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Congrès UNAPL 2019 : les valeurs fondamentales du professionnel libéral

Congrès UNAPL 2019 : les valeurs fondamentales du professionnel libéral
Publié le 04/01/2020 à 09:30

Le 6 décembre dernier, à l’initiative de l’UNAPL (Union nationale des professions libérales), les professionnels libéraux de la santé, du droit, des techniques et du cadre de vie se sont réunis autour d’acteurs sociaux, de responsables politiques et d’experts pour échanger – en ateliers ou en plénières – sur des problématiques qui caractérisent leurs secteurs. Le grand débat de l’après-midi – sur lequel nous avons choisi de nous attarder – a porté sur les valeurs fondamentales du professionnel libéral en 2020.


Quelles sont les valeurs que portent les professions libérales, et comment ces dernières ont évolué, selon les métiers, au contact des nouvelles technologies et de la révolution numérique en cours ? De plus, comment faire vivre et développer les valeurs intrinsèques des indépendants ? Telles étaient les problématiques de cette table ronde.


Comme pour la plénière du matin, Yves Thréard, directeur adjoint de la rédaction du Figaro, a animé la discussion à laquelle ont participé Nicolas Bouzou, économiste, essayiste, directeur du cabinet conseil Asteres ; Bénédicte Bury, vice-présidente de l’ACE (Avocats Conseil d’Entreprise) ; Michel Chassang, médecin, ancien président de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français) et de l’UNAPL ; Régis Chaumont, président de l’UNSFA (Union nationale des syndicats français d’architectes) et Xavier Bertrand, président du Conseil régional des Hauts-de-France.


Auparavant, Emmanuel Lechypre, journaliste économique pour BFMTV, a introduit le débat.


 


Emmanuel Lechypre



QUATRE GRANDES TENDANCES DU 21e SIÈCLE


Ce dernier a tout d’abord décrit les quatre grandes tendances qui, selon lui, font que « leurs métiers sont plus importants qu’ils ne l’ont jamais été ».


La première de ces grandes tendances, c’est le retour de la proximité. En effet, selon Emmanuel Lechypre, la proximité est une valeur qui fait un retour en force, pour des raisons économiques et industrielles.


« Vous avez tous entendu parler de dé-mondialisation, mais ce n’est pas le bon terme. Il faut plutôt parler de dés-internationalisation des processus de production, ce qui est tout à fait différent. »


La mondialisation, en effet, ce sont les échanges, la culture, les flux financiers… Or tout cela ne s'arrêtera pas.


Il faut donc parler de dés-internationalisation. Dans de nombreux territoires par exemple, des entreprises qui étaient parties ont décidé de revenir, et d’autres, de ne plus repartir. Elles ont fait ce choix, car la délocalisation est aujourd’hui devenue un mirage. De fait, les écarts de coûts de production entre les pays à bas coût de main d'œuvre et les nôtres ont beaucoup diminué. Au début des années 2000, a précisé Emmanuel Lechypre, le salarié chinois gagnait 40 fois moins qu'un salarié français, or, désormais, il ne touche même pas deux fois moins, et touche parfois, à certains postes, un salaire équivalent.


En outre, quand la mode était à la délocalisation, beaucoup d'entreprises avaient sous-estimé le coût de la délocalisation (distance, logistique…).


Le développement croissant de l’innovation participe également, selon Emmanuel Lechypre, à la dés-internationalisation, car plus le numérique se développe, plus la menace pesant sur la propriété intellectuelle est grande.


En outre, du fait de cette révolution numérique, on est confronté aujourd’hui, selon lui, à « un recul de la production de masse qui répondait à des besoins standardisés ». Nous nous dirigeons désormais vers des productions de qualité, à faibles coûts, mais beaucoup plus personnalisées, ce qui implique pour les entreprises de se rapprocher des lieux de production.


Le retour des valeurs de proximité rejoint également les impératifs écologiques dont on parle beaucoup actuellement : « circuits courts, sobres, de circularité, tout ça sur fond de méfiance généralisée vis-à-vis de tout ce qui est grand, vis-à-vis de tout ce qui est technocratique ».


