DROIT

Est-ce que je préfère emmener ma société avec moi en Italie ?

Est-ce que je préfère emmener ma société avec moi en Italie ?
Porta nuova, quartier d'affaires, Milan
Publié le 19/08/2025 à 11:00

SÉRIE (3/3). Lorsque le dirigeant d’une entreprise française souhaite s’établir en Italie, sa société peut l’accompagner. A cette occasion, elle se transforme parfois pour épouser une forme juridique proposée par son nouveau pays d’enregistrement.

Impatriation en Italie

La république de la dolce vita, entre sa langue, son histoire, son art, sa gastronomie, et son climat, a de quoi faire envie, d’autant plus que, comme Jean Cocteau l’a observé, « les Italiens sont des Français de bonne humeur ».

Néanmoins, nos compatriotes qui désirent franchir le pas de l’impatriation en Italie, avec leur famille, voire leur entreprise, sont confrontés à des aspects pratiques. À quoi doivent-ils s’attendre ? Une question à laquelle des universitaires italiens et français ont donné des réponses au cours d’un colloque animé par la professeure Sophie Schiller, organisé à l’université Paris Dauphine-PSL fin mai. Le JSS vous propose trois volets de cette réflexion :

- Mes droits civils changent-ils si je pars vivre en Italie avec ma famille ;
- Substituer le percepteur italien au percepteur français : une idée séduisante sur le papier ;
- Est-ce que je préfère emmener ma société avec moi en Italie ?

« L’Italie est une belle destination pour vivre », lance en introduction Luca Boggio, professeur à l’université Studi Link à Rome. « Mais est-ce que c'est un pays pour exercer un commerce ? C'est une autre question. Et son corollaire est : "Est-il difficile d’implanter une entreprise en Italie ?" » Pour le professeur, comme la mobilité des personnes, le transfert de sociétés implique l’intervention a minima de deux juridictions et deux législations différentes.

Pour les personnes physiques, c'est un droit. L’Européen bénéficie de la liberté de ses déplacements dans l’espace Schengen. Pour les sociétés, ce n'est pas exactement pareil. Car si le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne énonce la liberté de circulation des personnes, il parle de celle d'établissement des sociétés. Il faut donc bien noter la nuance entre circulation et établissement.

Obtenir des chiffres précis sur les sociétés étrangères basées en Italie tient du challenge. « Le registre des immatriculations des entreprises et du commerce italien propose des données trop générales. Toutefois, selon cette source, environ 6000 sociétés étrangères sont immatriculées dans le pays », indique le professeur Luca Boggio. Ce total inclut les sociétés italiennes qui ont transféré leur siège à l'étranger et environ 5700 sociétés étrangères qui ont leur siège social ou, pour la majorité, un siège secondaire en Italie. Selon l’ambassade de France à Rome, quelque 2 300 filiales françaises seraient basées dans le pays.

« Hormis son transfert, une société devrait également s’occuper de se transformer pour adopter une forme juridique italienne. Mais, pour l’instant, beaucoup ne le font pas », constate le professeur.

Le transfert et la mobilité font appel au droit international privé des sociétés, au droit européen (articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l’UE) et aux droits nationaux des pays de départ et d’arrivée. En Europe, les États admettent comme critères de rattachement le pays du siège soit légal, soit réel.

Il faut faire fonctionner ensemble les lois du pays de départ et celles du pays d’arrivée. Entre la France et l’Italie est acté le principe de liberté de transfert d’une entreprise tant matériel que juridique. Il est valable pour toutes les sociétés civiles et commerciales à but lucratif.

La juridiction supranationale et les principes nationaux de droit entrent parfois en contradiction

« Dans les années 1980, la Cour de justice de l’Union européenne estimait qu’une société est fille de son système juridique national sans regarder où elle exerçait son activité. Une société italienne était italienne par ses règles », ponctue le professeur.

Concernant ce point, le droit international privé italien dit qu’une société est italienne si elle a été constituée en Italie, ou si son objet principal s’y trouve, ou encore son siège administratif. Donc une société peut être immatriculée à l'étranger, constituée à l'étranger, mais si son siège ou son objet principal se situe en Italie, alors elle est vue comme italienne par les autorités de la péninsule.

Or, la Cour de justice de l’UE est contrevenue à ce rattachement dans une affaire. Elle a admis qu’une société qui avait conféré une délégation générale à une personne qui n'est pas membre du conseil de gestion de ladite société – ce que la loi italienne interdit –, nonobstant que son objet principal soit en Italie, et donc qu’elle soit italienne au regard du droit international privé italien (Affaire Edil Work 2). La Cour a perçu dans l'application de la loi italienne, qui prohibe la délégation générale à une personne externe au conseil d'administration, un conflit avec la liberté d'établissement.

Autrement dit, la Cour de justice a décidé de délivrer son avis sans respecter les critères de rattachement du droit international privé italien. Pour Luca Boggio, c’est un revirement profond puisque jusqu'en 2017, la Cour de justice de l’UE avait toujours suivi une seule ligne : les critères de rattachement du droit international privé applicables aux sociétés étaient définis par la loi nationale. D’autant que « le périmètre des sociétés n'a pas de règles de droit international privé européennes hormis celles relatives à la juridiction (dans le règlement de Bruxelles) », ajoute le professeur.

