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Dérèglement climatique et armées, quel rapport ?

Dérèglement climatique et armées, quel rapport ?
Publié le 30/09/2023 à 14:00

Si le changement climatique est un « multiplicateur de risques » pouvant accroître les tensions, les armées doivent se préparer à une augmentation des opérations de secours humanitaire post catastophes naturelles et à l’inadaptation prochaine de leur matériel, selon la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées.

Selon le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec), une augmentation globale de 1,5°C avant 2040 est inévitable. Sécheresses, pénurie d’eau, incendies, élévation du niveau de la mer, tempêtes… vont donc s’intensifier, menant à l’accroissement des difficultés alimentaires et économiques. Alors que le Giec estime que 3,6 milliards d’individus vivent dans des zones à risque, la migration environnementale pourrait aboutir au déplacement de 216 millions de réfugiés à l’horizon 2050, selon la Banque mondiale.

Or, ces crises auront de plus en plus « comme conséquence inévitable d’exacerber des tensions entre Etats, pouvant potentiellement déboucher sur des crises ouvertes, voire des conflits », affirme le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dans la préface d’une plaquette de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées (DGRIS). Intitulé « Changement climatique : quels enjeux pour les armées ? », le document précise que le changement climatique est un « multiplicateur des risques » et peut accroître les tensions : montée de l’insécurité alimentaire, accroissement des troubles sociaux, frictions autour de l’accès aux ressources, mais, au-delà, la criminalité maritime comme moyen de survie alternatif voire l’instrumentalisation des conséquences du dérèglement climatique par des groupes terroristes sur les populations.

Un contexte qui affecte les missions des armées

« [Le changement climatique] affecte déjà le contexte stratégique international, et les conditions dans lesquelles les forces armées exercent leurs missions » souligne Sébastien Lecornu. Les armées doivent donc se préparer à opérer de plus en plus souvent au soutien de ces crises. La multiplication des événements climatiques extrêmes entraînera notamment « une augmentation des opérations de secours humanitaire post catastophes naturelles » sur les territoire nationaux et certains territoires fragiles comme les Caraïbes, précise la plaquette de la DGRIS. Celle-ci indique par exemple qu’en août 2022, la composante aérienne de la force Barkhane au Tchad a livré par les airs « près de 80 tonnes de vivres au village de Koulou Angarana à la suite d’importances inondations ».

En France, depuis 1984, dans le cadre de l’opération Héphaïstos, les armées française luttent tous les étés contre des feux de forêt de grande ampleur et « interviennent en étroite coordination avec les unités militaires de la sécurité civile, les sapeurs-pompiers et l'office national des forêts », résume un article du ministère des Armées publié le 23 août, qui ajoute qu’en mer, les actions de la Marine nationale liées à l’environnement et à sa protection « sont d’ores et déjà quotidiennes. Plusieurs de ses activités sont consacrées à la surveillance des effets du réchauffement climatique grâce à des images aériennes ».

Des conséquences sur le matériel et les équipements

Parmi les autres conséquences du réchauffement climatique sur les armées, l’usure du matériel et des équipements, pointe la plaquette de la DGRIS. Ainsi, de façon imminente, « les véhicules, aéronefs et systèmes d’arme devront se conformer à des climats plus rudes » - montée du niveau de la mer, températures extrêmes, taux d’humidité élevé, vents de sable plus intenses - susceptibles d’affecter leur fonctionnement. « Le réchauffement climatique va par exemple amplifier l’évaporation de l’eau, ce qui augmentera les risques de givrage pour les drones et certains aéronefs. De même, la température et la salinité accrues des océans modifient l’acoustique sous-marine. La Marine nationale devra donc faire évoluer la manière dont elle détecte les sous-marins ennemis », récapitule l’article du ministère des Armées.

Côté infrastructures, certains sites militaires, qui font l’objet d’un suivi, pourraient bien être déplacés à l’avenir, du fait de la montée des eaux et des risques d’inondation dans certaines régions, comme en Indopacifique. En parallèle, le changement climatique génère de nouveaux risques sanitaires (coups de chaleur, « déplacement » des maladies zoonotiques ou encore propagation des maladies infectieuses) contre lesquels les armées devront être protégés.

Des initiatives pour faire face aux menaces

Face à ces menaces, un certain nombre de travaux et initiatives sont menés. Par exemple, en 2021, une méthodologie globale d’anticipation et d’évaluation des impacts potentiels du changement climatique sur les « infrastructures civiles et militaires critiques » a été mise au point sur la base d’une étude de terrain menée en Afrique, et sera bientôt appliquée à l’ensemble des bases militaires vulnérables.

A citer également le projet « éco-camp », développé par Service d’infrastructure de la défense, destiné à réduire la consommation et augmenter autonomie énergétique et hydrique des camps militaires en opération extérieure pour mieux accomplir leurs missions, ou encore le Symposium naval de l’océan Indien à la Réunion, dont le thème central était dédié à la sécurité environnementale.

En France, en 2022, Florence Parly, alors ministre des Armées, a approuvé le projet de stratégie ministérielle « Climat et Défense », « première à l’échelle des Etats de l’UE ». Ce projet s’articule autour de 4 grands axes : développer les connaissances et les capacités d’anticipation sur les enjeux stratégiques du changement climatique, engager une dynamique d’adaptation de l’outil de défense aux bouleversements prévisibles induits par le changement climatique ; poursuivre la contribution du ministère des Armées aux efforts collectifs en matière d’atténuation et de transition énergétique ; intensifier la dynamique de coopération sur les enjeux de défense du changement climatique au sein du ministère et aux niveaux interministériel et international.

Un chantier pour lequel il sera nécessaire d’être bien entouré : face à « défi global, multifacettes » et « multitude de risques », le Major général des armées Éric Autellet, à qui a été confiée la mission de coordonner la mise en œuvre de la stratégie Climat et Défense, indique, dans la préface de la plaquette de la DGRIS, s’appuyer sur des partenaires extérieurs, « notamment des établissements scientifiques, de recherche et de conseil, mais aussi de grandes entreprises qui peuvent faire bénéficier de leur savoir-faire pour établir une cartographie des risques climatiques ».

Bérengère Margaritelli

Lucie Barguisseau

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