La deuxième grande tendance pour Emmanuel Lechypre, c'est la montée en puissance de « l'économie de l'usage » ou « économie de la solution ». Pour le journaliste en effet, l'économie du 21siècle, c'est l’économie de « l’être mieux » qui combine des biens et de services pour offrir la meilleure solution possible à l’usager. Cette solution, le client n’en est d’ailleurs pas forcément propriétaire, et souvent il la construit avec l’entreprise, ce qui est radicalement nouveau.


Par exemple, en termes de transport, pour aller d’un point à un autre, certains combinent des solutions de transports (covoiturage, bus, vélib).


Bref, les clients sont aujourd’hui des usagers de ce qu’ils utilisent, d’où les notions de personnalisation et l'individualisation des services. Pour Emmanuel Lechypre, cette économie de la solution, c’est exactement ce qui caractérise les professions libérales.


La troisième tendance, pour le journaliste économique, concerne la dynamique territoriale.


« La France des gilets jaunes qu'on décrit comme coupée entre des métropoles dynamiques, des campagnes dépeuplées et des banlieues à l'abandon, ça ne correspond pas à la réalité des chiffres. »


En effet, beaucoup de petites villes font mieux que les grandes en termes d’emplois (de manière relative évidemment).


Ce sont, en outre, les banlieues des grandes villes qui ont été les principales zones créatrices d'emplois en 2017, a précisé le journaliste.


« Il n’y a donc absolument pas de fatalité au déclin économique des territoires » a-t-il soutenu. De nos jours, en effet, le développement des territoires n’est plus déterminé par la géographie, le climat, les ressources naturelles ou la main d'œuvre. « Aujourd'hui, vous pouvez produire à peu près n'importe quoi, n'importe où » a-t-il ajouté, avant de citer OVH à Roubaix, et les usines de composants électroniques de haute technologie à Montmirail.


Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’il existe des villes comparables qui ont des performances économiques divergentes.


Ces trajectoires très diverses sont surtout liées à la capacité ou non d'un territoire à créer des maillages entre les acteurs du territoire (acteurs publics, chefs d'entreprise), a expliqué le journaliste en s’appuyant sur les propos de l’économiste Pierre Veltz, qui développe cela dans son ouvrage La France des territoires.


De plus, ce n’est pas entre les territoires qu’on trouve les plus grandes inégalités, mais au sein de certains territoires, et notamment des métropoles. C’est dans ces dernières que l’on trouve les plus grands écarts entre les plus aisés et les plus défavorisés.


La quatrième tendance concerne la dynamique sociale. « On vit dans un pays où, au-delà de la géographie, vous avez des élites qui sont en train de faire sécession », a affirmé Emmanuel Lechypre, qui s’est appuyé sur l’analyse de Jérôme Fourquet, auteur de L’archipel français. Aujourd’hui, a expliqué le journaliste, les élites ont atteint une certaine taille critique pour vivre en quasi autonomie du reste de la société.


« Les gilets jaunes, c'est quand même cela aussi : une coupure entre ces gens qui pensent être des gens d'en bas et des élites d'en haut. » « Aujourd’hui, les uns ne parlent plus aux autres et c’est ça qui nous menace » a-t-il ajouté.


S’adressant aux professionnels libéraux, il a enfin affirmé : « Vous êtes des gens extrêmement bien formés et diplômés, qu’on appelle des "anywhere", mais vous êtes aussi enracinés dans les territoires ; vous êtes donc parfaitement placés pour jouer un rôle fondamental. Vous êtes les acteurs de cette cohésion sociale ».


Ces propos introductifs ont ensuite nourri le débat qui a suivi.



Régis Chaumont, Bénédicte Bury, Nicolas Bouzou, Xavier Bertrand, Michel Chassang et Yves Thréard



 


VIVRE ET TRAVAILLER LÀ OÙ ON VEUT


« Vivre, travailler et s’épanouir là où l’on en a envie, est-ce possible aujourd’hui ? » a demandé Yves Thréard à Xavier Bertrand, qui s’est exprimé en premier.


« Oui, cela est possible si l’on change la politique d’aménagement du territoire »
a répondu celui-ci.


