Entre des normes exigeantes, a
priori antinomiques avec le cas par cas, et le maintien en bon état de nos
édifices anciens, le diagnostic de performance énergétique (DPE) et la
préservation du patrimoine font-ils bon ménage ?
La question s’est posée à la
maison du Barreau (Paris), jeudi 7 novembre dernier, à l’occasion des Journées
Juridiques du Patrimoine, organisées par la fédération
Patrimoine-Environnement, qui rassemble des associations locales et régionales, des collectivités et des
particuliers autour de l’objectif de la préservation du patrimoine bâti, qu’il
soit protégé ou non.
Force de proposition pour l’évolution du droit, celle-ci organise tous les ans les Journées Juridiques du Patrimoine, dans le but de
penser les moyens juridiques et règlementaires qui permettraient de conserver,
de mettre en valeur et de développer le patrimoine et les paysages français. Et
c’est précisément dans ce cadre qu’il a été question du DPE et des possibilités
de l’adapter à la prise en charge des bâtiments patrimoniaux.
Le secrétaire général adjoint
de la fédération Patrimoine-Environnement, Loïc Dusseau, précise en préambule
que le bâti ancien soulève des enjeux particuliers dans le cadre de la
transition écologique, puisqu’il implique d’être rénové et préservé sans être
abîmé – ce qui peut, bien sûr, représenter un véritable défi. Il salue aussi le
rapport sénatorial du 25 septembre 2024 qui prévoit justement de tenir compte
des spécificités du bâti ancien dans la mise en œuvre des politiques
environnementales.
Revoir le DPE pour l’ancien
S’agissant du DPE,
Jean-François Hébert, directeur général des Patrimoines et de l’Architecture,
indique que le problème réside principalement dans sa « valeur
prescriptive » – puisque tout propriétaire a désormais l’obligation de
le présenter et qu’il entraîne des conséquences sur la façon de louer ou de
vendre son bien. Or, selon Jean-François Hébert, le DPE est « inadapté »
aux caractéristiques spécifiques du bâti ancien, c’est-à-dire aux bâtiments
construits avant 1948. Ceux-ci constituent tout de même un tiers du parc de
logements national. Et puisque le DPE lui-même ne correspond pas à ces
bâtiments, les recommandations qui en découlent une fois le diagnostic posé ne
conviennent pas non plus. Il est ainsi à craindre qu’une mauvaise maîtrise de
l’outil que constitue le DPE mène à la sortie du parc locatif d’une quantité
importante d’anciens logements. Pour ce parc immobilier, il semble donc
nécessaire, selon Jean-François Hébert, de trouver l’équilibre entre l’intérêt
de son maintien et les enjeux liés à la transition écologique.
Plus exactement,
Jean-François Hébert affirme que la méthode mise en œuvre par le DPE n’est pas
à remettre en cause, en elle-même. Selon lui, ce sont les lacunes des
diagnostiqueurs en matière de bâti ancien qui posent des problèmes. Elles sont
imputables à une formation insuffisante. C’est donc surtout dans sa forme
actuelle que le DPE se révèle insuffisant, voire dangereux pour le bâti ancien,
parce que les éléments constitutifs intégrés dans son calcul s’avèrent
incomplets. Le directeur général des Patrimoines et de l’Architecture prend
l’exemple de la « dissimulation d’isolants » fréquente dans ce
type de bâtiments – par du béton sous les sols, entre autres – que les
diagnostiqueurs ne sont malheureusement pas formés à repérer.
Depuis plusieurs années, le
DPE se trouve néanmoins en cours d’adaptation aux bâtis anciens : la
qualité des diagnostics et la compétence des professionnels ont en effet été
significativement augmentées. Depuis le 1er janvier dernier, par
exemple, de nouveaux points portant spécifiquement sur le bâti ancien ont été
ajoutés aux questionnaires de recrutement des diagnostiqueurs. Le ministère de
la Transition écologique, s’il rejette la possibilité d’un DPE spécifique au
bâti ancien, a tout de même imposé deux jours de formation supplémentaire
entièrement consacrés aux enjeux soulevés par le bâti ancien dans le cursus des
diagnostiqueurs. Conscient du « long chemin » que représente
l’adaptation efficace du DPE au bâti ancien, Jean-François Hébert conclut tout
de même en se disant « confiant ».
