Distribué à 5,5 millions de
foyers, ce dispositif destiné à soutenir les ménages modestes pour le paiement
de leurs factures énergétiques ou le financement de travaux de rénovation est
contesté. Un rapport du 22 juillet 2025 souligne qu’il pourrait nuire aux
objectifs climatiques. Plusieurs associations dénoncent une atteinte directe
aux foyers les plus précaires.
« Le fait que le chèque
puisse financer tout type d’énergie va à l’encontre des objectifs climatiques
de la France, puisqu’il aboutit à subventionner pareillement l’usage d’énergies
carbonées et décarbonées » : c’est ce que constate un rapport de
l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale de
l’environnement et du développement durable (IGEDD), intitulé « Moyens publics et pratiques dommageables à la
biodiversité ». Une observation qui s’appuie notamment sur
un avis de l’Observatoire national de la biodiversité (ONB), lui-même fondé sur
un rapport de la Cour des comptes datant de février 2022.
Concrètement, ce rapport
s’inscrit dans un examen plus large des 92 milliards d’aides publiques prévu
par la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) à l’horizon 2030.
L’objectif est donc d’identifier les subventions susceptibles d’avoir des
effets négatifs sur la biodiversité, d’en évaluer la finalité (transition
énergétique, souveraineté alimentaire, etc.) et, le cas échéant, d’en réduire
l’impact voire de les supprimer.
Créé par la loi sur la
transition énergétique du 17 août 2015 et généralisé au 1er janvier 2018, le
chèque énergie permet aux ménages modestes de payer leurs factures de gaz,
d’électricité, de fioul, de bois ou d’autres sources d’énergie. Ce dispositif,
qui bénéficie aujourd’hui à 5,5 millions de foyers - soit près de 20 % des
ménages - pour un coût de 795 millions d’euros (PLF 2024), pourrait être remis
en question à la suite de la publication de ce rapport.
C’est du moins la crainte
exprimée par plusieurs associations de consommateurs, dont l’ADEIC et l’ACLC. Dans un communiqué commun publié le 4 août, ces dernières alertent sur « le possible
impact » du rapport IGF-IGEDD sur l’avenir du chèque énergie et demandent
au gouvernement « d’en garantir le principe et le financement » dans le
cadre des discussions sur le budget 2026.
« Tout soutien à la
consommation d’énergie va à l’encontre de la sobriété énergétique »
« La mission considère que
tout soutien à la consommation d’énergie va à l’encontre de la sobriété
énergétique. En outre, elle a un impact partiellement défavorable à la
biodiversité pour la part relative aux énergies carbonées. La mission l’a donc
comptabilisée dans les dépenses à approfondir », note l’Inspection générale
des finances dans son rapport. Elle préconise ainsi de « supprimer
progressivement les dépenses fiscales dommageables des programmes 134, 174
(celui du chèque énergie), 203, 112 et 123 », quitte à leur substituer des
aides aux revenus non liées à la consommation d’énergie, ou à « conditionner
les compléments de revenus à des baisses de consommation d’énergie, y compris
pour certaines énergies dommageables ».
Des recommandations qui ne
convainquent pas les associations de consommateurs, qui jugent les alternatives
floues. Elles soulignent notamment la difficulté d’« identifier les
bénéficiaires potentiels » et s’interrogent sur la pertinence de demander
davantage de sobriété « à des ménages qui se chauffent peu, ou ne se
chauffent plus ».
Argument à l’appui : selon
le dernier état des lieux de la précarité énergétique publié en décembre 2024 établi
par l’Observatoire national de la Précarité Energétique, 30 % des Français
déclarent avoir souffert du froid chez eux durant l’hiver 2023-2024, soit plus
du double par rapport à 2020. Parmi eux, 41 % expliquent avoir réduit le
chauffage pour des raisons financières.
Le baromètre 2024 du
Médiateur national de l’énergie dresse un constat similaire : malgré les
restrictions volontaires, les interventions pour impayés ont augmenté de 24 %
par rapport à 2023, avec 1,2 million de coupures ou de limitations de puissance
(dont 309 000 coupures et 937 000 limitations).
D’ailleurs, les associations reprochent
aussi à la « mission IGF/IGEDD » de ne pas avoir pris en compte les
certificats d’économie d’énergie (CEE), rappelant que les bénéficiaires du
chèque énergie, comme tous les consommateurs, contribuaient déjà à « l’effort
de rénovation énergétique et de décarbonation en supportant le coût répercuté
sur leurs factures d’énergie ». À titre d’exemple, « ces CEE
représentent aujourd’hui environ un tiers des coûts commerciaux des
fournisseurs », assurent-elles.
Le maintien incertain du chèque
énergie en 2026
Pour la campagne 2025,
l’automaticité du chèque énergie sera en partie rétablie, mais ne concernera
pas l’ensemble des bénéficiaires. L’envoi, prévu en novembre - soit avec près
de huit mois de retard par rapport au calendrier habituel -, sera suivi d’une
période d’ouverture du guichet jusqu’en février 2026. Ce décalage résulte de
l’adoption tardive des textes financiers.
Une version dématérialisée,
le « e-Chèque énergie », fera aussi son apparition pour faciliter son
utilisation en ligne. Par ailleurs, un décret publié le 31 juillet précise que
l’attribution reposera désormais sur le numéro de Point de Livraison (PDL) d’électricité
du logement et sur les revenus du foyer fiscal, en remplacement de la taxe
d’habitation supprimée en 2023.
Pour les années à venir, rien
n’assure que le chèque énergie sera maintenu, sa reconduction dépendant des
arbitrages prévus dans le Projet de loi de finances 2026. Les associations
appellent à rester vigilants, estimant que « les politiques publiques en
matière d’énergie ne peuvent s’exonérer des exigences de la solidarité, et
abandonner tout un pan de la société en grande souffrance ».
La situation économique actuelle
suscite également des interrogations. Déjà lourde à assumer pour de nombreux
ménages, l’absence de garantie sur le remplacement des aides pourrait avoir de
lourdes conséquences, alertent les associations dans leur communiqué : « Alors
que la rénovation énergétique est durement frappée par de nouvelles
dispositions réglementaires défavorables, (telles que la modification du
coefficient d’énergie primaire qui va artificiellement améliorer l’étiquette
énergétique des DPE sans le moindre geste d’isolation et remettre sur le marché
des centaines de milliers de logements “indécents”, dont la rénovation […] est
suspendue faute de budget, puis relancée pour un nombre de logements très
inférieur aux objectifs de l’État), réduire ou supprimer le bénéfice du chèque
énergie pour les ménages les plus fragiles serait compris comme une
manifestation d’indifférence, voire de mépris à leur égard. »
Romain
Tardino