En effet, selon lui, il faut s’interroger : y a-t-il une fatalité à voir les métropoles continuer à se développer pour devenir des mégapoles, ou bien existe-t-il un modèle français qui repose sur une autre forme d'équilibre entre les métropoles et les villes moyennes ?


« Je ne veux pas casser les métropoles, mais je pense que notre pays peut permettre à beaucoup de gens de vivre là où ils ont envie de vivre » a affirmé le président du Conseil régional des Hauts-de-France.


Mais pour vivre où l’on veut, il faut d’abord y trouver du travail. Or, est-on capable d’en trouver dans ces zones-là ?


« La France est-elle condamnée à n’être qu’une "start-up Nation" ou bien pense-t-on que l’industrie a toujours de l’avenir et que les services, y compris les services liés à l’industrie, ont de l’avenir ? »  s’est interrogé Xavier Bertrand.


La plupart des élus de grandes villes ont pour unique ambition de devenir des turbines dans la tech ou dans le numérique, a-t-il expliqué. Prenant l’exemple de Lille, Xavier Bertrand a démontré qu’au cœur de cette grande métropole, on trouve tout ce que l’on veut : technologie, immobilier à bas prix, bureaux, métros… Les start-up viennent s’y installer sans difficulté.


En revanche, si on veut que des activités de services s’établissent près d’une ville comme Maubeuge, par exemple, cela semble plus compliqué. 


C’est pourquoi Xavier Bertrand a déclaré, « ce que je veux pour certains secteurs d'activité, c’est pouvoir utiliser le levier fiscal pour que ces entreprises fassent ce choix-là ». Puis cedernier a précisé : « Pour quelqu’un qui veut aller au cœur de Lille, il n’y pas besoin d’argent public, mais pour les autres si. Donc si quelqu'un décide de s'installer à côté de Maubeuge je veux pouvoir lui faire 3, 5 ou 7 ans d'exonération totale. »


À ceux qui lui feraient remarquer qu’il perdrait alors de l’argent, Xavier Bertrand a affirmé qu’il leur répondrait être un élu « qui préfère les emplois que les impôts », et avoir des emplois tout de suite et des impôts plus tard.


En ce qui concerne la question de l’habitat, pour Xavier Bertrand, le problème est que la plupart des aides d’État comme le dispositif Pinel privilégient les zones tendues, c’est-à-dire le cœur des métropoles, là où de toute façon les investisseurs iront s’installer.


En outre, dans les zones détendues, il n'existe pas de levier fiscal, ni même de levier pour la réhabilitation.


Pour le président du Conseil régional des Hauts-de-France, il faut également cesser d’appauvrir ces zones en transports ferroviaires. Conserver des trains qui vont peut-être un peu moins vite, mais ne surtout pas démanteler le territoire.


« Je pense qu'une autre politique d’aménagement est possible, d'ailleurs dans ma région, je lancerai au premier trimestre une agence d'aménagement du territoire » a-t-il annoncé.


Se tournant ensuite vers le docteur Michel Chassang, le directeur adjoint de la rédaction du Figaro a demandé pourquoi, dans les zones rurales, alors qu’il existe pourtant des politiques volontaristes pour faire venir des médecins, on est face à des déserts médicaux.


« Les déserts médicaux résultent d’une raréfaction de l’offre de santé médicale »
a expliqué l’ancien président de l’UNAPL. « Il fut un temps, a-t-il poursuivi, où l’on considérait que l'offre favorisait la demande, on a donc considéré que si l’on diminuait l'offre et le nombre de médecins formés, on diminuerait alors la consommation et donc la dépense, ce qui serait bon pour l'assurance maladie. »


Pour ce dernier, nous devons actuellement gérer les conséquences de ce qui a été décidé il y a quelques années, c’est-à-dire un déficit du nombre de médecins.


En outre, il existe des inégalités en termes de répartition géographique des médecins. Ceux-ci sont naturellement plus proches des métropoles que des zones rurales.


