Le tribunal judiciaire des
Sables-d’Olonne a mis au point un outil statistique qui permet de repérer les
zones à risque et d’informer les magistrats sur le profil des auteurs de
violences. Loin d’un programme prédictif dystopique à la Minority Report, ce dispositif vise avant tout
à objectiver la manière dont sont jugées les VIF au sein du ressort.
De juriste à cartographe, il
n’y a qu’un pas pour les magistrats en charge des violences intrafamiliales
(VIF) au tribunal judiciaire des Sables-d’Olonne. A l’occasion d’un séminaire
organisé en mai par la cour d’appel de Poitiers, la présidente du TJ de la
commune balnéaire, Emilie Rayneau, ainsi que la procureure Gwénaelle Coto, ont
présenté un outil de visualisation spatiale mis en place en 2021 visant à mieux
appréhender les VIF sur le ressort.
« Nous n’avions pas
assez d’éléments nous permettant de profiter d’une analyse assez fine de la
façon dont les VIF étaient jugées. Nous manquions également d’informations sur
le profil de leurs auteurs », explique Emilie Rayneau. Fruit d’une
réflexion menée antérieurement avec Olivier Couvignon, ancien procureur, l’idée
d’une cartographie nait avec la volonté d’apporter une meilleure réponse aux
affaires traitées par le ressort.
« Cette cartographie
nous donne la possibilité de mieux adapter les peines et les sanctions
prononcées »
- Emilie Rayneau, présidente du tribunal judiciaire des Sables-d'Olonne
Pensé comme un dispositif qui
pourrait être déployé sur l’ensemble des juridictions de la cour d’appel de
Poitiers, l’outil se prouve déjà très utile : « Cette cartographie
nous donne la possibilité de mieux adapter les peines et les sanctions
prononcées, notamment dans un but de prévention de la récidive. Nous
l’utilisons également dans un dialogue avec nos partenaires, comme les forces
de sécurité intérieures, mais également les associations d’aide aux victimes,
le SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation, ndlr], ou
encore les élus locaux, pour essayer de lutter ensemble contre ces violences,
sur le territoire », expose la présidente du TJ des Sables-d’Olonne.
Battre en brèche les préjugés
Pour établir la cartographie,
plusieurs critères sont pris en compte, à commencer par des éléments géographiques.
« Sur les 60 communes situées sur le ressort du tribunal correctionnel
des Sables-d’Olonne, 68% d’entre elles sont concernées par des faits de VIF sur
l’année 2023 » affiche Gwénaelle Coto. Grâce à l’identification de
spots à haute délinquance, ces statistiques permettent, en accord avec les élus
ou les acteurs concernés, de développer des structures appropriées à l’accueil
des victimes.
Outre cette fonctionnalité de
géolocalisation des prévenus, le dispositif fournit une analyse de leurs
profils. Parmi les 209 auteurs présentés devant le tribunal correctionnel en
2023, 188 étaient des hommes, et 14 auteurs étaient poursuivis dans le cadre de
violences réciproques, soit 10% des profils. Le portrait démographique étonne
aussi. « On pourrait croire que la tranche jeune est la plus concernée, mais c’est
en fait celle des 40-59 ans qui est prédominante, à 43%, contre 39% des 25-39
ans et 7% des moins de 25 ans », révèle la procureure. De quoi battre
en brèche certains préjugés.
A partir de ces statistiques,
il est donc possible de dégager un profil type d’agresseur. Selon la
cartographie 2023 des Sables-d’Olonne, l’auteur type de VIF serait un
homme âgé de 40 à 59 ans, pas forcément inactif (23% d’inactifs, contre 22%
d’employés et 21% d’ouvriers). A noter que la région connait un contexte
socio-économique favorable avec un faible taux de chômage. Cette personne ne
dispose en outre pas de condamnations antérieures, ni n’est connue pour des
infractions en lien avec la consommation d’alcool ou de stupéfiants.
Ces résultats sont toutefois
à nuancer puisque les travaux de la psychiatre et médecin légiste Alexia
Delbreil, spécialiste de l’homicide conjugal, souligne, dans le cas de
féminicides, une majorité de situations d’alcoolisation et d’inactivité,
propices au passage à l’acte.
Objectiver le travail de la
juridiction
En s’attachant à documenter
dans son outil les qualifications retenues ainsi que les décisions rendues, le tribunal
judiciaire des Sables-d’Olonne veut pouvoir quantifier ses propres pratiques. En 2023, ont ainsi été
prononcés 23% de sursis probatoire, 20% de sursis simple, 8% de prison ferme,
8% d’amende et 6% de relaxe. Si ces chiffres témoignent d’une variété des
peines, la comparaison du taux de relaxe avec d’autres juridictions pourrait revêtir
un grand intérêt dans le cadre de l’amélioration de la prise en charge des
affaires de VIF.
Appliquée dans seulement 43%
des peines complémentaires, l’interdiction de détenir une arme est pointée du
doigt par Gwenola Joly-Coz, première présidente de la cour d’appel de
Poitiers : « On sait à quel point dans la prédictibilité du
passage à l’acte, le fait de détenir une arme est un facteur très important… C ’est
un vrai sujet. Il n’est pas rare dans nos dossiers que nos prévenus soient chasseurs
ou tireurs dans un club sportif. »
Perfectibles, les critères
d’étude de la cartographie demandent encore à être complétés. Y avait-il des circonstances
aggravantes pendant les faits ? Des mineurs étaient-ils présents ?
Les prévenus ont-ils déménagé dans leur parcours ? Ce dernier critère de
déplacement est un élément connu du contrôle coercitif,
favorable à l’isolement de la victime.
Le profil des victimes mériterait
également une attention particulière, fait remarquer la présidente du tribunal judiciaire
des Sables-d’Olonne, qui compte désormais sur de nouvelles collaborations pour poursuivre l'expérimentation : « Nous avons envie de
recruter ou de nous entourer de profils plus spécialisés pour approfondir cette
étude, dans une véritable démarche d’analyse », partage Emilie
Rayneau.
Laurène
Secondé