Le
29 novembre dernier, le Cercle Turgot a reçu Pierre-Antoine Donnet, spécialiste
de la Chine et ancien rédacteur en chef central de l'AFP, à l’occasion de la
sortie de son dernier livre sur l’empire du milieu intitulé Le dossier
chinois : Portrait d’un pays au bord de l’abîme.
Les
autorités chinoises ont mis fin au début du mois de décembre à la politique
zéro covid après des contestations historiques. Pierre-Antoine Donnet,
journaliste diplômé en science politique et en chinois, et ayant notamment vécu
six ans à Pékin en tant que correspondant pour l’Agence France Presse (AFP),
estimait le 29 novembre lors d’une conférence au Cercle Turgot que le
gouvernement aurait raison de « lâcher la bride et renoncer ».
Cependant, en cas de déconfinement soudain, une hécatombe était redoutée, car
la Chine ne possède que deux vaccins, Sinopharm et Sinovac, qui protègent seulement
aux alentours de 52 %. De plus, « on pense que moins de la moitié
des personnes de plus de 60 ans ont été vaccinées ».
D’après
l’auteur du livre Chine le Grand prédateur : un défi pour la
planète, la gestion de la crise du covid par l’élite chinoise « est
un désastre absolu et total », et Xi Jinping est « l’artisan
chef de cette politique » avec un confinement et une surveillance
constante grâce au développement de l’intelligence artificielle et de la
reconnaissance faciale. Cette surveillance a d’ailleurs « été
multipliée par cent, dans le cadre de la gestion du covid », précise
le spécialiste de la Chine.
Des contestations historiques
Plusieurs
centaines d’étudiants ont manifesté le dimanche 27 novembre sur le campus de la
prestigieuse université de Pékin, Tsinghua, contre le gouvernement et la
politique zéro covid. Des vidéos de manifestants scandant « démocratie,
État de droit, liberté d’expression » ont circulé sur les réseaux
sociaux. Plus tôt dans la semaine, le mercredi 23 novembre, d’autres images de
contestation ont circulé. Cette fois-ci, ce sont les employés de l’usine
Foxconn de Zhengzhou, où sont assemblés des appareils électroniques – dont les
iPhones –, qui ont montré leur mécontentement. Le journaliste indique qu’il a
été « surpris par l’ampleur ».
Le
lendemain ont circulé des vidéos montrant un immeuble résidentiel en flammes
duquel on pouvait entendre des cris. Une dizaine de personnes sont mortes et
neuf ont été blessées dans l’incendie, car les portes étaient fermées de
l’extérieur en raison des restrictions covid. « Ce n’est bien sûr pas
la version officielle », assure Pierre-Antoine Donnet, pour qui cet
événement a été un détonateur, car « même si la censure est très efficace,
elle n’est pas parfaite, cet événement montre finalement, que la personne
humaine ne compte pas en Chine ».
Pour le Parti communiste chinois,
l’individualité n’a pas de valeur. Le parti unique décide de tout, alors qu’il
représente seulement 7 % de la population chinoise. Toutefois, le
spécialiste de la Chine ressent « une exaspération totale partout dans
le pays. Par exemple il y a quelques mois, déjà dans cette ville de Shanghai,
les gens hurlaient leur souffrance, leur faim. Et même pour certains, leur haine
du Parti Communiste chinois. »
Premières images de contestations publiques depuis 1989
Pour
l’invité du Cercle Turgot, ces « scènes sont absolument ahurissantes »
et lui rappellent les manifestations de la place de Tian’anmen de 1989, lors desquelles
une très violente répression avait permis de contenir la révolte après
plusieurs semaines de manifestation. À l’époque, les étudiants dénonçaient la
corruption et réclamaient des réformes politiques et démocratiques. Le
gouvernement, de son côté, reconnaît cet événement comme les « troubles
politiques du printemps et de l'été 1989 ».
D’ailleurs, selon les
chiffres officiels, uniquement des soldats sont décédés. Mais d’après un télégramme
secret envoyé le 5 juillet 1989, conservé par les archives britanniques en comptabilisent 10 000,
contre 241 pour les autorités chinoises. Toute commémoration ou allusion à cet
événement est d’ailleurs interdite en Chine ; pour détourner la censure,
la population chinoise utilise le terme de 35 mai. Les autorités
chinoises pensaient que « la désinformation quotidienne et les
tombereaux de fake news allaient provoquer une sorte de brainwashing, qui
finalement s’est transformée en sorte de solidarité ».
200 000
personnes sont employées pour censurer les publications sur le web qui
déplaisent aux autorités. Pour le spécialiste, le problème vient du fait que
les images sont visibles pendant les premières minutes après leur parution, avant
que la censure intervienne, les vidéos sont donc vues, « d’un côté le
mal est déjà fait, car cela se voit ».
20 % de chômeurs chez les moins de 24 ans
Durant
30 ans, la croissance du PIB augmentait d’environ 10 % chaque année.
Néanmoins, depuis 2019, « l’économie commence à plonger ».
L’objectif officiel des autorités chinoises est d’atteindre 5,5 % du PIB
en 2022. Pour Pierre-Antoine Donnet, cet objectif ne sera pas atteint : « s’ils
atteignent 3 % ce sera déjà bien ». Mais il risque d’y avoir
des répercussions économiques et sociales considérables sur le pays. Le
chômage est en train de grandir, en particulier chez les jeunes de moins de 24
ans, dont 20 % sont au chômage, provoquant la paralysie de certaines
chaînes de production. Des usines sont obligées de fermer.
L’on constate
également des problèmes d’alimentation pour la population chinoise. Les Américains ont commencé à délocaliser la production des IPhone vers le Vietnam
et l’Inde. Certains hommes d’affaires sont en train de quitter le pays. « L’eldorado
de la Chine que les hommes d’affaires pensaient infini est aujourd’hui en train
de se révéler dans toute sa faiblesse. »
Xi Jinping ne fait pas l’unanimité au sein du
Parti Communiste chinois
Au
sein du Parti communiste chinois, celui qui dirige travaille avec tous les membres du bureau
politique, c’est-à-dire qu’ils sont consultés et ont un droit de regard,
notamment sur les décisions prises par la commission permanente du parti qui
regroupe les membres les plus importants du bureau politique. Mais cette
collégialité a disparu, car Xi Jinping a placé ses fidèles au sein de la
commission permanente. La disparition de la collégialité fait grincer des dents
à l’intérieur du Parti Communiste. « Je ne dirais pas que les jours
sont comptés pour Xi Jinping, évidemment lire dans une boule de cristal pour la
Chine ce serait une erreur monumentale, mais je pense que c’est le début d'un
changement », assure Pierre-Antoine Donnet.
Tina Millet