« Il faut dire aussi que le choix de l'installation d'un médecin dépend aussi de ceux qui l’accompagnent » a expliqué Michel Chassant, « or, ces derniers ont souvent une famille, ils s’installent donc en fonction de cela ».


Enfin, les médecins font la plupart du temps partie des couches sociales supérieures de la société. C’est pourquoi ils sont souvent citadins.


« Ils n'aspirent donc pas de façon volontaire à s'installer dans une zone rurale dont ils ne connaissent rien. »


En revanche, les médecins, vont plutôt s'installer dans les endroits qu'ils connaissent, où leurs enfants pourront faire de bonnes études : « quand vous devez les scolariser à 50?km voire plus, et qu’ils doivent prendre un transport en commun tous les matins, le choix du lieu de vie est vite fait ».


Enfin, pour le médecin, nous vivons dans une société où les gens vivent entre eux. Ils ont besoin de cela pour exister, et pour se reconnaître.


« Ce qui est vrai cependant, a-t-il continué, c’est que les professionnels libéraux sont les seuls cadres qui rencontrent les individus au quotidien. » Le médecin par exemple connaît les foyers, le cadre de vie des gens qu’il soigne… « Quand on voit comment certaines personnes vivent, croyez-moi on comprend mieux la société », a déclaré Michel Chassang. « Dans une société ô combien fracturée, les professionnels libéraux, notamment les professionnels de la santé, sont le ciment et constituent un maillon essentiel » a-t-il affirmé.


Bref, si malgré les aides de la part des municipalités il y a toujours des déserts médicaux, c’est que la solution n’est pas financière, a continué l’ancien président de l’UNAPL. En effet, les médecins gagnent mieux leur vie dans les zones rurales que dans les grandes métropoles, car la demande y est plus forte.


Dans les campagnes, en effet, la population est vieillissante et consomme plus. En ville, il existe une concurrence assez féroce qui peut s’exercer de cabinet à cabinet, mais aussi à l’intérieur même des cabinets.






Yves Thréard





FRACTURE TERRITORIALE : EXPLICATIONS ET SOLUTIONS






Pour résoudre tous ces problèmes, la solution serait-elle de lancer une nouvelle DATAR (Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale) ? a ensuite demandé Yves Thréard à Nicolas Bouzou.


Ce dernier a été catégorique. « Pas du tout » a-t-il déclaré, sûr de lui, puis d’expliquer : « ce phénomène de concentration, de métropolisation est malheureusement assez naturel et consubstantiel au capitalisme du 21siècle. C’est ce qu'on appelle la troisième révolution industrielle. »


En effet, a-t-il expliqué, au 20e siècle, quand il y avait une zone de richesse avec de grandes usines, ces dernières dispersaient leur richesse autour d’elles.


La troisième révolution industrielle, qui se caractérise surtout par une économie de services, fonctionne totalement à l’inverse. Les zones de richesse aspirent la richesse tout autour.


L’économiste a pris l’exemple de San Francisco, aux États-Unis, où l’on trouve des individus richissimes et d’autres aux marges, parce que les prix de l'immobilier y est tellement élevé qu’il crée un filtre colossal entre les individus.


Bref, « si l’on juge que ce phénomène n’est pas équitable géographiquement, il faut mener des politiques très ambitieuses pour le freiner », a préconisé Nicolas Bouzou.


Cela ne passe certainement pas par une nouvelle DATAR, mais par un nouvel acte de décentralisation, a expliqué l’économiste. Autrement dit, qu'il faut donner davantage de responsabilités aux pouvoirs locaux en assumant le fait que certains présidents de région seront plus talentueux, et parviendront mieux à développer leur territoire que d’autres.


« La politique de développement territorial doit se faire au niveau territorial avec des responsabilités définies et y compris avec une dose d'autonomie fiscale » a précisé Nicolas Bouzou.


Pour ce dernier, il est en effet urgent que l’on choisisse en France la façon dont les collectivités locales seront financées : soit comme le système allemand (des grosses dotations garanties par la Constitution) ; soit comme le système américain ou suisse, avec une autonomie fiscale encadrée. Par exemple, ça serait la région des Hauts-de-France qui déciderait de son taux de CSG. « Il faut choisir car sinon, on entrave le développement économique local » a conclu Nicolas Bouzou.


