Si le changement climatique
est un « multiplicateur de risques » pouvant accroître les tensions, les armées
doivent se préparer à une augmentation des opérations de secours humanitaire
post catastophes naturelles et à l’inadaptation prochaine de leur matériel,
selon la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du
ministère des Armées.
Selon le dernier rapport du Groupe
intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec), une
augmentation globale de 1,5°C avant 2040 est inévitable. Sécheresses, pénurie
d’eau, incendies, élévation du niveau de la mer, tempêtes… vont donc
s’intensifier, menant à l’accroissement des difficultés alimentaires et
économiques. Alors que le Giec estime que 3,6 milliards d’individus vivent dans
des zones à risque, la migration environnementale pourrait aboutir au
déplacement de 216 millions de réfugiés à l’horizon 2050, selon la Banque
mondiale.
Or, ces crises auront de plus
en plus « comme conséquence inévitable d’exacerber des tensions entre
Etats, pouvant potentiellement déboucher sur des crises ouvertes, voire des
conflits », affirme le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dans la
préface d’une plaquette de la Direction générale des relations internationales
et de la stratégie du ministère des Armées (DGRIS). Intitulé « Changement
climatique : quels enjeux pour les armées ? », le document
précise que le changement climatique est un « multiplicateur des
risques » et peut accroître les tensions : montée de l’insécurité
alimentaire, accroissement des troubles sociaux, frictions autour de l’accès
aux ressources, mais, au-delà, la criminalité maritime comme moyen de survie
alternatif voire l’instrumentalisation des conséquences du dérèglement
climatique par des groupes terroristes sur les populations.
Un contexte qui affecte les
missions des armées
« [Le changement
climatique] affecte déjà le contexte stratégique international, et les
conditions dans lesquelles les forces armées exercent leurs missions » souligne
Sébastien Lecornu. Les armées doivent donc se préparer à opérer de plus en plus
souvent au soutien de ces crises. La multiplication des événements climatiques
extrêmes entraînera notamment « une augmentation des opérations de secours
humanitaire post catastophes naturelles » sur les territoire nationaux
et certains territoires fragiles comme les Caraïbes, précise la plaquette
de la DGRIS. Celle-ci indique par exemple qu’en août 2022, la composante
aérienne de la force Barkhane au Tchad a livré par les airs « près de 80
tonnes de vivres au village de Koulou Angarana à la suite d’importances inondations ».
En France, depuis 1984, dans le cadre de l’opération
Héphaïstos, les armées française luttent tous les étés contre des feux de forêt
de grande ampleur et « interviennent en étroite coordination avec les
unités militaires de la sécurité civile, les sapeurs-pompiers et l'office
national des forêts », résume un article du ministère des Armées
publié le 23 août, qui ajoute qu’en mer, les actions de la Marine nationale
liées à l’environnement et à sa protection « sont d’ores et déjà quotidiennes.
Plusieurs de ses activités sont consacrées à la surveillance des effets du
réchauffement climatique grâce à des images aériennes ».
Des conséquences sur le matériel et les
équipements
Parmi les autres conséquences
du réchauffement climatique sur les armées, l’usure du matériel et des
équipements, pointe la plaquette de la DGRIS. Ainsi, de façon imminente, « les
véhicules, aéronefs et systèmes d’arme devront se conformer à des climats plus
rudes » - montée du niveau de la mer, températures extrêmes, taux d’humidité
élevé, vents de sable plus intenses - susceptibles d’affecter leur
fonctionnement. « Le réchauffement climatique va par exemple amplifier
l’évaporation de l’eau, ce qui augmentera les risques de givrage pour les
drones et certains aéronefs. De même, la température et la salinité accrues des
océans modifient l’acoustique sous-marine. La Marine nationale devra donc faire
évoluer la manière dont elle détecte les sous-marins ennemis »,
récapitule l’article du ministère des Armées.
Côté infrastructures,
certains sites militaires, qui font l’objet d’un suivi, pourraient bien être
déplacés à l’avenir, du fait de la montée des eaux et des risques d’inondation
dans certaines régions, comme en Indopacifique. En parallèle, le changement
climatique génère de nouveaux risques sanitaires (coups de chaleur, « déplacement »
des maladies zoonotiques ou encore propagation des maladies infectieuses) contre
lesquels les armées devront être protégés.
Des initiatives pour faire
face aux menaces
Face à ces menaces, un certain nombre de travaux
et initiatives sont menés. Par exemple, en 2021, une méthodologie globale d’anticipation
et d’évaluation des impacts potentiels du changement climatique sur les « infrastructures
civiles et militaires critiques » a été mise au point sur la base d’une
étude de terrain menée en Afrique, et sera bientôt appliquée à l’ensemble des bases
militaires vulnérables.
A citer également le projet « éco-camp »,
développé par Service d’infrastructure de la défense, destiné à réduire la
consommation et augmenter autonomie énergétique et hydrique des camps
militaires en opération extérieure pour mieux accomplir leurs missions, ou
encore le Symposium naval de l’océan Indien à la Réunion, dont le thème central
était dédié à la sécurité environnementale.
En France, en 2022, Florence
Parly, alors ministre des Armées, a approuvé le projet de stratégie
ministérielle « Climat et Défense », « première à l’échelle
des Etats de l’UE ». Ce projet s’articule autour de 4 grands
axes : développer les connaissances et les capacités d’anticipation sur
les enjeux stratégiques du changement climatique, engager une dynamique d’adaptation
de l’outil de défense aux bouleversements prévisibles induits par le changement
climatique ; poursuivre la contribution du ministère des Armées aux efforts
collectifs en matière d’atténuation et de transition énergétique ; intensifier
la dynamique de coopération sur les enjeux de défense du changement climatique
au sein du ministère et aux niveaux interministériel et international.
Un chantier pour lequel il
sera nécessaire d’être bien entouré : face à « défi global,
multifacettes » et « multitude de risques », le Major
général des armées Éric Autellet, à qui a été confiée la mission de coordonner
la mise en œuvre de la stratégie Climat et Défense, indique, dans la préface de
la plaquette de la DGRIS, s’appuyer sur des partenaires extérieurs, « notamment
des établissements scientifiques, de recherche et de conseil, mais aussi de
grandes entreprises qui peuvent faire bénéficier de leur savoir-faire pour
établir une cartographie des risques climatiques ».
Bérengère Margaritelli
Lucie Barguisseau