Diplômée en droit des médias et de la gestion et en droit européen de la
concurrence, Madame Stéphanie Fougou est actuellement directrice juridique du
groupe Vallourec. À la tête de l’Association française des juristes d’entreprise
(AFJE) depuis novembre 2014, cette femme volontaire et pleine d’énergie a
répondu à nos questions touchant à l’actualité juridique.
Nous sommes dans l’ère de la vérité et de la
transparence. En témoigne, l’adoption le 9?décembre 2016?de la loi relative à la
transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie
économique (loi Sapin 2).
Cette loi a été promulguée suite à des malversations financières d’entreprises.
Pensez-vous que cette loi va réellement changer les choses ?
Les entreprises de manière générale n’ont pas attendu que soit
promulguée la loi Sapin 2 pour être vertueuses. Parfois, certaines
malversations se produisent, mais les sociétés ne sont jamais constituées dans
cet objectif. Beaucoup d’entre-elles étaient déjà au fait des sanctions
potentielles et des infractions, et exposées à des infractions en France et à
l’étranger. Il faut savoir qu’aujourd’hui 60-70 % des entreprises françaises travaillent avec des collaborateurs
extérieurs, situés dans les pays anglo-saxons notamment, or ceux-ci ont déjà
pris depuis longtemps des mesures dans le domaine de la transparence. Par
exemple, dans la majeure partie des sociétés cotées, des programmes de compliance,
de sensibilisation, des cartographies de risques existent déjà.
La France s’est dotée de cette loi afin de s’aligner
avec un standard occidental de transparence du domaine tout en gardant ses
spécificités nationales.
L’objectif est évidemment totalement louable et nous
ne pouvons que nous en féliciter et y souscrire pleinement. Il est en revanche
important que la notion de transparence ne soit pas galvaudée et absolue. Il y
a des environnements qui doivent rester protégés afin d’assurer la
compétitivité des entreprises (le secret des affaires) et des moyens qui
doivent être donnés aux dites entreprises pour assurer un équilibre dans la
défense des reproches qui pourraient leur être faits.
Ce que je regrette dans cette loi, c’est
qu’aujourd’hui nous avons tout un panel d’infractions, de comportements qu’il
est requis d’une société et de sanctions nouvelles à l’égard de ses dirigeants.
Mais, nous n’avons pas le pendant équitable pour organiser tout le suivi du
processus de conformité, de manière sereine. En effet, à la différence des
directions juridiques anglo-saxonnes qui pratiquent ce type de législation
depuis longtemps, les directions juridiques françaises ne bénéficient pas de la
protection de leurs avis et conseils en faveur de leur employeur. Il aurait
ainsi fallu obtenir pour les sociétés et les juristes d’entreprise la
confidentialité, le legal privilege, or ils n’en bénéficient pas.
Aujourd’hui, on met donc nos sociétés en danger et en déséquilibre de défense.
Directions juridiques, coulisses
du : « Doing good is good business », c’est le thème de
votre colloque. En d’autres termes, respecter la loi et les règlements, « faire
bien », c’est ce qui rend une entreprise prospère. Dans cette logique,
en quoi pensez-vous que le juriste d’entreprise est essentiel à la
compétitivité d’une entreprise ?
C’est une très bonne question. Cela revient à dire
qu’aujourd’hui, le juriste n’est pas seulement celui qui dit la loi, ou qui dit
ce qui doit être fait ou pas, mais qu’il est en quelque sorte le garant de
l’éthique, de la bonne conformité, un contributeur actif d’une vision sociétale
des entreprises. Celles-ci souhaitent de la croissance et de la profitabilité,
c’est leur objectif premier, mais aussi de nos jours de manière à ce que ce
soit bénéfique à la société civile. Une direction juridique ne peut pas être
mieux positionnée dans la promotion de cette attitude. Une entreprise prospère
est une entreprise pérenne, qui a la capacité à être profitable économiquement,
mais aussi à contribuer à la participation dans la société civile de ses
actionnaires, de ses salariés. Cela peut se traduire par une bonne gouvernance,
la conformité, la responsabilité sociétale en général, etc.
Le fait qu’un véritable régime juridique ait été octroyé
aux lanceurs d’alerte via cette même loi Sapin 2, va-t-il inciter les
dirigeants à être plus responsables et respectueux des règles ou au contraire
les pousser à cultiver davantage le secret ?
Il y a toujours eu des gens qui étaient des lanceurs d’alerte sans que
nous ne les nommions ainsi. Le véritable enjeu aujourd’hui c’est de voir
comment la protection liée aux lanceurs d’alerte va être utilisée, de manière
honnête ou de manière abusive. L’objectif du dirigeant n’est pas de cacher des
éléments bien au contraire, il a pour enjeu de comprendre les failles
éventuelles de son contrôle interne et d’y remédier. Il devra faire le
distinguo entre le vrai et le faux, et prendre les mesures adéquates comme il
le fait dès que nécessaire en dirigeant responsable. (…)
Propos
recueillis par Maria-Angélica Bailly
Retrouvez la
suite de cet entretien dans le Journal Spécial des Sociétés n°19 du mars 2017
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