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EMPREINTES D'HISTOIRE. Quel avocat portant le kilt, baronnet adepte du tartan, fut le père du romantisme écossais ?

EMPREINTES D'HISTOIRE. Quel avocat portant le kilt, baronnet adepte du tartan, fut le père du romantisme écossais ?
Walter Scott par Chantrey (manoir d'Abbotsford, Écosse) (c) Étienne Madranges
Publié le 21/04/2024 à 07:00

Notre chroniqueur Étienne Madranges nous emmène avec lui cette semaine en Écosse, une terre qui s’appela Calédonie, sur les pas d’un poète et romancier populaire auteur du célèbre « Ivanhoé », grand défenseur de sa terre natale mais partisan d’une entente raisonnée avec l’Angleterre, qui fut avocat mais aussi juge, et qui remit à l’honneur le port du tartan et du kilt tout en façonnant une histoire écossaise pleine de légendes et de mystères.

Walter Scott naît le 15 août 1771 dans une fratrie de 13 enfants à Édimbourg, capitale de l’Écosse. Son père est avocat, ses grands-pères sont médecin et éleveur de moutons. A l’âge de 2 ans, atteint par la polio qui lui déforme une jambe, il se met à claudiquer. Cela ne l’empêche pas de devenir un grand marcheur et un excellent cavalier, de faire de longues randonnées de 20 à 30 kilomètres, de pratiquer l’escalade, de prendre des bains de mer. Les vieilles chansons, les contes et légendes que lui raconte sa grand-mère le sensibilisent à l’histoire de l’Écosse. Robin des bois* et la forêt de Sherwood bercent son enfance. Les récits des soulèvements jacobites l’inspirent.** Il étudie le latin, se passionne pour Tite Live et Virgile, lit beaucoup et s’intéresse à la métaphysique.

Un avocat engagé

Il commence l’étude du droit à 16 ans, rédige une thèse en latin sur l’élimination des corps des condamnés criminels (« De cadaveris damnatorum ») et obtient à la Faculty of Advocates le diplôme d’avocat en juillet 1792 lui permettant de succéder à son père, dans l’étude duquel il entre comme clerc. Il plaide une dizaine d’affaires la première année et perd son premier procès au cours duquel il défend un ministre ivre devant l’assemblée générale de l’Église d’Écosse. Il lui arrive de plaider devant la Chambre des Lords, la Cour de Session, la Haute Cour, et devant certaines juridictions du premier degré.

En 1806, son titre et son expérience d’avocat lui permettent d’être nommé Clerc Principal de Session (Principal Clerk of Session), chargé de signer les actes de la « Court of Session », cour civile suprême d’Écosse siégeant au Parlement d’Edimbourg. Il écrit à son ami le poète George Ellis le 7 avril 1806 : « le devoir est très simple, il consiste principalement à signer mon nom… ma tâche est très facile car mon nom est très court ». Il va jouer un rôle essentiel dans la redécouverte des insignes écossais (Honours of Scotland). En effet, lors de l’Acte d’union entre l’Angleterre et l’Écosse en 1707, la couronne, le sceptre et l’épée d’État écossais avaient été enfermés dans un coffre et totalement oubliés. En 1818, Walter Scott aidé par des officiers découvre au château d’Édimbourg un coffre en chêne contenant ces insignes enveloppés dans un linge en lin. Scott est anobli et fait baronnet.

Juge et poète

Il écrit des odes, des ballades, des sonnets, des élégies, s’adonne à quelques plaisirs que n’aurait pas désavoué Bacchus. Il se porte volontaire pour rejoindre un régiment constitué en vue de résister à une éventuelle invasion des Français qui ont déclaré la guerre à la Grande Bretagne le 1er février 1793. Il se marie en 1797 avec Charlotte Carpenter, qu’il trouve « attirante, mature et sophistiquée », d’origine française (elle était la fille du Lyonnais Jean-François Charpentier). Il s’intéresse au romantisme allemand.

En 1799, il est nommé shérif adjoint du comté du Selkirkshire, c’est-à-dire juge principal du comté, poste qui lui permet de passer environ cinq mois de l’année dans les Scottish Borders (les Marches écossaises situées au sud de l’Écosse) et qu’il occupera jusqu’à sa mort, se contentant de juger les infractions pénales mineures. Il visite les châteaux et les hautes terres d’Écosse.