La différenciation fiscale peut-elle s’appliquer dans un pays ultra centralisé comme le nôtre ? s’est cependant interrogé Yves Thréard.


« Je crois à ce levier fiscal » lui a répondu Xavier Bertrand. « Un pays comme la France a besoin d'un État, mais d'un État qui ne s'occupe pas de tout. On a besoin de revoir la relation entre l'État et celles et ceux qui créent de la valeur, de la richesse et de l'emploi, c’est-à-dire les entreprises et les entrepreneurs. »


Il faut donc permettre, selon lui, un droit à la différenciation, notamment sur la question de la fiscalité.


Prenant l’exemple de sa région, il a expliqué que celle-ci est, pour la deuxième année consécutive celle qui a attiré le plus d'investissements internationaux dans l'industrie.


Cependant, en termes d’emplois, « on est entré dans une logique de la dernière chance », a-t-il regretté. « Je suis donc prêt à jouer cette carte de la différenciation que j’ai proposée au gouvernement. »


Si cette différenciation fiscale profite à un territoire, cela profitera à l'ensemble du pays. Il pourrait donc y avoir moins d’inégalités.


Comment se situe la France, par rapport à ses voisins, concernant la fracture territoriale ? a ensuite demandé Yves Thréard à ses invités.


Pour Nicolas Bouzou, cette fracture territoriale existe partout dans le monde car elle est « consubstantielle à l'économie contemporaine ». Elle se traduit cependant de façon très différente.


Prenant l’exemple du Brexit, l’économiste a expliqué que ce sont en général les territoires périphériques des villes qui ont voté pour. Ce n’était donc pas du tout Londres contre la province comme on a pu le lire dans divers journaux.


Au cœur de Manchester, par exemple, la population a largement voté « remain », mais un tout petit peu plus loin, c’est le « leave » qui l’a remporté.


Si on prend l’exemple des USA, ce phénomène de fracture territoriale est beaucoup plus grave qu’en France, a déclaré Nicolas Bouzou. On assiste à une baisse globale de l'espérance de vie. Pour le célèbre économiste Angus Deaton, cité par Nicolas Bouzou, cette baisse concerne les populations blanches de 50 ans qui vivent dans l’Amérique périphérique, qui ont souffert de dés-industrialisation, et de déclassement. Ces populations meurent d'overdose, d'alcoolisme et de suicide.


« Aujourd’hui vous n’avez aucun pays qui a réussi complètement à se prémunir contre ça » a insisté Nicolas Bouzou. « Mais il y a des choses à faire. Cette problématique du développement économique endogène dans les territoires, c'est absolument majeur » a-t-il ajouté.


Celui-ci a en outre évoqué la question du télétravail qui, selon lui, est une très bonne chose., d’abord parce qu’il oblige les individus à se faire confiance, ensuite parce que le télétravail permet de travailler pas seulement de chez soi, mais de n’importe où.


« On aide ainsi les gens à concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Si on fait cela, alors on aura démontré que les démocraties libérales sont vraiment le meilleur système pour vivre, car elles sont capables de générer de la prospérité juste. »


La discussion s’est ensuite tout naturellement déplacée autour des thèmes du télétravail, de la numérisation et de l’IA.


 


TÉLÉTRAVAIL, NUMÉRISATION ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE


La révolution numérique n’éloigne-t-elle pas certaines professions libérales de leurs clients, les avocats du justiciable par exemple, donc finalement ne génère-t-elle pas moins de proximité ?


Pour Bénédicte Bury, grâce à la numérisation et à la dématérialisation, les avocats sont plus souples sur le plan géographique.


Toutefois, « la profession est toujours dotée d'un nombre très important de barreaux en dépit de la révision de la carte judiciaire ».


« Avec la dématérialisation, on peut faire les choix de vie que l’on veut. Les jeunes iront là où la décentralisation se fait », s’est réjouie l’avocate.


