait réseau autour des enfants ».
Samuel
Greverie a notamment fait le vœu que le conseil départemental et les acteurs de
l’aide sociale à l’enfance arrivent à s’articuler et à se fédérer autour de ce
sujet. « Actuellement, nous travaillons sur la diversification de
l’offre, c’est-à-dire ce qui porte sur une meilleure expression du besoin de
l’enfant. Comment mieux comprendre ses besoins, son environnement, ses
ressources, son réseau. Une fois que nous avons compris quel est le problème et
que nous avons bien cerné sa situation, il nous appartient à nous tous acteurs
– magistrats, avocats, travailleurs sociaux du département – d’organiser la
réponse, tout en prenant en compte la question de l’adaptation des instruments
à la singularité des réalités évaluées. » C’est ainsi que Samuel
Greverie fait le lien avec la conférence familiale. « Il y a une
exigence dans l’Essonne de développement d’alternatives au placement car les
lois nous y invitent, une exigence d’une réponse aux problèmes familiaux qui
doit évoluer au regard de ce qu’on constate, et une exigence de construire un
modèle qui anticipe les quinze/vingt prochaines années et qui cesse d’avoir un train
de retard, avec de multiples ruptures de placement. D’autant que lorsque les
parents sont en conflit, la question du sain développement de l’enfant est une
question qu’il est difficile de leur rappeler ». Pour Samuel Greverie,
l’élargissement de la mise en place de la médiation familiale sur le
département, l’un des rares outils en la matière, est précieux, mais
insuffisant. « La conférence familiale est une hypothèse qui, pour
certains, peut paraître utopique. Pour moi, c’est une évidence ».
Bérengère Margaritelli