Promulguée en 2014, la loi
introduisant les actions de groupe n’a pas eu les effets escomptés. Une
proposition de loi en cours d’examen vise à démocratiser une pratique pour
l’heure extrêmement confidentielle. L’Institut de guerre économique et
juridique a adressé des propositions aux parlementaires, alors que le texte a
subi des modifications profondes au Sénat.
Bientôt un système d’actions
de groupe enfin utile en France ? Cette procédure judiciaire introduite par
la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation est censée permettre aux
victimes d’un même préjudice causé par un professionnel de se regrouper et
d’agir en justice.
Mais 10 ans après son entrée
en vigueur, force est de constater que son utilité reste à prouver. D’après un
rapport de février 2023 rédigé par deux députés au nom de la commission des
Lois de l’Assemblée nationale, seules 32 actions de groupe ont été intentées
depuis 2014. Parmi elles, seules six ont obtenu un résultat positif :
trois à la suite d’une déclaration de responsabilité du défendeur, et trois à
la suite d’un accord amiable. « Un si faible taux de réussite nous
oblige à parler d’échec », affirmait le député membre de la commission
Timothée Houssin le 15 février 2023.
En cause notamment, les
nombreuses limitations de la loi. Seule une association de défense des
consommateurs représentative au niveau national et agréée par décret peut agir
par une action de groupe, et une toute petite partie des préjudices peuvent
être concernés : d’abord limitées au domaine de la consommation, les
actions de groupe ont pu être utilisées dès 2016 pour des litiges en matière de
santé, d’environnement, de protection des données personnelles et de
discriminations au travail, et dès 2018 pour des litiges liés à la location
d’un logement.
Mais pour chaque domaine, ce
sont des règles différentes qui s’appliquent au cas par cas pour déterminer la
procédure qui pourra être utilisée ou non (qualité pour agir, finalité de l’action,
champ du préjudice indemnisable, modalités de la réparation).
Mais la loi limite pour le
moment la réparation aux seuls « préjudices patrimoniaux résultant des
dommages matériels subis par les consommateurs ». Cela entraîne de
nombreuses limitations, une action de groupe ne pouvant pas être lancée dans le
cadre d’atteintes physiques, ni en cas de préjudice moral par exemple.
Un texte pour « simplifier
l’accès à la procédure d’action de groupe »
Dans ce contexte, une
proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe a été
déposée à l’Assemblée nationale fin 2022. Dans l’exposé des motifs, les deux
députés à l’origine du texte ont notamment expliqué souhaiter « simplifier
l’accès à la procédure d’action de groupe, assurer une meilleure indemnisation
des victimes et réduire les délais de jugement ».
Dans sa première version
avant examen, le texte instaure notamment comme objet même de l’action de
groupe la réparation de l’intégralité du préjudice, et cela « quelle
qu’en soit leur nature ». Un cadre commun à toutes les actions de
groupe est également déterminé, et l’intégralité des procédures suivies devant
les juridictions de l’ordre judiciaire, figurant jusque-là dans différents
textes, sont regroupées dans un même nouveau titre du Code civil.
La proposition de loi rend par
ailleurs possible pour des associations non agréées, pour peu qu’elles soient
« régulièrement déclarées depuis deux ans au moins et dont l’objet
statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte »,
d’agir en action de groupe, tout comme les associations non agréées agissant
pour le compte d’au moins 50 personnes physiques, 10 personnes morales ou 5
collectivités territoriales se disant victimes de dommages compatibles avec
l’action de groupe. Le ministère public peut également « exercer, en
qualité de partie principale », l’action de groupe. Il peut également
intervenir en tant que partie jointe à une action initiée par les associations
ou les syndicats.
La mise en demeure des
entreprises mises en cause, actuellement obligatoire, serait supprimée, et un
juge pourra décider de la prise en charge par l’état des frais d’instructions
normalement dus par la partie requérante.
La réforme met aussi en place
des juridictions spécialisées en matière d’actions de groupe. Une disposition
dont se félicite Magali Buttard, responsable du service juridique de
l’association UFC-Que choisir : « Ces juridictions auront, de
fait, une certaine expertise, et permettront, nous l’espérons, un traitement
plus rapide de ce type de contentieux. »
Des changements au Sénat pas
du goût des associations de consommateurs
Mais les sénateurs ont
grandement revu le texte, mettant à mal certaines dispositions. Des
modifications qui déplaisent à l’UFC-Que choisir. « Le mot est faible »,
ironise Magali Buttard, déçue de la version proposée par la chambre haute,
alors que la première version « allait dans le bon sens, compte tenu
notamment du bilan particulièrement décevant du régime de l’action de groupe
tel que mis en place à l’origine par la loi Hamon de 2014 ».