Certes, un certain nombre de tâches des avocats vont être standardisées, certaines n’ont en effet pas besoin d’être gérées humainement, et pour Bénédicte Bury, il est essentiel de les identifier. Il faut selon elle rester très vigilant sur la nature de ces tâches, car dès lors qu’une relation de proximité est nécessaire, la standardisation est à proscrire.


En ce qui concerne l'intelligence artificielle, pour l’avocate, il faut déterminer la manière dont on va se positionner par rapport à ces machines et outils, qui d’ailleurs n’empêchent pas une relation de proximité.


Pour Régis Chaumont qui s’est ensuite exprimé, le télétravail – qu’il a en grande affection – est une grande chance pour réaménager le territoire. Pour ce dernier, en effet, « ce n’est pas la décentralisation qui va permettre de réaménager le territoire ». La décentralisation, selon lui, va seulement concentrer des pouvoirs politiques à des endroits donnés.


Pour faciliter le travail dans les territoires, il est urgent pour lui de développer le télétravail. D’ailleurs celui-ci fait partie intégrante de sa vie : « J'habite Aix-en-Provence et j'ai mon agence à Manosque. Je suis expert à la cour d'appel d’Aix et je navigue dans des centaines de petits villages provinciaux totalement désertés. Et en même temps, je viens régulièrement à Paris. »


Depuis longtemps déjà, le président de l’Union nationale des syndicats français d'architectes (Unsfa) voudrait que l’on mette en place en France des villages de télétravail. « Un village de télétravail, c’est avoir le lieu qui nous convient, pouvoir y aménager et reconstruire un petit bourg, avoir son bureau bien identifié, cela nécessite aussi d’avoir de bons moyens de transport. »


« Cela ne marchera pas pour tout le monde, a-t-il reconnu, mais pourquoi ne pas essayer ? Nous avons vendu des trentaines de villages de télétravail en Espagne. »


Cependant, « le télétravail peut-il marcher pour un professionnel comme le médecin ? »
a demandé Yves Thréard à Michel Chassang.


Pour ce dernier, le travail à domicile ou télémédecine a des limites.


En effet, a-t-il expliqué, parmi les valeurs des professions libérales certaines sont essentielles comme la déontologie, la confidentialité, l’indépendance… mais également la nécessité de fournir une prestation individuelle adaptée à la situation de chacun des clients et patients.


C’est pourquoi, a estimé Michel Chassang, la télémédecine a des limites quand il s'agit de prendre en charge un patient inconnu par exemple. En effet, « on travaille sur le matériel humain et ce matériel humain fait appel aux cinq sens. Vous n'avez rien compris dans le fonctionnement d'un patient si précisément vous n’avez jamais vu cette personne, sa manière de vivre… car tout cela influe considérablement sur le diagnostic » a-t-il expliqué.


Quant à l’intelligence artificielle, celle-ci soulève d’autres problèmes, selon lui. L’IA va notamment entraîner une révolution dans la plupart des professions libérales.


« Il y a des métiers que nous exerçons aujourd'hui qui vont disparaître » a affirmé l’ancien président de l’UNAPL. « Et malheureusement nous sommes sous dépendance américano-chinoise totale sur ce sujet-là » a-t-il regretté.


« Nous avons des années-lumière de retard par rapport à ce qui se fait. Nous allons donc mettre notre société sous emprise chinoise ou américaine, et on va être amené à prendre en charge des individus qui n'ont pas du tout la même culture que ceux qui produisent cette intelligence artificielle. Et ça, c'est un vrai danger » a-t-il mis en garde.


Bénédicte Bury a jugé que pour tirer le plus possible profit du télétravail, il fallait trouver un équilibre entre des lieux de réflexions (par exemple le cabinet) et le lieu où l’on reçoit. Il faut en tout cas garder cette relation individuelle, cette part d'humanité qui ne peut être remplacée par l'intelligence artificielle, a-t-elle considéré.


Alors que le télétravail est très apprécié par Régis Chaumont, ce dernier a déclaré être très sceptique, voire hostile, face à l’IA.