Quelques-uns des châteaux écossais © Étienne Madranges

En 1805, il publie « Le lai du dernier ménestrel » dans lequel il redonne à l’Écosse son nom d’origine, ce nom de Caledonia que lui avaient donné les Romains : « Ô Calédonie, fière et sauvage nourrice du génie poétique, terre de bruyères et de forêts, terre de montagnes et de lacs, terre de mes pères, quelle main mortelle pourrait rompre le lien filial qui m’attache à tes rochers ! Quand je revois les lieux témoins de ma jeunesse, quand je songe à ce qu’ils furent, à ce qu’ils sont, il me semble que, seul dans le monde, je n’ai plus d’autres amis que tes bois et tes ruisseaux… ».

En 1810, il publie un poème épique, « The Dame of the Lake » (La Dame du lac). L’intrigue se déroule dans l’Écosse du XVIe siècle avec son folklore et ses paysages pittoresques. Le héros est un noble écossais qui voyage dans les Highlands et tombe amoureux d’une très belle femme. Une colombe, symbole de pureté et d’espoir, vole au-dessus d’un lac et lui inspire des pensées de paix. Mais il ne pourra pas se marier en raison du contexte politique.

Il écrit de nombreux ouvrages, publie un roman tous les neuf mois, se fait connaitre comme poète mais également historien, devient l’un des auteurs britanniques qui publie le plus et s’associe avec son éditeur Archibald Constable. Son éclectisme le pousse aussi à être chroniqueur et critique littéraire.

Il fait construire son manoir d’Abbotsford à partir de 1816.


Le manoir de Walter Scott à Abbotsford (Écosse) © Étienne Madranges

Ivanhoé

Avec « Ivanhoé », publié en 1817, Walter Scott aborde la morale, s’intéresse à la misogynie et à l’oppression raciale. Cet ouvrage lance la mode du roman historique. Les historiens le considèrent comme une œuvre d’une grande modernité politique et comme l’un des romans historiques les plus remarquables.

On y apprend qu’un simple baron peut juger et condamner une sorcière arrêtée sur ses terres. On y découvre que la langue de la cour d’Angleterre est le franco-normand, langue de l’honneur, de la chevalerie et de la justice, et que l’anglo-saxon est la langue des paysans. On y évoque les éperviers, faucons et lévriers. On y lit, au chapitre XXIV, un formidable dialogue entre une jolie femme juive, Rebecca, et un redoutable templier, Bois-Guilbert, qui brûle de la violer.

On y défend de façon subliminale la réconciliation entre Anglais et Écossais. Scott est conservateur, favorable au roi, et apparait à travers cet opus comme un fin politique. L’action se déroule au XIIe siècle en Angleterre pendant le règne de Richard Cœur de Lion. Le chevalier exilé Ivanhoé rentre au pays, doit lutter contre les préjugés sociaux et participe à des tournois afin de regagner l’estime de son père. Les conflits entre Saxons et Normands permettent d’aborder les thèmes de loyauté, d’amour, d’honneur, et de décrire les tensions politiques au moyen âge. On y évoque à deux reprises Saint Thomas Beckett, assassiné en 1173 en plein cœur de la cathédrale de Canterbury.


La cathédrale de Canterbury (Angleterre) où fut assassiné Saint Thomas Beckett © Étienne Madranges

Ce livre contribue à faire de Scott l’écrivain le plus lu et le plus admiré de son époque, populaire bien au-delà de la Grande Bretagne. Ainsi, il connaît un certain succès en France. Gustave Flaubert l’évoque dans « Bouvard et Pécuchet » et le cite trois fois dans « Madame Bovary » : « Elle se retrouvait dans les lectures de sa jeunesse, en plein Walter Scott. Il lui semblait entendre, à travers le brouillard, le son des cornemuses écossaises se répéter sur les bruyères ». Lorsque l’avocat de Flaubert, le bâtonnier Jules Sénart, le défendra contre le procureur Pinard qui le poursuit pour outrage à la morale et aux bonnes mœurs devant le tribunal correctionnel à Paris en 1857, il citera cet extrait évoquant Walter Scott. Victor Hugo loue son talent : « Walter Scott a su puiser aux sources de la nature et de la vérité un genre inconnu ».

En 1822, en sa qualité de président de la Royal Society of Edinburgh, il organise la visite en Écosse du roi George VI, poussant le détail jusqu’à spécifier la couleur des tartans. Le roi en habit des Highlands porte un kilt très court. Le port du kilt, qui avait été interdit par Londres, redevient autorisé.

