DROIT

Docteurs en droit : le monde universitaire offusqué par les récentes réformes

Docteurs en droit : le monde universitaire offusqué par les récentes réformes
Publié le 08/12/2023 à 16:10

Alors que les « passerelles » des doctorants en droit menant à l’avocature et à la magistrature en ont récemment pris un coup, des voix s’élèvent depuis pour dénoncer un double affront, à l’instar de la Faculté de droit et de science politique de Montpellier, qui a tapé du poing sur la table via une motion adoptée hier.

Pour le monde universitaire, ça ne passe pas.

Après la loi organique du 20 novembre relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire venue (notamment) supprimer l’admission sur titre à l’ENM, et le décret du 1er décembre relatif à la formation professionnelle des avocats qui (entre autres) restreint la voie d’accès des docteurs en droit à la profession d’avocat, la grogne ne faiblit pas face à ce qui est vécu comme un double affront.

Tandis que du côté des docteurs en droit et des enseignants-chercheurs, on dénonce « un énième recul de la reconnaissance du doctorat » ou encore tout simplement une « réforme stupide », dans une motion adoptée hier, la Faculté de droit et de science politique de Montpellier dénonce des « atteintes répétées contre le doctorat en droit », fustigeant une « suspicion d’illégitimité » qui « ne saurait laisser indifférent ». « Le doctorat, plus haut grade délivré par les universités, sanctionne des compétences et une formation d’excellence par la recherche. Alors qu’il est reconnu comme tel dans le monde entier, que l’apport des docteurs aux professions juridiques est considérable, sa dévalorisation en France est inexplicable », ajoute-t-elle.

CRFPA : une passerelle sous conditions restrictives

De son côté, l’Association française des docteurs en droit (AFDD) a annoncé sur Twitter qu’elle prenait acte « avec une grande tristesse » de la parution du décret du 1er décembre. « N’oublions pas qu’un bon tiers des soutenances annuelles de thèses sont le fait d’étudiants étrangers, qui font confiance à notre pays en venant y passer leurs années d’études les plus importantes. (…) Alors, oui, apprécions éventuellement des compétences en droit français, mais sachons surtout, dans ce monde hyper-concurrentiel, ne pas nous isoler encore davantage ! »

Le décret sur la formation professionnelle des avocats, qui introduit plusieurs changements notables attendus de pied ferme et sollicités par le Conseil national des barreaux (CNB) – à l’instar, également, d’un règlement intérieur unifié pour les écoles d’avocats –, impacte ainsi la passerelle d’accès des docteurs en droit aux écoles d’avocats. Il prévoit en effet que la dispense d’examen d’entrée au Centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) dont bénéficient les docteurs en droit sera conditionnée, dès 2025, et pour une thèse soutenue dans une université française ou de l’Union européenne, soit à « 60 heures d’enseignements en droit, par an et pendant deux ans, au cours des cinq dernières années précédant la demande d’accès, dans un établissement public d’enseignement supérieur », soit « deux années d’exercice professionnel en qualité de juriste assistant ou assistant de justice », ou alors « deux années d’exercice professionnel en tant que juriste, d’au moins 700 heures par an ».

Un conditionnement inspiré de l’une des propositions émises dans le rapport Haeri/Clavel rendu le 23 octobre 2020 mais qui équivaut, de l’avis de certains, et de par son aspect restrictif, à une suppression pure et simple de cette passerelle instaurée en 1990, laquelle faisait l’objet d’un débat virulent depuis plusieurs années. Car le sujet est loin d’être nouveau : si en 2004, déjà, la Confédération nationale des avocats pointait des lacunes dans les compétences professionnelles des docteurs en droit et dans leur taux de réussite au CRFPA, en 2012, le CNB avait réclamé la suppression de la passerelle, que la garde des Sceaux Christiane Taubira avait décidé de maintenir face aux vives réactions du monde doctoral. L’instance avait cependant relancé le sujet en novembre 2018, via une résolution, avant que courant 2019, la ministre de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, Frédérique Vidal, n’indique, dans une réponse à la question formulée par un député, que « la suppression de cette passerelle n'est pas envisagée », le doctorat devant être « reconnu et valorisé ».

Au final, il semblerait donc que la solution en vigueur aujourd’hui, sans avoir voulu véritablement trancher, ne satisfasse ni totalement un camp, et pas du tout l’autre.

ENM : un second diplôme nécessaire pour le 3e concours

Même sentence pour les docteurs en droit côté formation à la magistrature, donc, puisque si la loi organique du 20 novembre, destinée à ouvrir et simplifier l’accès à la magistrature pour attirer davantage de candidats, a créé un concours professionnel et un concours spécifique au profit des classes « Prépas Talents », elle supprime certaines voies d’intégration, dont le recrutement sur titre des docteurs en droit. Cependant, l’article 1er dispose que ces derniers pourront passer, dans le cadre du 3e concours de l’École nationale de la magistrature (ENM), des épreuves d’admissibilité « adaptées à leur profil », mais devront pour cela détenir, « outre les diplômes requis pour le doctorat, un autre diplôme d’études supérieures ».

Notons qu’un amendement adopté proposait de dispenser tout bonnement des épreuves d’admissibilité les titulaires d’un doctorat en droit dans le cadre du 3e concours de l’ENM. Si la commission mixte paritaire a donc validé le principe de l’ouverture du 3e concours aux docteurs en droit avec des épreuves aménagées, elle « conditionne [ainsi] cette ouverture à l’obtention d’un second diplôme » : une mesure « inacceptable et sans fondement », fustige France Universités.

« La valorisation du doctorat en droit s’inscrit en conformité avec les recommandations du Comité des États généraux de la justice de 2022 piloté par Jean-Marc Sauvé, qui insistait sur la nécessité d’une doctrine de recrutement susceptible de favoriser l’intégration de profils juridiques très spécialisés, formés par la recherche pluridisciplinaires et porteurs d’expertises pointues pour compenser les déficits relevés en juridiction », avait estimé l’association en octobre dernier, lorsque la suppression du recrutement sur titre avait été entérinée, considérant « que la limitation de l’accès des docteurs en droit à la magistrature constitue une grave régression pour notre pays ».

Dans la Semaine Juridique n°25 du 26 juin 2023, l’avocat Stéphane Braconnier, également docteur en Droit et membre de l'AFDD, s’émouvait d’ailleurs très bien de cette abrogation dans ce qui n’était alors qu’un projet de loi, au sein d’un article intitulé « Pourquoi la magistrature devrait-elle se priver du vivier que forment les docteurs en droit, pétris de culture juridique et experts dans leur domaine ? ».

« Cette suppression, que personne n’est objectivement en mesure d’expliquer, apparaît à contre-courant d’un mouvement général », observait-il ainsi. Et de poursuivre : « À contre-courant d’abord de la volonté de valorisation du doctorat, souhaitée par les pouvoirs publics (…), à contre-courant encore de la politique volontariste menée dans les universités consistant à construire, autour de la préparation du doctorat, une véritable expérience professionnelle (…), à contre-courant enfin des besoins mêmes de la magistrature, à laquelle les spécialistes de droit civil ou de droit commercial font défaut, besoins auxquels ne répondent plus les concours actuels. »

Avec ce nouveau revers pour les doctorants, le coup – allégué – porté à l’attractivité du précieux sésame se fera-t-il sentir dans les années à venir ?

Bérengère Margaritelli

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