Le Code civil italien comporte une règle singulière qui s'applique aux sociétés étrangères avec un siège secondaire en Italie. Ce texte est aussi valable pour les sociétés constituées à l'étranger, transférées en Italie et donc immatriculées postérieurement. La règle prévoit une application partielle de l’appartenance. Cela signifie, pour les sociétés qui ont eu leur siège social à l'étranger et l'ont transféré en Italie, qu’elles peuvent maintenir leur statut originel. Par exemple, quelques années après avoir constitué une société anonyme simplifiée en France – forme juridique inexistante de l’autre côté des Alpes –, il est possible de la transférer en Italie et de maintenir une partie de son statut légal.

« Le droit international privé italien des sociétés est lacunaire. » juge le professeur. « Mais il évolue et s’appuie sur les directives européennes. La dernière transposition fournit un instrument pour réaliser des transferts conformes au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »

Le législateur italien, en adaptant la directive, a étendu ses principes – conçus pour les sociétés de capitaux – aux sociétés de personnes et aux autres types de personnes morales. Deux régimes coexistent, l’un applicable aux entreprises en provenance de l'UE et l’autre à celles venant des pays extérieurs à l’UE. Désormais, les règles de la directive sont à la base de toutes les procédures de transfert en Italie. Elles visent à protéger les minoritaires, les travailleurs, et les créanciers.

Pour un déménagement de siège de l’Hexagone vers la botte, l’administration fiscale opère un contrôle au départ de la France et un autre à l'arrivée en Italie. La procédure de transfert prend quelques mois. Le législateur n’a quasiment rien modifié de la directive.


Les intervenants aux débats sur l'expatriation des Français et de leurs entreprises en Italie, présidés par Sophie Schiller (à droite)
« En Italie, il manque la forme sociale maintenant la plus créée chez nous, la société par actions simplifiée. »

Si une SAS immatriculée en France veut s’installer en Italie

L'Italie ne connaît pas la forme juridique de la SAS française. D’autres formes structurent les entreprises italiennes, principalement : l’équivalent de la société à responsabilité limitée, la SRL ; la SRL simplifiée (avec des statuts selon un modèle légal, ce qui n’existe pas en France) ; la société par actions, la SPA ; la société en nom collectif, la SNC ; et la société en commandite simple, la SAS (à ne pas confondre avec l’acronyme français). Donc, manque la forme sociale la plus utilisée en France, notre SAS, société par actions simplifiée.

Une SAS française en partance pour l’Italie, peut-elle y conserver sa forme juridique ? Le professeur Lucas Borggio assure que le registre du commerce italien regorge de sociétés étrangères sans qu'on puisse savoir s’il s’agit par exemple d’une SAS française qui a son siège social principal en Italie. Pour un juriste français, cette aptitude a quelque chose de dérangeant. Car dans le cas inverse, « si une forme sociale qui n'y existe pas voulait s'installer en France, au regard de la transposition dans le Code de commerce de la directive Mobilité de 2019, ça ne serait pas possible », affirme la professeure Sophie Schiller.

Mais les Italiens ont une autre vision, et notre SAS, quoiqu’inconnue, peut s’implanter en Italie et être soumise au droit italien. Sur place, notre SAS peut-elle conserver son caractère unipersonnel (le plus courant) ? Luca Borggio le concède, mais malgré cela, il lui semble préférable d’adopter une forme italienne, en transformant la SAS.

Pour transformer une SAS française en un type de société italienne, il lui faut un capital minimal adéquat : 50.000 € pour la SPA ; 10.000 € pour la SRL ; et 1 € pour la SRL simplifiée.

Par ailleurs, les SAS françaises familiales sont souvent dotées de clauses de toutes sortes : limitation de circulation du capital ; agrément ; préemption ; inaliénabilité ; conservation (pacte Dutreil) ; etc. En principe, elles peuvent toutes être reproduites en Italie. La rédaction des statuts y bénéficie en effet d’une grande liberté qui permet de maintenir beaucoup de spécificités. Toutefois, pour le professeur, « la SPA rencontre quelques limites que la SRL n’a pas. La SRL est un peu plus « ouverte » et la participation se concentre sur l’action, pas sur la personne ».

Par exemple, dans les sociétés à responsabilité limitée, il est possible d'introduire des clauses qui donnent à un seul associé le pouvoir de désigner un ou plusieurs administrateurs, ou encore d’attribuer des droits personnels sur les dividendes ou sur autre chose. Ces particularités ne se retrouvent pas dans la société par actions, à moins de créer des catégories d'actions différentes qui permettent d’approcher des résultats similaires.

Pour conclure, si une société par actions française installe son siège principal en Italie, peut-être pourra-t-elle conserver sa forme juridique. Mais, si elle choisit d’en changer, il semble que ce soit celle de la SRL italienne qui offre le plus de latitude de gestion.

C2M

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles