JUSTICE

DOSSIER. Cartographier les VIF pour mieux les juger

DOSSIER. Cartographier les VIF pour mieux les juger
Sur 209 auteurs de VIF recensés par le tribunal en 2023, 188 étaient des hommes
Publié le 16/07/2024 à 08:00

Le tribunal judiciaire des Sables-d’Olonne a mis au point un outil statistique qui permet de repérer les zones à risque et d’informer les magistrats sur le profil des auteurs de violences. Loin d’un programme prédictif dystopique à la Minority Report, ce dispositif vise avant tout à objectiver la manière dont sont jugées les VIF au sein du ressort.


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De juriste à cartographe, il n’y a qu’un pas pour les magistrats en charge des violences intrafamiliales (VIF) au tribunal judiciaire des Sables-d’Olonne. A l’occasion d’un séminaire organisé en mai par la cour d’appel de Poitiers, la présidente du TJ de la commune balnéaire, Emilie Rayneau, ainsi que la procureure Gwénaelle Coto, ont présenté un outil de visualisation spatiale mis en place en 2021 visant à mieux appréhender les VIF sur le ressort.

« Nous n’avions pas assez d’éléments nous permettant de profiter d’une analyse assez fine de la façon dont les VIF étaient jugées. Nous manquions également d’informations sur le profil de leurs auteurs », explique Emilie Rayneau. Fruit d’une réflexion menée antérieurement avec Olivier Couvignon, ancien procureur, l’idée d’une cartographie nait avec la volonté d’apporter une meilleure réponse aux affaires traitées par le ressort.

« Cette cartographie nous donne la possibilité de mieux adapter les peines et les sanctions prononcées »

- Emilie Rayneau, présidente du tribunal judiciaire des Sables-d'Olonne

Pensé comme un dispositif qui pourrait être déployé sur l’ensemble des juridictions de la cour d’appel de Poitiers, l’outil se prouve déjà très utile : « Cette cartographie nous donne la possibilité de mieux adapter les peines et les sanctions prononcées, notamment dans un but de prévention de la récidive. Nous l’utilisons également dans un dialogue avec nos partenaires, comme les forces de sécurité intérieures, mais également les associations d’aide aux victimes, le SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation, ndlr], ou encore les élus locaux, pour essayer de lutter ensemble contre ces violences, sur le territoire », expose la présidente du TJ des Sables-d’Olonne.

Battre en brèche les préjugés

Pour établir la cartographie, plusieurs critères sont pris en compte, à commencer par des éléments géographiques. « Sur les 60 communes situées sur le ressort du tribunal correctionnel des Sables-d’Olonne, 68% d’entre elles sont concernées par des faits de VIF sur l’année 2023 » affiche Gwénaelle Coto. Grâce à l’identification de spots à haute délinquance, ces statistiques permettent, en accord avec les élus ou les acteurs concernés, de développer des structures appropriées à l’accueil des victimes.

Outre cette fonctionnalité de géolocalisation des prévenus, le dispositif fournit une analyse de leurs profils. Parmi les 209 auteurs présentés devant le tribunal correctionnel en 2023, 188 étaient des hommes, et 14 auteurs étaient poursuivis dans le cadre de violences réciproques, soit 10% des profils. Le portrait démographique étonne aussi. « On pourrait croire que la tranche jeune est la plus concernée, mais c’est en fait celle des 40-59 ans qui est prédominante, à 43%, contre 39% des 25-39 ans et 7% des moins de 25 ans », révèle la procureure. De quoi battre en brèche certains préjugés.

A partir de ces statistiques, il est donc possible de dégager un profil type d’agresseur. Selon la cartographie 2023 des Sables-d’Olonne, l’auteur type de VIF serait un homme âgé de 40 à 59 ans, pas forcément inactif (23% d’inactifs, contre 22% d’employés et 21% d’ouvriers). A noter que la région connait un contexte socio-économique favorable avec un faible taux de chômage. Cette personne ne dispose en outre pas de condamnations antérieures, ni n’est connue pour des infractions en lien avec la consommation d’alcool ou de stupéfiants.

Ces résultats sont toutefois à nuancer puisque les travaux de la psychiatre et médecin légiste Alexia Delbreil, spécialiste de l’homicide conjugal, souligne, dans le cas de féminicides, une majorité de situations d’alcoolisation et d’inactivité, propices au passage à l’acte.  

Objectiver le travail de la juridiction

En s’attachant à documenter dans son outil les qualifications retenues ainsi que les décisions rendues, le tribunal judiciaire des Sables-d’Olonne veut pouvoir quantifier ses propres pratiques. En 2023, ont ainsi été prononcés 23% de sursis probatoire, 20% de sursis simple, 8% de prison ferme, 8% d’amende et 6% de relaxe. Si ces chiffres témoignent d’une variété des peines, la comparaison du taux de relaxe avec d’autres juridictions pourrait revêtir un grand intérêt dans le cadre de l’amélioration de la prise en charge des affaires de VIF.

Appliquée dans seulement 43% des peines complémentaires, l’interdiction de détenir une arme est pointée du doigt par Gwenola Joly-Coz, première présidente de la cour d’appel de Poitiers : « On sait à quel point dans la prédictibilité du passage à l’acte, le fait de détenir une arme est un facteur très important… C ’est un vrai sujet. Il n’est pas rare dans nos dossiers que nos prévenus soient chasseurs ou tireurs dans un club sportif. » 

Perfectibles, les critères d’étude de la cartographie demandent encore à être complétés. Y avait-il des circonstances aggravantes pendant les faits ? Des mineurs étaient-ils présents ? Les prévenus ont-ils déménagé dans leur parcours ? Ce dernier critère de déplacement est un élément connu du contrôle coercitif, favorable à l’isolement de la victime.

Le profil des victimes mériterait également une attention particulière, fait remarquer la présidente du tribunal judiciaire des Sables-d’Olonne, qui compte désormais sur de nouvelles collaborations pour poursuivre l'expérimentation : « Nous avons envie de recruter ou de nous entourer de profils plus spécialisés pour approfondir cette étude, dans une véritable démarche d’analyse », partage Emilie Rayneau.

Laurène Secondé

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