« L’intelligence artificielle est une catastrophe pour notre métier. Désormais, on va pouvoir concevoir un plan d'aménagement en allant pomper à gauche à droite, grâce à des systèmes informatiques qui vont nous piquer toutes nos données. »


Quant au télétravail, pour lui aussi, celui-ci a des limites : « en tant qu’architecte, je suis obligé d'aller voir le terrain, de ressentir et de voir les choses. Par contre, ensuite je travaille sur team viewer. Ainsi, le maître d’ouvrage est à 100 km travaille derrière son écran et moi aussi, et nous avons une qualité d’échanges qui est parfois supérieure à celle que l’on aurait dans mon bureau, car lui aussi a son écran. »


Pour conclure le débat, Yves Thréard a questionné ses invités sur leur vision de l’avenir, et leur a demandé de « donner une note d’optimisme ».


 


L’AVENIR DES PROFESSIONS LIBÉRALES


Cependant, pour le docteur Chassang, il n’y a pas de quoi se réjouir : « Je suis inquiet, car la société va mal, et cela engendre la peur.
Il faut se méfier de la peur, car sinon on risque de vivre les derniers moments de démocratie, avec l’arrivée de régimes plus autoritaires.
 »


Selon l’ancien président de l’UNAPL, il est également essentiel de changer de paradigme : l’humain doit passer en premier, notamment dans le domaine du travail. Cela passe par la conciliation vie personnelle, familiale et professionnelle. En effet, a-t-il ajouté, « on a beaucoup disserté sur le vivre plus longtemps, mais on parle peu ou pas assez de la qualité de la vie or c’est ce qui compte ». C’est pourquoi selon lui, « la transition numérique peut être une chance précisément pour qu'on revienne à la notion fondamentale de la qualité de la vie ».


Nicolas Bouzou a pour sa part affirmé que le salut des professions libérales ne viendrait pas des valeurs, mais de l’efficience et du rendement, « parce que les gens aujourd'hui, ils sont en demande de résultats et d'efficacité ».


à son sens, il est donc essentiel de se demander comment être complémentaire de grandes organisations comme Google, et autres GAFA.


Pour parvenir à s’en sortir, « les professions libérales ne doivent pas être seules » a-t-il préconisé, car « il va falloir consentir à des investissements dans de nombreux domaines technologiques. Ces derniers seront lourds, et la seule solution sera de mutualiser les coûts. »


Très optimiste, Bénédicte Bury a déclaré que les professions libérales étaient « une chance pour les jeunes. La quête d'autonomie, la quête d'horizontalité, la quête de sens, la quête de flexibilité, tout ça les professions libérales peuvent l’offrir aux jeunes. »


En outre, pour l’avocate, comme pour Nicolas Bouzou, les professions libérales devront à l’avenir mutualiser leur savoir-faire pour s’en sortir.


Régis Chaumont a quant à lui assuré que les professions libérales seraient indispensables dans la société à venir : « Nous sommes de formidables observateurs de la société ; nous savons l’observer et pouvons apporter de nouvelles idées pour faire avancer les choses. » Puis d’ajouter un peu amusé :
« Et pourquoi pas construire des facultés dans des stations de ski, il y a de la place ».


Enfin, Xavier Bertrand a conclu le débat en faisant un résumé des propos échangés lors de cette table ronde : « Si vous voulez que les gens vivent là où ils ont envie, il faut qu'il y ait un certain nombre de services ou activités de commerce, pas seulement dans les villes moyennes, mais également dans les bourgs, les centres… ».


Le président du Conseil régional des Hauts-de-France a affirmé qu’il fallait également encourager ceux qui mènent des politiques d’aménagement qui vont dans ce sens, en faisant notamment évoluer la fiscalité.


Il est enfin indispensable, pour ce dernier, de ne pas céder à la tentation de l’uniformisation, mais de conserver « cette dimension humaine qui fait la différence dans nos sociétés ».


Quant à la concurrence exacerbée, il faut s’en méfier, car « à un moment donné, on peut basculer dans d'autres systèmes ».


Bref, pour le président du Conseil régional des Hauts-de-France, « ce n’est pas en faisant la peau des professions libérales qu'on fera des économies. On aura simplement changé ce qui fait la particularité de notre modèle français ».


 


Maria-Angélica Bailly


 


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