ÉCONOMIE

Dans le viseur de l’Inspection générale des finances, le chèque énergie pourrait disparaître

Dans le viseur de l’Inspection générale des finances, le chèque énergie pourrait disparaître
Les consommateurs craignent le retrait du chèque énergie. MATHIEU THOMASSET/Hans Lucas via AFP
Publié le 20/08/2025 à 08:47

Distribué à 5,5 millions de foyers, ce dispositif destiné à soutenir les ménages modestes pour le paiement de leurs factures énergétiques ou le financement de travaux de rénovation est contesté. Un rapport du 22 juillet 2025 souligne qu’il pourrait nuire aux objectifs climatiques. Plusieurs associations dénoncent une atteinte directe aux foyers les plus précaires.

« Le fait que le chèque puisse financer tout type d’énergie va à l’encontre des objectifs climatiques de la France, puisqu’il aboutit à subventionner pareillement l’usage d’énergies carbonées et décarbonées » : c’est ce que constate un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), intitulé « Moyens publics et pratiques dommageables à la biodiversité ». Une observation qui s’appuie notamment sur un avis de l’Observatoire national de la biodiversité (ONB), lui-même fondé sur un rapport de la Cour des comptes datant de février 2022.

Concrètement, ce rapport s’inscrit dans un examen plus large des 92 milliards d’aides publiques prévu par la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) à l’horizon 2030. L’objectif est donc d’identifier les subventions susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la biodiversité, d’en évaluer la finalité (transition énergétique, souveraineté alimentaire, etc.) et, le cas échéant, d’en réduire l’impact voire de les supprimer.

Créé par la loi sur la transition énergétique du 17 août 2015 et généralisé au 1er janvier 2018, le chèque énergie permet aux ménages modestes de payer leurs factures de gaz, d’électricité, de fioul, de bois ou d’autres sources d’énergie. Ce dispositif, qui bénéficie aujourd’hui à 5,5 millions de foyers - soit près de 20 % des ménages - pour un coût de 795 millions d’euros (PLF 2024), pourrait être remis en question à la suite de la publication de ce rapport.

C’est du moins la crainte exprimée par plusieurs associations de consommateurs, dont l’ADEIC et l’ACLC. Dans un communiqué commun publié le 4 août, ces dernières alertent sur « le possible impact » du rapport IGF-IGEDD sur l’avenir du chèque énergie et demandent au gouvernement « d’en garantir le principe et le financement » dans le cadre des discussions sur le budget 2026.

« Tout soutien à la consommation d’énergie va à l’encontre de la sobriété énergétique »

« La mission considère que tout soutien à la consommation d’énergie va à l’encontre de la sobriété énergétique. En outre, elle a un impact partiellement défavorable à la biodiversité pour la part relative aux énergies carbonées. La mission l’a donc comptabilisée dans les dépenses à approfondir », note l’Inspection générale des finances dans son rapport. Elle préconise ainsi de « supprimer progressivement les dépenses fiscales dommageables des programmes 134, 174 (celui du chèque énergie), 203, 112 et 123 », quitte à leur substituer des aides aux revenus non liées à la consommation d’énergie, ou à « conditionner les compléments de revenus à des baisses de consommation d’énergie, y compris pour certaines énergies dommageables ».

Des recommandations qui ne convainquent pas les associations de consommateurs, qui jugent les alternatives floues. Elles soulignent notamment la difficulté d’« identifier les bénéficiaires potentiels » et s’interrogent sur la pertinence de demander davantage de sobriété « à des ménages qui se chauffent peu, ou ne se chauffent plus ».

Argument à l’appui : selon le dernier état des lieux de la précarité énergétique publié en décembre 2024 établi par l’Observatoire national de la Précarité Energétique, 30 % des Français déclarent avoir souffert du froid chez eux durant l’hiver 2023-2024, soit plus du double par rapport à 2020. Parmi eux, 41 % expliquent avoir réduit le chauffage pour des raisons financières.

Le baromètre 2024 du Médiateur national de l’énergie dresse un constat similaire : malgré les restrictions volontaires, les interventions pour impayés ont augmenté de 24 % par rapport à 2023, avec 1,2 million de coupures ou de limitations de puissance (dont 309 000 coupures et 937 000 limitations).

D’ailleurs, les associations reprochent aussi à la « mission IGF/IGEDD » de ne pas avoir pris en compte les certificats d’économie d’énergie (CEE), rappelant que les bénéficiaires du chèque énergie, comme tous les consommateurs, contribuaient déjà à « l’effort de rénovation énergétique et de décarbonation en supportant le coût répercuté sur leurs factures d’énergie ». À titre d’exemple, « ces CEE représentent aujourd’hui environ un tiers des coûts commerciaux des fournisseurs », assurent-elles.

Le maintien incertain du chèque énergie en 2026

Pour la campagne 2025, l’automaticité du chèque énergie sera en partie rétablie, mais ne concernera pas l’ensemble des bénéficiaires. L’envoi, prévu en novembre - soit avec près de huit mois de retard par rapport au calendrier habituel -, sera suivi d’une période d’ouverture du guichet jusqu’en février 2026. Ce décalage résulte de l’adoption tardive des textes financiers.

Une version dématérialisée, le « e-Chèque énergie », fera aussi son apparition pour faciliter son utilisation en ligne. Par ailleurs, un décret publié le 31 juillet précise que l’attribution reposera désormais sur le numéro de Point de Livraison (PDL) d’électricité du logement et sur les revenus du foyer fiscal, en remplacement de la taxe d’habitation supprimée en 2023.

Pour les années à venir, rien n’assure que le chèque énergie sera maintenu, sa reconduction dépendant des arbitrages prévus dans le Projet de loi de finances 2026. Les associations appellent à rester vigilants, estimant que « les politiques publiques en matière d’énergie ne peuvent s’exonérer des exigences de la solidarité, et abandonner tout un pan de la société en grande souffrance ».

La situation économique actuelle suscite également des interrogations. Déjà lourde à assumer pour de nombreux ménages, l’absence de garantie sur le remplacement des aides pourrait avoir de lourdes conséquences, alertent les associations dans leur communiqué : « Alors que la rénovation énergétique est durement frappée par de nouvelles dispositions réglementaires défavorables, (telles que la modification du coefficient d’énergie primaire qui va artificiellement améliorer l’étiquette énergétique des DPE sans le moindre geste d’isolation et remettre sur le marché des centaines de milliers de logements “indécents”, dont la rénovation […] est suspendue faute de budget, puis relancée pour un nombre de logements très inférieur aux objectifs de l’État), réduire ou supprimer le bénéfice du chèque énergie pour les ménages les plus fragiles serait compris comme une manifestation d’indifférence, voire de mépris à leur égard. »

Romain Tardino

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