SÉRIE (3/3). Lorsque le
dirigeant d’une entreprise française souhaite s’établir en Italie, sa société peut l’accompagner. A cette occasion, elle se transforme parfois pour épouser une
forme juridique proposée par son nouveau pays d’enregistrement.
Impatriation en Italie
La république de la dolce
vita, entre sa langue, son histoire, son art, sa gastronomie, et son
climat, a de quoi faire envie, d’autant plus que, comme Jean Cocteau l’a
observé, « les Italiens sont des Français de bonne humeur ».
Néanmoins, nos
compatriotes qui désirent franchir le pas de l’impatriation en Italie, avec
leur famille, voire leur entreprise, sont confrontés à des aspects pratiques. À
quoi doivent-ils s’attendre ? Une question à laquelle des universitaires
italiens et français ont donné des réponses au cours d’un colloque animé par la
professeure Sophie Schiller, organisé à l’université Paris Dauphine-PSL fin
mai. Le JSS vous propose trois volets de cette réflexion :
- Mes droits civils
changent-ils si je pars vivre en Italie avec ma famille ;
- Substituer le percepteur italien au percepteur français : une idée
séduisante sur le papier ;
- Est-ce que je préfère emmener ma société avec moi en Italie ?
« L’Italie est une belle
destination pour vivre », lance en introduction Luca
Boggio, professeur à l’université Studi Link à Rome. « Mais est-ce que
c'est un pays pour exercer un commerce ? C'est une autre question. Et son
corollaire est : "Est-il difficile d’implanter une entreprise en Italie
?" » Pour le professeur, comme la mobilité des personnes, le transfert
de sociétés implique l’intervention a minima de deux juridictions et
deux législations différentes.
Pour les personnes physiques,
c'est un droit. L’Européen bénéficie de la liberté de ses déplacements dans
l’espace Schengen. Pour les sociétés, ce n'est pas exactement pareil. Car si le
traité sur le fonctionnement de l'Union européenne énonce la liberté de
circulation des personnes, il parle de celle d'établissement des sociétés. Il
faut donc bien noter la nuance entre circulation et établissement.
Obtenir des chiffres précis
sur les sociétés étrangères basées en Italie tient du challenge. « Le
registre des immatriculations des entreprises et du commerce italien propose
des données trop générales. Toutefois, selon cette source, environ 6000
sociétés étrangères sont immatriculées dans le pays », indique le
professeur Luca Boggio. Ce total inclut les sociétés italiennes qui ont
transféré leur siège à l'étranger et environ 5700 sociétés étrangères qui ont
leur siège social ou, pour la majorité, un siège secondaire en Italie. Selon
l’ambassade de France à Rome, quelque 2 300 filiales françaises seraient basées dans
le pays.
« Hormis son transfert,
une société devrait également s’occuper de se transformer pour adopter une
forme juridique italienne. Mais, pour l’instant, beaucoup ne le font
pas », constate le professeur.
Le transfert et la mobilité
font appel au droit international privé des sociétés, au droit européen
(articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l’UE) et
aux droits nationaux des pays de départ et d’arrivée. En Europe, les États
admettent comme critères de rattachement le pays du siège soit légal, soit
réel.
Il faut faire fonctionner
ensemble les lois du pays de départ et celles du pays d’arrivée. Entre la
France et l’Italie est acté le principe de liberté de transfert d’une
entreprise tant matériel que juridique. Il est valable pour toutes les sociétés
civiles et commerciales à but lucratif.
La juridiction supranationale et les principes nationaux de droit entrent parfois en contradiction
« Dans les années 1980,
la Cour de justice de l’Union européenne estimait qu’une société est fille de
son système juridique national sans regarder où elle exerçait son activité. Une
société italienne était italienne par ses règles », ponctue le
professeur.
Concernant ce point, le droit
international privé italien dit qu’une société est italienne si elle a été
constituée en Italie, ou si son objet principal s’y trouve, ou encore son siège
administratif. Donc une société peut être immatriculée à l'étranger, constituée
à l'étranger, mais si son siège ou son objet principal se situe en Italie,
alors elle est vue comme italienne par les autorités de la péninsule.
Or, la Cour de justice de
l’UE est contrevenue à ce rattachement dans une affaire. Elle a admis qu’une
société qui avait conféré une délégation générale à une personne qui n'est pas
membre du conseil de gestion de ladite société – ce que la loi italienne
interdit –, nonobstant que son objet principal soit en Italie, et donc qu’elle
soit italienne au regard du droit international privé italien (Affaire Edil Work 2). La Cour a perçu dans
l'application de la loi italienne, qui prohibe la délégation générale à une
personne externe au conseil d'administration, un conflit avec la liberté
d'établissement.
Autrement dit, la Cour de
justice a décidé de délivrer son avis sans respecter les critères de
rattachement du droit international privé italien. Pour Luca Boggio, c’est un
revirement profond puisque jusqu'en 2017, la Cour de justice de l’UE avait
toujours suivi une seule ligne : les critères de rattachement du droit
international privé applicables aux sociétés étaient définis par la loi
nationale. D’autant que « le périmètre des sociétés n'a pas de règles
de droit international privé européennes hormis celles relatives à la
juridiction (dans le règlement de Bruxelles) », ajoute le professeur.