L’avocate au barreau de Paris
regrette notamment le vote d’un amendement précisant que seuls les faits
postérieurs au vote de la loi seraient concernés. « Cela reviendrait à
repousser l’entrée en vigueur de cette réforme aux calendes grecques,
dénonce la responsable du service juridique d’UFC-Que choisir. L’amendement
aboutirait au report de plusieurs années la possible application de ce
nouveau régime, pourtant très attendu, de l’action de groupe. »
Une disposition « contradictoire
et insatisfaisante », selon Magali Buttard, qui rappelle que « l’un
des objectifs de cette réforme est précisément d’instaurer une action de groupe
plus efficace et plus largement ouverte, ce afin de faciliter son développement
dans le panorama des contentieux consuméristes ». L’avocate assure
qu’un tel amendement priverait d’action de groupe les consommateurs victimes
d’un acte à caractère sériel qui ne relève pas du champ d’application de
l’actuelle action de groupe. L’UFC-Que choisir plaide pour un retour à la
version adoptée par l’Assemblée nationale.
Avis similaire du côté de
l’Observatoire des actions de groupe qui, dans un article sur son site
internet, dénonce un texte « très en deçà des attentes de la doctrine
et des praticiens, compte tenu de sa proximité avec le régime actuel ».
Dans sa nouvelle rédaction, la proposition de loi limite le contentieux de la
santé et du travail à leur champ d’application actuel, c’est-à-dire les
produits de santé et les discriminations. Le Sénat revient également sur
l’ouverture du droit à recourir aux actions de groupe, la limitant de nouveau
aux seules associations agréées.
L’observatoire, qui surnomme
l’action de groupe à la française actuellement en place comme une « cousine
réfractaire de la class action », assure que la version sénatoriale,
si elle était adoptée sous cette forme, « constituerait une régression
dans la recherche d’effectivité des droits substantiels et d’efficience des
procédures en justice ».
L’IGEJ plaide pour une
interruption de la prescription durant l’action de groupe
Également mécontent, l’Institut
de guerre économique et juridique (IGEJ), association regroupant des
professionnels du droit et du chiffre, a redouté dans un communiqué « un
nouveau rendez-vous manqué avec l’ambition de la réforme » et a
proposé aux parlementaires une « réforme plus courageuse »,
afin d’augmenter l’attractivité d’une telle démarche, dont la réforme est jugée
« cruciale non seulement pour l’effectivité du droit, mais encore pour
la défense de la souveraineté économique ».
L’association souhaite
« élargir les entités ayant qualité pour porter une action de groupe »,
en ne la limitant plus seulement aux seules associations de consommateurs
agréées. Elle milite également pour la possibilité qu’une action de groupe soit
portée au profit des consommateurs, mais aussi des professionnels.
L’IGEJ veut également empêcher
le plus possible la survenue de la prescription. Le texte initial prévoit la
suspension de la prescription des actions individuelles pendant toute la durée
de l’action de groupe, et la reprise du délai de prescription après la fin du
jugement pour une durée de six mois au minimum. Estimant que la mesure n’est
« pas à la hauteur des enjeux », l’institut prône une
interruption pure et simple de ce délai, qui repartirait de zéro une fois
l’action collective terminée. « Ainsi, à l’issue de l’action collective
ayant échoué, le justiciable bénéficierait d’un nouveau délai pour agir, soit
généralement cinq années », explique l’IGEJ.
Aussi, l’association propose
d’aligner ce délai de prescription pour les personnes victimes des mêmes faits
mais n’ayant pas participé à l’action de groupe : « Les victimes
d’un même comportement ne sont-elles finalement placées dans une position
similaire qui justifierait que l’interruption de la prescription vaille pour
toutes ? », se demande l’IGEJ, justifiant cette demande par le fait
qu’une directive européenne de 2020 relative aux actions représentatives visant
à protéger les intérêts collectifs des consommateurs prévoit que le lancement
d’une action représentative devrait « avoir pour effet de suspendre ou
d’interrompre les délais de prescription applicables à l’égard des
consommateurs concernés par cette action représentative », sans faire
de distinction entre les consommateurs qui participent à l’action et ceux qui
n’y participent pas.
Dans sa liste de doléances,
l’Institut de guerre économique et juridique plaide par ailleurs pour une
refonte des sanctions prévues. L’IGEJ demande la possibilité d’un versement de
dommages et intérêts punitifs aux plaignants, en prenant exemple sur les
États-Unis, où « le financement du procès trouve son équilibre dans le
montant, parfois important, des treble damages prononcés par les
juridictions ».
Les députés entendront-ils
toutes ces demandes ? La proposition de loi réformant le régime juridique
des actions de groupe devrait être examinée en deuxième lecture à l’Assemblée
nationale prochainement.
Alexis
Duvauchelle