Un écrivain sachant affronter les difficultés

En 1826, peu après la publication de son « Histoire de l’Écosse », son éditeur Constable dont il est caution fait faillite. Le voilà contraint de payer une somme considérable. Il refuse l’aide de proches et d’amis. Il refuse même l’aide du professeur de harpe de sa fille qui lui propose toutes ses économies. Il avoue : « C’est bien dur de perdre ainsi tous les travaux d’une vie et d’être enfin devenu pauvre… Mais si Dieu m’accorde la santé et la force pour quelques années de plus, je rachèterai tout cela ». Il redouble d’acharnement au travail, écrit jour et nuit, et réussit à rembourser les créanciers. Les droits d’auteur de sa « Vie de Napoléon » l’aident à réduire sa dette.

Après avoir rencontré à Paris le roi Charles X en 1826, il écrit en effet en 1827 une « Vie de Napoléon » en neuf volumes, quelque peu pamphlétaire, qui soulève en France des protestations véhémentes, notamment de la part des historiens.

Il continue à s’inspirer des paysages des Highlands qu’il aime tant. Il aura en définitive réussi à recréer l’histoire de « son » Écosse, « sa » Calédonie. Une histoire pleine de mystères et de légendes dans une contrée fière de son identité, une histoire où les paysages composés de collines, d’herbes sauvages et de lochs sont prédominants, une histoire où la magie le dispute au réel. Une Écosse authentique en toute simplicité mais une Écosse en majesté.


Paysages des Highlands (Écosse) parcourus par Walter Scott © Étienne Madranges

Un ami lui demande un jour : « Quand trouvez-vous le temps de réfléchir ? ». Scott, qui se lève chaque jour à 5 heures du matin et s’habille de façon simple voire rustique, mais avec grand soin, lui répond : « Je mijote mes idées une heure ou deux avant de me lever, puis, tout en m’habillant, j’arrange dans ma tête mon projet de chapitre, et lorsque je suis en face de mon papier, ma plume court toute seule ».


La bibliothèque du manoir d’Abbotsford où se réfugia Walter Scott pendant les dernières années de sa vie © Étienne Madranges

Au moment de mourir entouré de ses enfants le 21 septembre 1832, il dit à son gendre : « Soyez homme de bien ».

Walter Scott ? Un écrivain ainsi défini par l’historien Auguste Thierry : « Simple romancier, Scott a porté sur l’histoire de son pays un coup d’œil plus ferme et plus pénétrant que celui des historiens eux-mêmes ».

Mais surtout un poète, penseur et homme politique, un mystique auquel le pape Jean-Paul 1er qui n’occupa le trône de Saint Pierre que durant un mois rendit hommage avant de mourir en 1978, regrettant mais écartant les « petites flèches » presbytériennes du romancier contre l’Église catholique : « Honneur à l’Ecossais !... Il reste le bien que vous avez fait ; il reste votre vie exemplaire. Que restent donc aussi la louange et l’honneur ! Sir Walter ! Je désire que les chrétiens et particulièrement les jeunes vous entendent, vous suivent dans les régions sereines de l’esprit et de la fantaisie dans lesquelles vous avez aimé vivre et faire vivre vos lecteurs. ».

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 220

* En anglais, Robin des bois est Robin Hood. Le mot « hood » signifie capuche ou capuchon, donc Robin est en réalité Robin à la capuche (plus rarement Robin le truand). Le titre français Robin des bois résulte donc d’une erreur de traduction par confusion entre Hood (capuche) et Wood (bois).
** les soulèvements jacobites sont des révoltes de rebelles au XVIIe siècle tendant à ramener le roi Jacques Stuart sur le trône


Les 10 empreintes d’histoire précédentes :


 Quel avocat portant le kilt, baronnet adepte du tartan, fut le père du romantisme écossais ?  ;

 Quelles sont les curiosités de la salle d'audience de la chambre commerciale de la Cour de cassation ? ;

• Pourquoi Jules Verne se trouve-t-il devant le tribunal correctionnel en 1896  ? ;

• Comment Shakespeare, le barde anglais aux 39 pièces, aborde-t-il le thème de la résurrection ? ;

• Il avait conçu les écluses du canal de Panama, pourquoi Gustave Eiffel est-il incarcéré à la Conciergerie en 1893 ? ;

• Pourquoi l'archevêque de Paris et le premier président de la Cour de cassation par intérim ont-ils été fusillés le même jour ? ;

• Quel archichancelier "court-sur-pattes" ne fut jamais à court d'idées ? ;

• Pourquoi le Taj Mahal, monument de l'amour éternel, menacé par le chironomus calligraphus, est-il au cœur de procès à répétition ? ;

• Quel peintre lombard impulsif et ténébriste, sauvé de la prison par un ambassadeur de France, a fait d'une prostituée une vierge ? ;

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