Le Code civil italien
comporte une règle singulière qui s'applique aux sociétés étrangères avec un
siège secondaire en Italie. Ce texte est aussi valable pour les sociétés
constituées à l'étranger, transférées en Italie et donc immatriculées
postérieurement. La règle prévoit une application partielle de l’appartenance.
Cela signifie, pour les sociétés qui ont eu leur siège social à l'étranger et
l'ont transféré en Italie, qu’elles peuvent maintenir leur statut originel. Par
exemple, quelques années après avoir constitué une société anonyme simplifiée
en France – forme juridique inexistante de l’autre côté des Alpes –, il est
possible de la transférer en Italie et de maintenir une partie de son statut
légal.
« Le droit international
privé italien des sociétés est lacunaire. » juge
le professeur. « Mais il évolue et s’appuie sur les directives
européennes. La dernière transposition fournit un instrument pour réaliser des
transferts conformes au traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne. »
Le législateur italien, en
adaptant la directive, a étendu ses principes – conçus pour les sociétés de
capitaux – aux sociétés de personnes et aux autres types de personnes morales.
Deux régimes coexistent, l’un applicable aux entreprises en provenance de l'UE
et l’autre à celles venant des pays extérieurs à l’UE. Désormais, les règles de
la directive sont à la base de toutes les procédures de transfert en Italie.
Elles visent à protéger les minoritaires, les travailleurs, et les créanciers.
Pour un déménagement de siège
de l’Hexagone vers la botte, l’administration fiscale opère un contrôle au
départ de la France et un autre à l'arrivée en Italie. La procédure de
transfert prend quelques mois. Le législateur n’a quasiment rien modifié de la
directive.

Les intervenants aux débats sur l'expatriation des Français et de leurs entreprises en Italie, présidés par Sophie Schiller (à droite)
« En Italie, il manque la forme sociale maintenant la plus créée chez
nous, la société par actions simplifiée. »
Si une SAS immatriculée en
France veut s’installer en Italie
L'Italie ne connaît pas la
forme juridique de la SAS française. D’autres formes structurent les entreprises
italiennes, principalement : l’équivalent de la société à responsabilité
limitée, la SRL ; la SRL simplifiée (avec des statuts selon un modèle
légal, ce qui n’existe pas en France) ; la société par actions, la
SPA ; la société en nom collectif, la SNC ; et la société en
commandite simple, la SAS (à ne pas confondre avec l’acronyme français). Donc,
manque la forme sociale la plus utilisée en France, notre SAS, société par
actions simplifiée.
Une SAS française en partance
pour l’Italie, peut-elle y conserver sa forme juridique ? Le professeur Lucas
Borggio assure que le registre du commerce italien regorge de sociétés
étrangères sans qu'on puisse savoir s’il s’agit par exemple d’une SAS française
qui a son siège social principal en Italie. Pour un juriste français, cette
aptitude a quelque chose de dérangeant. Car dans le cas inverse, « si
une forme sociale qui n'y existe pas voulait s'installer en France, au regard
de la transposition dans le Code de commerce de la directive Mobilité de 2019,
ça ne serait pas possible », affirme la professeure Sophie Schiller.
Mais les Italiens ont une
autre vision, et notre SAS, quoiqu’inconnue, peut s’implanter en Italie et être
soumise au droit italien. Sur place, notre SAS peut-elle conserver son
caractère unipersonnel (le plus courant) ? Luca Borggio le concède, mais malgré
cela, il lui semble préférable d’adopter une forme italienne, en transformant
la SAS.
Pour transformer une SAS
française en un type de société italienne, il lui faut un capital minimal
adéquat : 50.000 € pour la SPA ; 10.000 € pour la SRL ; et 1 €
pour la SRL simplifiée.
Par ailleurs, les SAS
françaises familiales sont souvent dotées de clauses de toutes sortes :
limitation de circulation du capital ; agrément ; préemption ;
inaliénabilité ; conservation (pacte Dutreil) ; etc. En principe, elles
peuvent toutes être reproduites en Italie. La rédaction des statuts y bénéficie
en effet d’une grande liberté qui permet de maintenir beaucoup de spécificités.
Toutefois, pour le professeur, « la SPA rencontre quelques limites que
la SRL n’a pas. La SRL est un peu plus « ouverte » et la
participation se concentre sur l’action, pas sur la personne ».
Par exemple, dans les
sociétés à responsabilité limitée, il est possible d'introduire des clauses qui
donnent à un seul associé le pouvoir de désigner un ou plusieurs
administrateurs, ou encore d’attribuer des droits personnels sur les dividendes
ou sur autre chose. Ces particularités ne se retrouvent pas dans la société par
actions, à moins de créer des catégories d'actions différentes qui permettent
d’approcher des résultats similaires.
Pour conclure, si une société
par actions française installe son siège principal en Italie, peut-être
pourra-t-elle conserver sa forme juridique. Mais, si elle choisit d’en changer,
il semble que ce soit celle de la SRL italienne qui offre le plus de latitude
de gestion.
C2M