Gilles Alglave, président des
Maisons Paysannes de France (MPF), ne partage pas le même sentiment. Au
contraire, il souligne le danger actuel encouru par le patrimoine français
parce qu’il n’est « ni protégé ni connu ». Or, il fait les
frais d’une dynamique qui opère en fonction de normes ne prenant pas en compte
son fonctionnement spécifique.
Au-delà de ce danger latent
pour le patrimoine, Gilles Alglave pointe aussi la « débauche d’argent
public » que représentent les isolations hasardeuses, telles que
celles réalisées par l’extérieur – qui font disparaître les façades en bois, en
pierre ou en terre, et qui mettent aussi les habitants eux-mêmes en situation
de risque. Selon lui, nous nous trouvons dans une véritable « dynamique
destructrice du patrimoine », en particulier parce que le patrimoine
rural français reste « le parent pauvre de l’étude et de la
formation ». Or, le bâti ancien, qui pâtit gravement de cette
dynamique destructrice actuelle, n’est pourtant pas, en général, constitué des
fameuses « passoires thermiques » – ces dernières désignant
plutôt les constructions des Trente Glorieuses.
Le président de MPF rappelle
aussi que le bâti ancien met en œuvre des matières naturelles, « tirées
du sol ». Ces matières se révèlent capables de prendre en charge
l’humidité – alors qu’après 1948, l’utilisation de matériaux imperméables a
prévalu. Et, selon lui, la force du bâti ancien repose justement sur le fait de
ne pas être isolé de son environnement, mais de composer avec lui. Il évoque
notamment la façon dont ces bâtiments se révèlent capables de conserver la
fraîcheur en période de fortes chaleurs – de plus en plus fréquentes – tandis
que le moderne nécessite bien souvent l’installation de climatiseurs.
Comme Jean-François Hébert,
Gilles Alglave constate que les choses évoluent, mais « pas assez
vite » à son goût – en particulier parce que « l’intelligence
et la logique » des modes constructifs passés restent trop peu
considérées.
Aller vers un DPE qui intègre
l’âge des constructions ?
Philippe Selle est un
« technicien du DPE ». Directeur
technique et pédagogique chez Hypérion Développement, il s’empresse d’expliquer
que l’objectif de son entreprise est de « faire évoluer » le
bâti existant plutôt que de le remplacer. En effet, la démolition de bâtiments
en place représente selon lui une catastrophe du point de vue écologique,
puisque l’empreinte carbone de ces immeubles doit être comptabilisée depuis
leur construction.
Il se souvient qu’à
l’origine, lors de sa mise en place en 2006, le DPE avait pour but d’informer
les acquéreurs et de guider les propriétaires vers la réduction des gaz à effet
de serre et de la consommation d’énergie de leur bâtiment. Mais au moment de
son déploiement, la nouveauté de cet outil et le manque de formation se sont
révélés particulièrement préjudiciables (sans parler des nombreuses fraudes,
puisque la valeur des biens est liée aux étiquettes DPE).
Pour le technicien, les
questions soulevées par le DPE ne sont pas liées au dispositif en lui-même,
mais aux contraintes qui lui sont attachées. Même si plusieurs choses lui
semblent susceptibles d’être améliorées, il pense que le dispositif reste une « bonne
base » pour comparer les bâtiments les uns aux autres. C’est d’autant
plus vrai depuis que les enseignements prodigués aux diagnostiqueurs sont plus
complets et intègrent de la formation continue. Il relève par ailleurs
l’importance de l’indépendance des diagnostiqueurs et la nécessité d’éviter
l’influence de tout lobby.
Philippe Selle considère que
le DPE reste perfectible, en particulier dans son adaptation au bâti ancien.
Cependant, il ne faut pas oublier qu’il permet d’obtenir d’excellentes
informations sur la consommation des immeubles. Selon lui, l’ancien nécessite,
pour le calcul de son DPE, l’inclusion d’une décote liée à sa date de
construction – ce qui permettrait de prendre en compte l’utilisation du
bâtiment dans le temps.
Sophie
Benard